Le journaliste Bertrand Dicale, et, à droite, une peinture d’Agostino Brunias, « Scène de danse aux Antilles » (XVIIIe siècle) • ©C. Abramowitz (Radio France) et Tate Gallery, Londres

Dans le cadre du Mois des mémoires, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, propose sur son site une exposition virtuelle intitulée “Traces musicales de l’esclavage”, réalisée par le journaliste Bertrand Dicale.

Philippe Triay • 

Biguine, zouk, gwoka, bèlè, kompa, calypso, reggae, salsa, bossa nova… pour les Caraïbes et l’Amérique du Sud ; jazz, blues, gospel… aux Etats-Unis ; maloya et séga pour La Réunion… Les musiques des “Nouveaux mondes” issues de la colonisation et de l’esclavage ont laissé une empreinte culturelle indélébile des deux côtés de l’Atlantique et de l’océan Indien. C’est cette histoire partagée qu’a voulu explorer le journaliste d’origine guadeloupéenne Bertrand Dicale, dans l’exposition numérique de la Sacem “Traces musicales de l’esclavage, richesses et silences de la France”, en partenariat avec la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. “Dans la culture populaire comme dans l’historiographie des programmes scolaires, l’esclavage reste longtemps un point aveugle de la conscience collective. Et cela d’autant plus que la chanson va perpétuer longtemps clichés et préjugés hérités de l’esprit du Code Noir“, écrit-il.

Photographies et archives sonores

Bertrand Dicale était la personne idoine pour réaliser cette expo en ligne. Auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés à l’histoire de la chanson et à des artistes français, il est chroniqueur sur France Info avec sa célèbre émission “Ces chansons qui font l’actu”, et a produit des documentaires pour la télévision. Membre du Conseil d’orientation de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage, il a également publié en 2017 “Ni noires, ni blanches – Histoire des musiques créoles” (Éditions Philharmonie de Paris).

L’expo, bien que virtuelle, est exhaustive et extrêmement détaillée. Elle est illustrée de nombreuses photographies commentées, parfois rares, ainsi que d’archives sonores. Cette muséographie se divise en neuf parties : “Le cataclysme fécond” (ce que l’esclavage a engendré culturellement, avec une réflexion sur la créolisation) ; “A la recherche des symptômes” (chapitre très intéressant où l’auteur revisite la vie du Guyanais Henri Salvador à la lumière de l’héritage et des cicatrices laissées par l’esclavage) ; “La biguine, pépite de la créolité” ; et “Le voyage de la biguine à Paris” (Stellio, Léona Gabriel, Ernest Léardée mais aussi des personnalités moins célèbres, notamment des figures de musiciennes oubliées comme Maötte Almaby)…

La France cumule des regards et des présences qu’il est utile d’interroger dans leurs conséquences sur les droits et les situations de ses citoyens. Et que dit la chanson française des Noirs ? Est-elle exempte de représentations problématiques ?

Bertrand Dicale

“Figures du Noir et ‘racisme gentil’” 

Bien évidemment, l’on retrouve le genre incontournable qui a propulsé les Antilles françaises sur les scènes internationales : “Le zouk, entre nécessité et hégémonie”, titre Bertrand Dicale, pour qui “un petit décalage d’à peine une décennie, et on aurait presque pu, en Europe, parler du zouk comme d’une musique postmoderne“. De l’autre côté de l’hémisphère, “Océan Indien, ‘batarsité’ et acceptation” (chapitre consacré à la musique réunionnaise), avant de passer à “Tambours, colère, conscience”, où est analysée la structuration “des genres musicaux comme le gwoka de la Guadeloupe ou le bèlè de la Martinique, qui porteront la parole des classes populaires nées de la transformation des esclaves en humains libres” (le maloya de La Réunion est également abordé). 

Enfin, deux parties évoquent la question du racisme dans la chanson française : dans “Le silence de l’antiracisme”, Bertrand Dicale constate qu’en dépit de son engagement contre le racisme depuis plusieurs décennies, “cela ne lui fait pas pour autant porter le regard sur l’esclavage, qui n’est évoqué fugitivement que lorsqu’il est question des États-Unis, où la lutte pour les droits civiques a éveillé les consciences d’artistes français“. Ce chapitre est complété par “Figures du Noir et ‘racisme gentil’”, où le journaliste nous interpelle : “la France cumule des regards et des présences qu’il est utile d’interroger dans leurs conséquences sur les droits et les situations de ses citoyens. Et que dit la chanson française des Noirs ? Est-elle exempte de représentations problématiques ?”

Musée numérique Sacem : “Traces musicales de l’esclavage, richesses et silences de la France”

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