1. La vice-présidente américaine Kamala Harris (centre) marche avec sa famille après la cérémonie d’investiture au Capitole, à Washington, le 20 janvier 2020. (MARK MAKELA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)Source: franceinfo
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La première vice-présidente des Etats-Unis a construit son “récit politique” aussi bien sur ses origines que sur son attachement à sa famille. Décryptage.

Enveloppée dans un long manteau violet, couleur du bipartisme et des suffragettes, Kamala Harris marche le long de Pennsylvania Avenue, mercredi 20 janvier. Elle tient par a main sa petite-nièce, vêtue d’une fausse fourrure “pour ressembler à tatie” quand elle était enfant*. A sa gauche, son mari et ses beaux-enfants sourient derrière leur masque. Derrière eux, le reste de la famille accompagne la numéro 2 de Joe Biden jusqu’à son bureau, dans le bâtiment Eisenhower, en face de la Maison Blanche. Quelques heures plus tôt, tout le clan assistait à l’investiture de Kamala Harris, première femme vice-présidente des Etats-Unis.

 

Tout au long de la course pour la Maison Blanche, la démocrate a mis en avant cette grande union familiale. Dans son discours de victoire, début novembre à Wilmington (Delaware), elle assurait ainsi que sa mère lui avait appris à faire passer “la famille avant tout – celle dans laquelle on naît et celle qu’on choisit”. Rien d’étonnant. Dans la vie politique américaine, il est courant de dévoiler son histoire familiale et personnelle. “Tous les candidats et présidents parlent de leurs parents, à l’exception peut-être de Donald Trump”, selon Célia Belin, chercheuse à la Brookings Institution de Washington. “Cela participe à la construction d’un récit autour des hommes et des femmes politiques.” Kamala Harris a forgé sa carrière sur un récit bien différent de tous ses prédécesseurs.

“Changer le visage du pouvoir”

La vice-présidente a vu le jour à Oakland, une ville de Californie acquise aux démocrates depuis des décennies. C’est là que se sont rencontrés ses parents, deux immigrés venus étudier aux Etats-Unis. Shyamala Gopalan a quitté l’Inde pour rejoindre la prestigieuse université Berkeley, avant de devenir une grande biologiste, spécialiste du cancer de sein. Le futur économiste et enseignant à Stanford Donald Harris, originaire de Jamaïque, rencontre son épouse dans des rassemblements pour les droits civiques.

Elle a construit son image sur cette double identité : c’est une fille d’immigrés qui ont choisi de faire des Etats-Unis leur pays ; et une Américaine qui a grandi au sein de la communauté noire.

Célia Belin, politologue

à franceinfo

Les origines de Kamala Harris font écho à celles d’une part grandissante de ses concitoyens. “C’est vraiment le visage d’une nouvelle Amérique”, pointe Ann Morning, sociologue à la New York University, dans un entretien au Washington Post*. La vice-présidente “donne une visibilité à une minorité [sud-asiatique]importante et qui, bien souvent, n’est pas beaucoup mise en avant dans la sphère publique aux Etats-Unis”, analyse la sociologue.

Une visibilité d’autant plus grande que la carrière de Kamala Harris lui donne des allures de pionnière : première procureure noire de San Francisco puis de Californie, première femme d’origine sud-asiatique à représenter cet Etat au Sénat, première Noire et première personne d’ascendance indienne élue au poste de numéro 2 du pays. Pour CNN*, “l’ascension de l’ex-sénatrice de Californie jusqu’à la vice-présidence va littéralement changer le visage du pouvoir” aux Etats-Unis. Son investiture marque “un tournant dans la longue lutte pour la représentation et l’égalité raciale”, poursuit CNN. Elle rappelle aussi “que la lutte contre le suprémacisme blanc [sera] un des principaux défis de cette administration”.

Maya et Kamala, sœurs inséparables

Après le divorce de ses parents, la “VP” grandit dans une petite maison jaune d’Oakland, avec sa mère et sa sœur cadette, dont elle devient inséparable. “On s’appuyait l’une sur l’autre, raconte Kamala Harris au Washington Post*. Tous les moments heureux, tous les moments difficiles, tous les moments de transition, nous les avons vécus ensemble.”

 

Une photo non datée de Kamala et Maya Harris enfants. (COURTESY OF KAMALA HARRIS / AFP)

 

Leur relation se renforce encore, quand la démocrate aide sa petite sœur, tombée enceinte à 17 ans, à élever sa fille. “Ma grand-mère et ma tante étaient mes deuxièmes mères”, confie Meena Harris, avocate et activiste aujourd’hui âgée de 36 ans, au New York Times*. Lorsqu’elle se lance dans la course à la Maison Blanche, Kamala Harris le fait avec le soutien de Maya, sa directrice de campagne pour les primaires, jusqu’à ce que la sénatrice jette l’éponge en décembre 2019, faute de financement.

Hors de question toutefois que ces liens étroits jettent le doute sur l’éthique de la vice-présidente. Peu avant l’investiture du duo démocrate, l’équipe de Joe Biden a rappelé à Meena Harris qu’elle n’avait pas le droit de s’enrichir grâce à la position de sa tante, rapporte Axios*. La jeune femme avait en effet dévoilé une collaboration entre sa société et la marque de casques audio Beats. On y trouvait des écouteurs semblant rendre hommage à la “VP”. “Meena Harris n’a rien fait d’illégal, mais la Maison Blanche a tout de suite tenu à lui rappeler les règles auxquelles elle doit se plier”, explique Célia Belin. Une manière pour le ticket présidentiel de “se montrer exemplaire, pour trancher avec la famille Trump, dont on sait qu’ils ont mêlé intérêts privés et responsabilités publiques pendant quatre ans”.

Le “roc” d’une famille recomposée

Kamala Harris et Donald Trump ont peu en commun, mais ils vivent tous les deux dans des familles recomposées. L’ex-procureure s’est mariée à 50 ans avec Doug Emhoff, avocat spécialisé dans le droit du divertissement, qui avait déjà deux enfants d’une précédente union. Interrogé par Glamour*, Cole Emhoff affirme avoir eu un “coup de foudre” lorsqu’il a fait la connaissance de sa belle-mère, au cours d’un dîner. L’acteur de 26 ans dit avoir découvert “quelqu’un de spécial et d’absolumentunique”.

Kamala Harris ne manque pas de mettre en avant cette image de belle-mère aimante et impliquée. “Aux Etats-Unis, encore plus qu’en France, la famille est essentielle pour les hommes et femmes politiques : elle les humanise”, analyse la politologue Célia Belin. Lors de la convention nationale démocrate, en août, l’intervention de la candidate est ainsi introduite par ses proches. “Tu es un roc, pas juste pour notre père, mais pour trois générations de notre grande famille mélangée”, proclame* sa belle-fille, Ella Emhoff. “J’ai eu beaucoup de titres dans ma carrière, et celui de vice-présidente sera fantastique, lui répond Kamala Harris, mais ‘Momala’ [surnom donné par ses beaux-enfants] sera toujours celui qui compte le plus.”

 

Kamala Harris (de dos) avec ses beaux-enfants Ella et Cole Emhoff, lors de la cérémonie d'investiture à Washington (Etats-Unis), le 20 janvier 2021. (OLIVIER DOULIERY / AFP)

 

L’amitié de l’ancienne procureure avec l’ex-femme de son mari ne passe pas non plus inaperçue. La productrice Kerstin Emhoff était d’ailleurs présente à l’investiture de la “VP”. Kamala Harris raconte volontiers que leur relation est née “dans les gradins, pendant les compétitions de natation et de basket d’Ella”. “Parfois, on plaisante sur le fait que notre famille moderne fonctionne presque trop bien”, s’amuse-t-elle, dans un texte écrit pour le magazine Elle*.

Voir un foyer recomposé au sommet de l’Etat est peu courant dans la politique américaine, qui a plutôt “valorisé les dynasties, comme les Kennedy et les Bush”, note Vox*. Pourtant, la famille de la vice-présidente ressemble à beaucoup d’autres aux Etats-Unis. Un enfant sur six grandit dans une famille recomposée et 13% des adultes sont beaux-parents, selon une étude du Pew Center citée par le site d’information. Le rôle de belle-mère de Kamala Harris “met un coup de projecteur sur un phénomène domestique qui a été trop longtemps stigmatisé”, estime Naja Hall, fondatrice d’un réseau dédiée aux foyers recomposés, dans une tribune à NBC*.

Doug Emhoff, fier “Second Gentleman”

La campagne a également mis en lumière le couple formé par Kamala Harris et Doug Emhoff. L’avocat a pris un congé sans solde en août 2020, lorsque son épouse a été désignée colistière de Joe Biden. Il a écumé les meetings durant plusieurs mois, tout en mettant en avant leur complicité sur les réseaux sociaux, relève Libération. Sur Twitter, il n’hésite pas à se présenter comme un “mari fier” et se réjouit de devenir le premier “Second Gentleman” du pays. “Traditionnellement, les valeurs masculines font primer la domination sur tout le reste. Il est peut-être un homme, mais sa femme est vice-présidente et va exercer un degré de pouvoir qu’il n’atteindra jamais”, constate Liette Gidlow, historienne de la politique américaine à l’université de Wayne State, interrogée par Libération.

Ce renversement est d’autant plus marquant que “le rôle des conjoints du président et du vice-président est institutionnalisé aux Etats-Unis”, rappelle la politologue Célia Belin. “Ils ont des activités de représentation et généralement une équipe dédiée. Habituellement, la ‘Second Lady’ s’occupe de la décoration et d’œuvres caritatives”. Doug Emhoff a déjà annoncé qu’il enseignerait le droit à l’université de Georgetown et qu’il travaillerait avec la Maison Blanche à l’accès des plus défavorisés à la justice.

“Kamala Harris est métisse, noire et indienne. Elle a été élevée dans les religions hindoue et chrétienne. Elle a épousé un homme de confession juive et a un foyer recomposé”, liste Célia Belin. Le clan Harris “est une famille moderne comme on en a jamais vu à la tête du pays”.

 

* Les liens signalés par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.

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