Cet espace est en dents de scie. Haut ou bas, occupé ou vide. Il se trouve qu’en ce moment particulier de ma vie, l’envie d’écrire est revenue. Mais la langue est difficile. Comment écrire lorsque l’anglais est la langue de tous les jours, tout en étant la langue professionnelle: une langue très incisive dans le secteur professionnel mais qui manque toujours de précision lorsqu’il s’agit de décrire la vie, le ressenti, les sentiments.

Or cet espace est avant tout celui des sentiments. Comment écrire lorsque le français s’appauvri, que le créole est remplacé par un mélange incongru d’anglais et d’espagnol. Je ne sais plus á quelle langue me vouer. Il ne me faudrait qu’une simple semaine pour retrouver ma faconde si je m’immergeais dans un environnement francophone ou créolophone. Juste une semaine d’immersion pour que les langues retrouvent leur place. Il faut le dire j’aime les langues. L’anglais, qui m’a valu les plus mauvaises notes du temps de ma lointaine scolarité est devenue la langue de tous les jours – les mots techniques de ma profession que j’ai appris á l’étranger me sont inconnus en français, ma langue natale. L’anglais reste la langue de la technicité, la langue de la science. L’espagnol, ma langue de cœur, que je m’attelle á reconquérir présentement, a été la première langue étrangère qu’il m’a été donné d’entendre, enfant. Les chants de Cuba, les roulements de r des salsas de mon enfance. Mon père, étendu dans une chaise longue pour la pause post-prandiale écoutant les dimanches après-midi de boléros, de tango et trova de Cuba alors que je m’attelais aux devoirs. Ma sœur de retour de Caracas, puis plus tard d’Espagne nous apprenant á compter jusqu’á diez en espanol pour notre plus grand plaisir. Le créole Martiniquais, la langue autrefois honnie, honteuse, regagne aujourd’hui des lettres de noblesse. Je suis de la génération á qui on exigeait le français polissé, de qui on moquait le créole. Résultat, mon créole reste correct mais pas vraiment académique, et je regarde ébaubie aujourd’hui mes neveux manier notre langue avec la dextérité des enfants bilingues, alors que je balbutie des koumen ki manniè… Le finnois, la langue reléguée au rang du fantasme. « Sama paita joka päivä », la même galère tous les jours. Paska, Satana, Vittu, seuls les jurons me sont restés. Minulleko puhut persereikä? Est définitivement la phrase permettant de décontenancer un finlandais sans se fatiguer. Je me suis jurée qu’avant de mourir, je veux pouvoir construire quelques phrases en finnois (sans jurons). Cela me laisse le temps d’improviser. Je n’ai pas réussi á dompter cette langue durant mon long exil finlandais. Une grammaire trop loin de mes réalités. Les finlandais eux-mêmes découragent les étrangers d’un « c’est trop difficile » et je me suis laisser berner. Mais la revanche viendra. Le suédois, la langue accessible. Deux cours complets, avant de réaliser que je ne peux pas apprendre la langue d’un pays que « je ne sens pas ». La suède n’était pas « chez moi » et les années passées lá bas ne m’ont pas donné l’envie d’approfondir cette langue pourtant á porté de main. Je suis passée á côté de la Suède peut être, ou j’avais mis trop d’espoir dans ce pays et la chute fût rude. Je garde un gout amer sur la langue lorsque je repense á Svenska. Du maori de Nouvelle Zélande, j’ai voulu emporter un souvenir, en apprenant la chanson Pokareare Ana. Je la fredonne á chaque fois que les images, sons, et tendre amitiés de ce beau pays me reviennent en mémoire. De même, le créole Guadeloupéens se rappelle surtout á moi en musique. La douce sonorité de l’expression ti moun an mwen me retourne le cœur á chaque fois. Le créole Guyanais me ramène aux longues nuits sans sommeil d’Awala Yalimapo, lampe frontale sur le front, á gauche la mer, á droite les catalpas, devant, des tortues Luth de 600 kg pondant dans le sable humide. De l’Arabe j’ai retenu shokran. Merci pour Marrakech, la vallée du Drââ, les nuits á la belle étoile sans pollution lumineuse aucune, la parfaite voûte étoilée, le désert et ces 8 jours de réflexion. Le Russe, que j’ai souvent entendu sans le pratiquer, mis á part les essentiels priviat et spasibo, demeure la langue voluptueuse de amours difficiles, des incompréhensions et d’une tristesse non teintée de nostalgie. La langue d’un passé révolu, une langue que je ne renie ni ne regrette. Le polonais reste la langue des ragots. Une langue chuchotée á grand renforts de ch et de sch comme les bondieusardes disent leurs chapelets en face des crucifix. Je retiens essentiellement les intonations d’une langue chantée plus que parlée de mes amis en pleines confidences Dziękuję et dzień dobry Agna et Anna de m’avoir tant faire rire avec ses histoires de carpes de Noël nageant dans des baignoires. Du mina, de l’éwé et du kabiyé, je ne me souviens que des femmes pilant le fufu dans la cours, au rythme sacadé du pilon de bois, de la sauce arachide épinard et des ablo de maïs. Ces langues n’évoquent plus que la nourriture et le goût et la texture de l’igname écrasé sur la langue. Peut-être parce que ce sont des langues nourricières.

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