Qu’il s’agisse de la distribution ou de l’épuration, le réseau d’eau dysfonctionne continuellement sur l’île antillaise. Des tonnes d’eau potable sont gâchées chaque année, quand d’autres, usées, sont rejetées à même les milieux naturels. Sans qu’aucune donnée ne permette d’évaluer précisément l’ampleur des dégâts.

Guadeloupe, correspondance pour REPORTERRE

Des foyers privés d’eau, ou alimentés par un liquide trouble, impropre à la consommation. Tel est le quotidien des Guadeloupéens, qui achètent ainsi plus de cinquante millions de bouteilles en plastique par an. Si le « scandale de l’eau » parasite les journées de milliers de citoyens outre-mer depuis plus de trente ans déjà, il cache surtout un immense enjeu écologique.

« On a compris partout que l’eau était une ressource qui se raréfiait. Ici, on la gâche comme si l’on avait cinquante ans de retard », regrette Germain Paran, président du Comité de défense des usagers de l’eau de Guadeloupe.

61 % de l’eau distribuée est gâchée

Les derniers chiffres de l’Observatoire de l’eau, publiés en décembre 2020, apparaissent de fait aberrants. « En 2018, 78,3 millions de m3 d’eau potable ont été mis en distribution sur l’ensemble de la Guadeloupe. Sur ce volume total, seulement 39 % de l’eau (30,5 millions de m3) a été consommée par la population », énonce ainsi le rapport.

Un immense gâchis qui s’explique essentiellement par un réseau vétuste, rongé par les fuites, dont 90 % sont localisées sur des branchements. « La majorité des poses et des canalisations n’était pas conforme à l’époque, analyse Hugues Delannay, directeur adjoint de l’Office de l’eau de Guadeloupe. Nous vivons sur un territoire à risque sismique, où il y a beaucoup de mouvements de sol, et où les matériaux alors utilisés — l’amiante ou la fonte grise, cassantes — n’étaient pas adéquats », poursuit le cadre. Les ouvrages s’y dégradent plus rapidement qu’ailleurs et y sont moins fréquemment renouvelés, mauvaises finances obligent.

« Il faut tout refaire, un point c’est tout ! »

La problématique des fuites est telle qu’une équipe de techniciens a été spécialement formée pour les repérer et réparer. Active jusqu’en mai 2020, elle s’est attaquée à 310 fuites, avant que la préfecture ne prenne le relais. Un site internet avait même été mis en place, afin de suivre en temps réel les indicateurs de performance de la mission et permettre à la population de signaler les fuites ou coupures d’eau trop longues. « Ces opérations au compte-gouttes, ci et là, ne servent à rien, assène Germain Paran. Il faut tout refaire, un point c’est tout ! »

Plus de la moitié des prélèvements d’eau non encadrés

D’autant que, afin de compenser ces fuites et les mirobolantes pertes d’eau qu’elles entraînent, les exploitants prélèvent toujours davantage dans les masses d’eau naturelles. « Ce surplus a pour conséquence de réduire la quantité d’eau disponible dans les rivières. Or, il est nécessaire d’avoir un débit minimum afin d’assurer la continuité biologique et que la vie aquatique puisse se développer », commente Guillaume Steers, chef du pôle eau au sein de la Direction locale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal).

Surtout, regrette le fonctionnaire, sur la cinquantaine de prélèvements en Guadeloupe, trente-cinq ne respectent pas la loi sur l’eau ni le Code de l’environnement. Ils ne sont, en effet, pas correctement déclarés par les exploitants, si bien que la Deal n’a aucune visibilité sur leur responsabilité : il est ainsi impossible de savoir s’ils sont bien dimensionnés par rapport à la capacité du cours d’eau.

La préfecture a certes envoyé des mises en demeure aux acteurs concernés, en décembre 2020, mais les choses semblent traîner : « Nous n’avons vraiment pris en charge ce sujet qu’à la fin 2019, assume Guillaume Steers. Très clairement, nous avions d’autres priorités, l’assainissement en premier lieu. »

Près de 70 % des stations d’épuration non conformes

L’assainissement constitue le dernier chapitre de cette inextricable « affaire » de l’eau. Pour l’année 2018, 67 % des plus importantes stations de traitement n’étaient pas aux normes — contre 61 % en 2017, selon les chiffres de l’Observatoire de l’eau. Ce qui représente 77 % du total des eaux usées traitées sur le territoire.

« Cette situation très dégradée est due, selon les cas, à des ouvrages de traitement hors service, à une exploitation défaillante, à des incidents ponctuels ou à la vétusté de certains ouvrages, rapporte l’Observatoire. Ces dysfonctionnements ont des conséquences négatives sur l’état environnemental des eaux littorales (ils pourraient être une raison majeure de la dégradation des récifs coralliens) et sur la qualité des eaux de baignade du territoire. »

« Lorsqu’une pompe casse, on peut attendre des années avant de la changer. »

Si une station d’épuration peut en moyenne fonctionner jusqu’à trente ou quarante ans, leur durée de vie, en Guadeloupe, atteint à peine treize ans. « Le service n’étant pas financièrement équilibré, on ne prévoit pas de frais de remplacement, explique Guillaume Steers. Ainsi, lorsqu’une pompe casse, on peut attendre des années avant de la changer. »

De surcroît, les réseaux d’assainissement sont peu surveillés, la télésurveillance du réseau existant à peine en Guadeloupe. En cas de rejet, aucune alerte ne s’enclenche donc et la pollution devient difficilement quantifiable.

Il faut également voir du côté des particuliers : en Guadeloupe, 60 % des foyers ne sont pas raccordés à une station d’épuration. Ils s’organisent alors autour de réseaux d’assainissement privés, dits « non collectifs », qui, « dans leur énorme majorité ne sont pas aux normes », regrette Guillaume Steers. « En matière de pollution, les rejets sont certes moins importants, mais très diffus et omniprésents ». L’assainissement non collectif ne dépendant pas de la Deal, il est ainsi très peu contrôlé.

D’une manière générale, le manque de connaissances et de surveillance des réseaux d’eau et d’assainissement empêche de déterminer précisément les enjeux écologiques qui se jouent en Guadeloupe. Si bien que, lorsqu’il s’agit d’évoquer le scandale de l’eau, l’attention se focalise sur les responsabilités politiques et économiques ainsi que sur les cris de détresse, légitimes, des consommateurs, au détriment des conséquences de ce « scandale » sur les milieux et la diversité du vivant.

 

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