Président de la récente association Construire notre vivre-ensemble, Guillaume de Reynal nous en présente la démarche, les objectifs et « priorités », dont certaines ne manqueront pas de susciter le débat. A minima…


« J’ai un amour profond pour la Martinique », débute Guillaume de Reynal, « et je me suis dit qu’il fallait plus écouter les autres et voir ce qu’on peut proposer pour avoir un réel vivre-ensemble pour le futuret nos enfants. Nous sommes là pour construire ce vivre-ensemble ; on le fait pour eux. » Plus précisément c’est « l’histoire des statues », c’est-à-dire la destruction des représentations de Victor Schoelcher(le 22 mai dernier) qui aura « déclenché » la création de l’association, indique son président. « Ce qui s’est passé ce jour-là nous a montréqu’il y a une demande au niveau de l’Histoire », assure notre interlocuteur, « qu’il y a une information qui doit se mettre en place pour que tout le monde puisse vraiment connaître l’Histoire. Et qu’il faut mettre en place des actions concrètes pour le vivre-ensemble ; mettre en place des commissions ce n’est pas les actions qu’attendent les gens. » La ‘’dédicace’’ aux commissions « mémorielles », créées ou activées suite aux dites destructions, est ainsi passée.

« Nous avons voulu que cette association soit adossée à un comité de rédaction scientifique », poursuit Guillaume de Reynal, « des archéologues, historiens, sociologues etc., aussi bien martiniquais qu’américains, qu’européens et africains. » Qui par exemple ?, demandons-nous. « Il y a Erick Noël, qui est Professeur à lUniversité des Antilles (UA) », débute le dirigeant, « Kenneth Kenny, universitaire américain de l’Université de Caroline du Nord, spécialiste de l’archéologie de l’esclavage, qui a écrit un livre avec un universitaire martiniquais (Benoît Bérard, ndr) qui s’appelle Bitasion ; il y a Suzanne Dracius, écrivaine bien connue, Sébastien Perrot-Minnot, universitaire à l’UA et archéologue de la partieamérindienne, également le plasticien martiniquais Olivier Fonteau, etc. Maintenant on cherche à s’étendre et à prendre de plus en plus de personnes pour renforcer les idées, et travailler sur ce qu’on veut mettre en place le plus vite possible. »

« Ce n’est pas en cassant une statue qu’on casse l’Histoire »

Précisément, qu’aimeriez-vous voir concrètement décliné « le plus vite possible » ? « Il y a les Archives Nationales d’Outre-Mer, à Aix-en-Provence, celles de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer et celles, importantes, de certaines familles martiniquaises », énumère Guillaume de Reynal, « hé bien notre but est de trouver une solution avec ces partenaires-là, pour mettre toutes ces informations sur un sitedisponible pour les martiniquais, de façon à commencer à créer un ‘centre international de recherchesen MartiniqueParce qu’actuellement notre Histoire est dans des archives non disponibles pour nous. Rendre ces archives accessibles aux martiniquais servira d’appui à un centre de recherches international et au Mémorial que nous voulons mettre en place. » A cette fin le dirigeant indique avoir déjà fait plusieurs voyages à Paris : au Ministère des outremers, à la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, etc. A vous écouter les destructions du 22 mai dernier ont été un élément déclencheur dans la création de Construire notre vivre-ensemble : quel est votre regard sur ces actes ? « Ce n’est pas en cassant une statue qu’on casse l’Histoire ;l’Histoire est là », assure Guillaume de Reynal. Le ton est donné. « Donc il faut connaître l’Histoire », poursuit-il, « la faire connaître, montrer ses effets horribles pour ne pas que ça se refasseA côté d’une statue, on peut mettre des plaques explicatives pour montrer les deux faces de la statue ; on peut aussi mettre une statue plus grande, qui veut dire autre chose : beaucoup de solutions doivent être apportées rapidement pour toutes les personnes qui veulent de l’action, du concret. » Est-ce à dire que vous n’êtes favorable – en aucun cas et situation – à l’enlèvement de monuments, statues ou autres, de l’espace public ? « C’est compliqué », indique notre interlocuteur, « mais les monuments ne doivent pas être détruits ; on peut les déplacer pour les mettre dans un lieu de mémoire différent. En plus c’est le travail de quelqu’un, c’est un(e) artiste qui l’a fait, ça a eu une importance à l’époque à laquelle le monument a été créé. Au Prêcheurils ont ‘’déboulonné’’ une statue (la colonne de Du Parquet, ndr) qu’ils ont stockée en attendant de pouvoir la mettre dans un lieu idéal : c’est plutôt dans cet axe-là qu’il faut s’orienter. La destruction n’a pas de sens pour moi, parce que nos enfants n’auront pas l’explication de ce qui s’est passé. On a détruit la statue de Joséphine : donc est-ce que la génération d’après saura si Joséphine a existé ou ce qu’on lui reproche, si Joséphine n’est plus là ? ».

« On peut implanter un Mémorial en différents lieux de Martinique »

Parmi les projets majeurs de Construire notre vivre-ensemble, « trois priorités » ont été définies par les membres du « comité d’orientation scientifique » et du bureau de l’association. Première « priorité », la création d’un Mémorial situé à La Pagerie (aux Trois-Ilets) (« pour montrer et réussir à développer les deux ‘’faces’’ de Joséphine, qui a été une image de la Martinique à l’international quand elle était impératrice, tout en permettant d’apporter une réponse à ceux qui voulaient la détruire », explique Guillaume de Reynal). Le choix de ce lieu où vécut Joséphine une partie de sa vie suscitera sans doute des adhésions mais aussi, et assurément, des critiques et farouches oppositions : vous en êtes conscient je présume ? « Oui et si ce lieu pose problème après les discussions qu’on aura avec l’ensemble des partenaires impliqués dans le dossier de la mémoireparce que c’est l’ensemble des associations qui devra travailler en collaboration », indique le dirigeant, « hé bien on fera un arbitrage ensemble et on délocalisera le lieuOn peut aussi implanter un Mémorial en différentslieux de Martinique : une partie de la Martinique pour le volet amérindien, mettre le volet ‘combat pour l’abolition’ du côté de Saint-Pierre, etc. Tout ça peut être envisageable. Qu’il y ait des ‘’Mémorial’’en Martinique pour qu’on puisse connaître notre Histoire partout ; que les élèves – écoliers, collégiens, lycéens – puissent se déplacer dans la Martinique pour connaître l’histoire de chaque ‘lieu’. Et la partie touristique peut être intéressante car il faut aussi trouver une solution pour développer ce volet. » Date visée par l’association pour inauguration de ce Mémorial : 22 mai 2028. « On espère pouvoir l’inaugurer avant, mais cette date est impérative pour nous », affirme Guillaume de Reynal, « parce qu’il faut bien sûr un lien entre la date et l’action. »

« On repart tous d’où on est venus ou on travaille ensemble pour créer un futur ? »

« Cette association n’a pas pour but de remplacer des associations qui existent ou ont existé », souligne alors le dirigeant, « mais d’être complémentaire et travailler avec toutes les associations existantes, quels que soient leurs idées et idéaux, pour vraiment construire notre vivre-ensembleOn est tous martiniquais, donc quelles que soient nos idées différentes, on a quand même 80 à 90% d’idées communes en tant que martiniquais. Et de volonté(s) commune(s). Donc travaillons sur nos points communs et notre volonté commune d’avancer, et laissons de côté les 10 ou 15% de divergences. » Mais la vision de ce qui constitue le « meilleur » étant particulièrement subjective, vouloir le meilleur pour la Martinique suffira-t-il à obtenir cette « construction » ?, demandons-nous. En effet votre vision du meilleur pour la Martinique n’est peut-être, ou sans doute pas celle d’Olivier Bérisson par exemple ? Pour prendre donc un exemple de collaboration a priori surprenante, voire aux antipodes pour certains observateurs, votre association pourrait-elle travailler avec le mouvement MUN ? « Si on veut travailler sur un vivre-ensemble, on ne peut pas travailler seuls », assure Guillaume de Reynal, « vous savez, on est tous arrivé.e.s en Martinique à des périodes différentes, pour des raisons différentes, pour des aventures différentes etc., mais on est arrivé.e.s ici. Donc qu’est-ce qu’on fait ? On repart tous d’où on est venus ou on travaille ensemble pour créer un futur ? ».

« Il y a des groupes en Martinique qui sont renfermés, fermés »

Pour Guillaume de Reynal, le vivre-ensemble n’existant pas encore « en totalité » en Martinique, il est donc à créer. « Je considère cela quand je vois certaines personnes qui critiquent telle ou telle… je ne parle pas de communauté parce que pour moi le communautarisme n’a pas lieu d’être. Mais il y a différentes attaques sur certaines personnes, et pour moi ça pose problèmeVous parliez du mouvement MUN, hé bien travailler dans le vivre-ensemble c’est travailler avec tout le monde. On ne peut pas dire qu’on crée un vivre-ensemble sans être d’accord pour travailler ou discuter avec une autre association, ça n’aurait aucun sens ; ce n’est pas le vivre-ensemble de Guillaume de Reynal, c’est celui d’une association, d’une île, d’un pays. » Et d’ajouter, dans le même souffle : « La Martinique est un pays pour moi au sens de un peuple, une terre et une langue, aussi bien que le Pays basque. On n’est pas une nation, on est un pays. » Une dernière affirmation qui est probablement l’expression du long ancrage à droitede notre interlocuteur. Mais comment arriver à ce ‘’vivre-ensemble’’que vous dites vouloir, quand un groupe humain, social – les békéspratique, même s’il y a certes des exceptions, une forme de communautarisme depuis des siècles ? Et un communautarisme notamment fondé, d’aucuns diraient enraciné, sur des exigences raciales. « Je suis d’accord, je ne vais pas minimiser ce qui se passe », répond Guillaume de Reynal, « il y a des groupes en Martinique qui sont renfermés, fermés. Vous avez parlé des békés mais il y a les indiens qui sont aussi très fermés. Il faut à un moment ouvrir, et le fait que moi, béké, je fasse le pas pour créer cette association avec d’autres personnes montre qu’on est un certain nombre à vouloir bougermême si on ne peut pas, en claquant des doigts, faire tout le monde sortir de son cocon. » Et d’ajouter : « Toutes les minorités, dans tous les pays du monde, se renferment pour se protéger. Ce qu’il faut c’est montrer à ces minorités qu’elles font partie d’un tout, et d’arrêter de se sentir menacées. Et pour ça il faut, petit à petit, des ouvertures, se mettre autour d’une table pour parler. » A la lecture des mots de Guillaume de Reynal une question s’impose : par qui et quoi certaines minorités péyi se sentent-elles « menacées » ? Historiquement « menacées », devrions-nous préciser. De qui et quoi veulent-elles se « protéger » ? Nombreux sont ceux à avoir, depuis très longtemps, les réponses à ces interrogations.

« Si personne ne fait le pas, il ne sera jamais fait… »

Puis l’homme de glisser : « Je suis peut-être un Bisounours, mais si personne ne fait le pas il ne sera jamais fait. J’ai vraiment une volonté de faire bouger les choses, quitte à ce que je ne le vois jamais mais mes enfants oui. Je veux que mes enfants et petits-enfants veuillent rester en Martinique, pour vivre ensemble. » Vous parlez de « faire le pas » : avez-vous envie de montrer à des békés que, selon vous, c’est dans cette voie qu’il faut aller ? « Ah oui. Je veux discuter avec MUNmais aussi avec les békés, les indiens, les chinois etc. », assure notre interlocuteur, « il faut discuter avec tout le monde ; le vivre-ensemble ce n’est pas d’aller voir une seule ‘’communauté’’. Et je ne peux pas faire abstraction de celle qui est considérée par beaucoup comme celle qui pose problème. » Hormis ces questions de ‘’race’’, de béké etc., il y a celles des inégalités et disparités socio-économiques, grands et profonds obstacles au vivre-ensemble, non ? « Vous avez raison », observe Guillaume de Reynal, « ce vivre-ensemble doit déjà travailler sur la partie mémorielle, connaissance de l’Histoire, et continuer avec d’autres associations. On travaille avec des associations qui se mettent en place pour la partie post-esclavagiste, plus précisément contemporaine : souffrance économique et sociale, souffrance liée aux addictions etc. ».

« Le sang a aussi servi à créer l’Habitation »

Deuxième « priorité » prônée par Construire notre vivre-ensemble :« La mise en place, sur toutes les Habitations (…) de plaques, indiquant que lesdites Habitations ont été fondées et ont prospéré sur la traite négrière et sur l’esclavage. » Vous allez vous faire des ami.e.savec cette proposition, non ? « Il ne faut pas occulter le passé, mais le montrer », débute Guillaume de Reynal, « de belles Habitations sont visitées, et on voit uniquement la beauté de l’espace ; c’est l’aspect esthétique qui est mis en valeur. Mais il faut que l’Habitation puisse montrer que le sang a servi aussi à créer l’Habitation. Et là on sera obligés d’avoir des commissions, même si je n’aime pas trop ça, avec la DAC (Direction des Affaires Culturelles), des responsables d’Habitations, des gens de MUN et du MIR (Mouvement International pour les Réparations) s’ils sont d’accord, etc. Il faut que ces plaques soient consensuelles, que tout le monde trouve un accord pour les mettre. Logiquement ça va dans le bon sens, celui de la connaissance de notre Histoire pour tous. On a besoin que tout le monde puisse s’approprier les espaces en Martinique. Mais si toutes les propositions étaient très faciles à faire, il n’y aurait pas eu besoin d’association(s) et elles seraient faites depuis longtemps. » Ce choix de « plaques » a-t-il été collectif ?, questionnons-nous. « Cette idée vient de moi », répond notre interlocuteur, ajoutant avoir été inspiré par lEcosse « il y a des plaques dans certains châteaux, expliquant qu’ils ont été créés sur la traite (négrière). »

« Le passé est important mais il ne faut pas tout le temps se retourner pour le regarder »

Une apposition (éventuelle) de plaques vous semble-t-elle suffisante ? Que pensez-vous – parmi d’autres possibilités en termes de ‘’rééquilibrage’’, réparation ou simplement de justice mémorielle – de la reconstitution des espaces et lieux de vie des personnes mises en esclavageles « rue cases-nègres » sur nos Habitations de Martinique ? « Il n’y a pas de mauvaise initiative », affirme Guillaume de Reynal, « on parle de plaques car c’est quelque chose que nous, en tant qu’association, on peut mettre en place. La partie de création ou rénovation de ‘rue cases-nègres sur des habitations privées, est beaucoup plus complexe pour nous. C’est peut-être à mettre en place, mais ce n’est pas quelque chose que nous pouvons faire ; nous proposons des choses que concrètement nous pouvons faire. Alors ça va peut-être donner des idées à d’autres, d’aménager certains espaces, mais ça ne rentrera pas dans notre champ d’actions pour l’instant. »Pour autant, cette idée vous semble-t-elle pertinente ? Votre association pourrait-elle la soutenir ? « Toutes les idées sont bonnes à prendre. Et là je parle en mon nom, il n’y a pas eu de réunion du bureau pour savoir si on peut mettre ça en place ou pas », glisse notre interlocuteur, « mais il faut montrer la difficulté de vie sans y être enfermé. » C’est-à-dire ? Vous ne voudriez pas qu’une telle reconstitution soit ressentie, par certains, comme ‘’misérabiliste’’, c’est ça ? « Il y aura déjà des espaces mémoriels, donc il ne faut pas que ça fasse comme la visite d’un camp de concentration à Auschwitz », répond Guillaume de Reynal, « le passé est important mais il ne faut pas tout le temps se retourner pour le regarder, sinon vous allez trébucher sur le moindre petit écueil. Vous avez besoin du passé, qui vous soutient et vous fait avancer en vous poussant dans le dos. »

« Pour nous martiniquais, le cimetière est un lieu important »

Mais vous qui disiez qu’il ne faut pas effacer l’Histoire, la misère des conditions de vie (ou survie) des personnes mises en esclavage est pourtant une réalité historique ; et non des moindres. Par conséquent la vision par le visiteur – autochtone et touriste – du contrastesaisissant (parmi d’autres termes) entre les ‘’maison de maitre’’ et les lieux de vie des esclaves, s’inscrirait pleinement dans cette justice mémorielle non ? « C’est quelque chose d’important ; nous pouvons soutenir ce projet-là », déclare alors notre interlocuteur, « avec les experts, historiens, archéologues etc., que nous avons autour de nous, on peut se fédérer pour mettre ça en place ensemble. Mais comme je vous l’ai dit, c’est beaucoup plus complexe à faire parce que ça ne peut l’être que par les propriétaires des lieux. Alors que pour les plaques on peut trouver des accords pour les faire et les poser à unendroit identique dans chaque Habitation, pour avoir une sorte de‘’formalisme’’. » A suivre ? Enfin, troisième « priorité » prônée par votre association : la « rénovation et l’entretien » de nos cimetières« Ce lieu est aussi une base de mémoires », explique Guillaume de Reynal, « et certains de nos cimetières communaux sont un peu en mauvais état parce que les communes n’ont pas les moyens de les entretenir. Donc on peut mettre en place, avec des chantiers d’insertion, l’entretien et la rénovation de ces cimetières, avec l’accord des municipalités et des familles. Pour nous martiniquais, le cimetière est un lieu important. »

Ultime interrogation : comment aimeriez-vous que les martiniquais reçoivent Construire notre vivre-ensemble dans sa démarche globale ? « Nous souhaitons que tous les martiniquaiss’accaparent cette volonté de construction, quelles soient leurs idées et positions, et qu’ils viennent avec nous pour discuter, argumenter et proposer, pour qu’on puisse vraiment travailler à la construction globale de notre vivre-ensemble », souligne Guillaume de Reynal, « d’ailleurs ce que font toutes les personnes – de tout bord politique ou tout mouvement – est fait dans un but de progrès pour la Martinique. Donc nous pouvons travailler avec ces personnes. On peut faire une fédération d’associations ; on peut faire des réunions avec toutes les associations, pour essayer de produire un projet global. » L’appel est donc lancé.

                                                                                                  Mike Irasque

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