Devenues virales en décembre, les illustrations de Chidiebere Ibe, étudiant en médecine, seront bientôt publiées dans un manuel. Il dénonce le manque de représentation des peaux noires en médecine, qui met parfois des vies en danger.

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Une coupe anatomique de femme enceinte. Cette image, maintes fois représentée dans les manuels de médecine, présente une constante immuable : elle est toujours figurée dans un corps de femme blanche. En décembre 2021, lorsqu’il crée l’image d’un fœtus dans le corps d’une femme noire, Chidiebere Ibe, étudiant nigérian en médecine, a permis une petite révolution.

« Je suis noir et c’est beau d’être noir. Illustration de la diversité en médecine. Il faut encourager cela ! », écrit sur Twitter l’étudiant de 25 ans. Sur Instagram, l’image a été « aimée » plus de 100 000 fois, mettant en lumière le manque de représentations des personnes noires dans les manuels médicaux et les revues scientifiques.

« J’ai vécu cinquante-six ans et c’est la première fois que je vois une illustration de fœtus noir, merci à la personne qui a fait ça », se réjouit une internaute sur Twitter. « Comment c’est possible que ce soit la première femme enceinte noire et premier fœtus noir que je vois dessinés dans du contenu éducatif ? », questionne une autre utilisatrice du réseau social.

De nombreux personnels médicaux ont également réagi à cette illustration, à l’instar de Rebekah Agboola, une infirmière anglo-saxonne, interrogée par le HuffPost UK :

« Cela fait six ans que je fais des études dans ce milieu, je n’avais jamais vu d’illustrations de personnes noires ou à la peau foncée, à part quand il s’agissait de problèmes de peau, et encore, c’était rare. »

Invisibilisation

« Je ne m’attendais pas à ce que ça devienne viral », commente l’étudiant, interviewé par NBC News. « Je ne faisais que défendre ce en quoi je crois, l’égalité dans la santé à travers des illustrations médicales. J’ai fait le choix délibéré de constamment m’engager pour l’inclusion des personnes noires dans la littérature médicale », poursuit celui qui ambitionne de devenir neurochirurgien pédiatrique et dont les illustrations seront prochainement publiées dans un manuel de référence concernant les maladies qui apparaissent sur les phénotypes de personnes noires.

« Je veux que chaque fois qu’une personne effectue une recherche en ligne sur une maladie de peau particulière, un problème de santé particulier, les premiers résultats proposent aussi des illustrations de personnes noires ou racisées », explique à CNN l’étudiant, qui souhaite mettre en place un réseau d’illustrateurs médicaux africains.

Bien qu’elle représente un huitième de la population mondiale, l’Afrique constitue moins de 1 % des travaux de recherches réalisés entre 2012 et 2016, selon Elsevier, un site qui recense des publications scientifiques. Même au Nigeria, les images de personnes blanches dominent dans la littérature médicale, assure Chidiebere Ibe à CNN.

Un constat qui s’applique, à échelle variable, aux autres minorités. Une étude réalisée en 2014 par des chercheurs de l’université de Wollongong, en Australie, sur plus de 6 000 images de revues médicales, soulignait que la grande majorité des personnes représentées étaient blanches. Plus d’un tiers était féminine, environ 3 % montraient des corps handicapés et 2 % mettaient en scène des personnes âgées.

Risque pour la santé

Une invisibilisation loin d’être anodine, qui peut avoir des répercussions sur la fiabilité des diagnostics établis par les professionnels de santé, notamment concernant les maladies de la peau. Miguel Shema, étudiant en deuxième année de médecine, qui tient le compte Instagram Santé & Politique, regrette l’absence de représentation des peaux non blanches dans certains ouvrages d’études. « En dermatologie, les photos de corps non blancs vont être présentées pour parler des maladies dites “exotiques”, mais pas pour celles qui touchent les Français de l’Hexagone », déplore le blogueur du Bondy Blog, interrogé par Madmoizelle.

Interrogé par le site féministe, Thibaut, étudiant en troisième année d’internat en médecine générale, abonde :

« Un jour, j’ai reçu en consultation un enfant noir qui avait la varicelle, et j’ai douté de mon diagnostic. On ne prend pas l’habitude de voir toutes les lésions sur les peaux foncées. »

Pis, cette invisibilisation des personnes non blanches dans le milieu de la médecine peut avoir des répercussions concrètes sur la santé de ces dernières, au point de mettre leur vie en danger. Des études américaines, qui ont calculé le taux de survie après cinq ans des personnes atteintes d’un cancer de la peau, révèlent que 92 % des personnes blanches ont survécu, contre 67 % des personnes noires.

S’agissant du Covid-19, Jenna Lester, professeure adjointe au département de dermatologie de l’université de Californie, à San Francisco, a montré que cette absence de représentation des personnes non blanches en médecine pouvait rendre plus difficile le diagnostic de la maladie. Selon la directrice du programme Skin of Color (« Peau de couleur ») de l’université californienne, les articles scientifiques décrivant les manifestations cutanées du Covid-19 « montrent presque exclusivement des images cliniques de patients à la peau claire ».

A ces difficultés de diagnostics s’ajoute un matériel médical inadapté. Les oxymètres de pouls, qui mesurent le niveau d’oxygène d’un patient, fournissant des données moins précises sur les peaux foncées, précise CNN.

Sur son compte Instagram, Chidiebere Ibe publie ainsi d’autres images illustrant les manifestations particulières de certaines maladies sur des peaux noires. « Il s’agit simplement de donner à chacun la valeur qu’il mérite. Noirs, Blancs, Asiatiques… Ayons tous les mêmes soins de santé que nous méritons », dit celui qui travaille actuellement sur un manuel concernant les malformations congénitales chez les enfants. L’étudiant, qui réalise des illustrations médicales depuis 2020, a déjà créé des dizaines d’images représentant l’anatomie et certaines maladies, telles que le vitiligo ou l’infection thoracique.

Face au retentissement provoqué par ses illustrations, l’étudiant a décidé de vendre ses images sous forme de NFT (non-fugible tokens, « jetons non falsifiables »), ces lignes de code renvoyant à une œuvre virtuelle. Les fonds permettront en partie à promouvoir plus de diversité dans la médecine.

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