Les 10 et 11 février 2022
C’est un véritable honneur pour moi de vous parler de Michel YOYO, dans le cadre de ce colloque, ô combien important, sur la problématique de la prise en charge de nos aînés. Il suffit, en effet, de se rapporter à l’actualité du moment.
Mon propos sera articulé autour des principaux traits caractérisant le dr YOYO ainsi que ses actions dans le domaine de la santé, et, en m’appuyant sur divers témoignages, notamment de collaborateurs très proches de lui ainsi que de ses filles.
Après son installation à son cabinet dans le quartier populaire de Sainte Thérèse, où il exerce comme médecin libéral pendant quelques années, drMichel YOYO intègre le Centre Hospitalier du Lamentin comme praticien hospitalier à temps partiel, prenant en charge les enfants drépanocytaires, au Pavillon Mère Joseph, jusque-là, fonctionnant sous la responsabilité de Sœur Marie-Armelle.
Il me semble essentiel de vous donner une idée du cadre dans lequel les patients étaient, alors, pris en charge : des locaux délabrés, une toiture perméable à l’eau de pluie…
Dr YOYO sollicite donc du directeur Flavien CAPUT, l’installation de lits de pédiatrie au 2è étage d’un bâtiment dont les étages inférieurs abritaient
les personnes âgées. La question devait être traitée aux prochaines séances de la CME et du CA.
Mais, entre temps, les services météorologiques prévoient la survenue de fortes pluies. Aussi, Dr YOYO décide t-il, à l’insu de la Direction, d’organiser le transfert des lits.
Au cours du déménagement, alors qu’il portait un enfant dans ses bras, il voit venir le directeur qui, étonné, lui demande des explications.
Dr YOYO lui répond « ou pa ni bizwen vin tan pou an bosi antré adan an sèkèy drèt ».
Par la suite, pour continuer à prendre en charge les malades drépanocytaires âgés de plus de 16 ans, il alla exercer la médecine adulte au bâtiment Pidéry.
Il confie alors le secteur pédiatrie au dr Régine LOUIS-GUSTAVE, pédiatre…
Et c’est ainsi qu’est né le service de pédiatrie à l’hôpital du Lamentin.
1-2 Au fil du temps, le dr YOYO développe une remarquable expertise dans la
prise en charge des patients atteints de drépanocytose et de leucémie.
Il est inutile d’indiquer que les locaux du service Pidéry étaient très éloignés des standards européens, s’agissant du traitement des leucémies.
A l’ouverture de l’hôpital Pierre Zobda-Quitman, en 1984, dans lequel les malades étaient pris en charge dans de vraies chambres, on voit naître certaines tensions (sans parler de rivalités).
Le travail aux résultats pourtant satisfaisants, réalisé par le Dr YOYO et son équipe, était décrié à double titre : d’une part, le dr YOYO n’était pas qualifié « hématologue » et, d’autre part, les locaux ne répondaient pas aux normes réglementaires.
A la fois, amusé et agacé de ces mouvements stériles, il saisit l’opportunité de la visite du Professeur Jean BERNARD (âgé alors, de 93-95 ans), de renommée mondiale et pionnier du traitement de la leucémie.
Et le dr YOYO, d’inviter en Martinique le grand Professeur BERNARD, qui accepta, afin d’évaluer sa démarche thérapeutique dans la prise en charge des leucémies.
Il lui présente 5 malades ainsi que ses conditions d’exercice.
Je vous livre le commentaire du Professeur Jean BERNARD :
« La pratique de l’hématologie, comme du reste, la médecine, c’est surtout et avant tout, la connaissance, l’engagement et, l’éthique. Permettez-moi de vous féliciter car vous alliez assurément les trois. »
Après son départ, Michel YOYO fit le commentaire suivant : « kannari ou ni an roch adan épi twa fèy bwadenn, kanmarad ou pa pou palé ou mal. »
Dans le même temps, il s’intéressa aussi à la prévention de la maladie par le conseil familial et le diagnostic précoce, créant le Centre d’aide et de Recherche de la Drépanocytaire (CARD).
Il faut, d’ailleurs, souligner que l’un des plus grands spécialistes français et européen de la drépanocytose, le dr GALACTEROS, exerçant actuellement à l’hôpital Henri Mondor de l’APHP, a été au Centre Hospitalier du Lamentin, l’interne du dr Michel YOYO.
Très engagé dans les problématiques de santé publique, son engagement se manifeste dans la construction et la consolidation de notre système de santé (ex. : son rôle en tant que Président de la CME de l’hôpital du Lamentin, et en tant que Président du CA du Syndicat Interhospitalier de Martinique).
Cette action là est peu connue du grand public, cependant, s’avère d’une grande importance. Je peux, personnellement, témoigner de la phase de développement de cette structure tels que :
Ce parcours initial que je vous ai dépeint, nous montre déjà, s’il en était besoin, le côté bâtisseur du dr YOYO, assumant des risques, dans un contexte contraint mais, animé par un engagement total.
2) Le bâtisseur, ancré profondément dans son environnement et dans la société martiniquaise :
Mais, c’est bien à partir de l’expérience de la création et de l’ouverture du CEDIF (Centre d’Etudes, de Documentation, d’Information familiale et de Formation), un modèle de groupe de recherche autocentré sur nos réalités et ce, pendant de longues années ayant la particularité d’être pluridisciplaire, qu’il le démontre avec force.
Cette démarche a été initiée dès l’année 1965.
Il s’est agi d’un travail d’équipe ayant débouché sur des actions concrètes collectives, de formation, et sur un esprit CEDIF et, on même parlé de cédifiennes et cédifiens (tels le dr PRUDENT, Antoine MAXIME, anthropologue, Raymond SAINT LOUIS AUGUSTIN, psychologue scolaire, Germain BEAUBRUN, psychologue, drETIFIER, Thérèse YOYO.
Aussi, je ne peux m’empêcher de vous livrer quelques éléments d’untémoignage qui résument tous ceux que j’ai recueillis lors d’entretiens avec les principaux acteurs de cette expérience CEDIF.
Ecoutons Antoine MAXIME :
« Je me demande si la Martinique se rend compte de ce que représentent ces hommes et femmes du CEDIF, certes, ni sous, ni sur-hommes et femmes, mais qui ont été tellement précieux pour notre pays. A tel point qu’aujourd’hui, ceux qui l’ont fréquenté ou en ont bénéficié, singulièrement dans le cadre du CEDIF, constatent qu’un tel organisme nous manque cruellement aujourd’hui. Michel est de ces militants qui ont mené de pair, de multiples défis : celui de fils, de mari, de père, de médecin, d’innovateur, de militant infatigable, sans pour cela prétendre représenter un modèle en tout.
En ce qui me concerne, je retiens qu’il fut l’initiateur du CEDIF, avec d’autres militants tels que les PRUDENT, ETIFIER, MADELEINE, CARISTAN, VATON, LOUILOT, et bien d’autres.
Il fait partie de ces martiniquais conscients d’appartenir à un Peuple ; de ces militants responsables qui s’engagent corps et âme, à apporter leur contribution à la construction, au développement de notre Peuple, au-delà de leur profession, de leur propre famille, en prenant en compte les problèmes concrets de leur époque ; convaincus que pour les résoudre : il faut rassembler les enfants du pays de tous bords, de tous milieux, de compétences diverses, en dehors des partis, des églises, des syndicats, des clans et dans le respect des appartenances.
C’est pourquoi le CEDIF dont il est l’un des principaux fondateurs et formateurs, regroupait des hommes et femmes, de partis différents (GRS, PS, PPM, des gens de droite comme de gauche) ; d’églises et de
croyances différentes (adventistes, catholiques) mais aussi, des agnostiques, des athées.
Sans canoniser Michel, comment ne pas nous rappeler que des hommes, des médecins, Militants Rassembleurs comme Lui, il nous en faudrait beaucoup dans notre société d’aujourd’hui ?
Membre depuis 1989, du conseil d’administration de l’AMDOR (Association Martiniquaise pour la promotion et l’insertion de l’Age d’Or) créée en mai 1986, le dr YOYO en a assuré la présidence de 1993 à 2013.
Il y a consacré pendant ses 20 années un investissement de fond, tant dans la réflexion que dans les actions relevant du champ fondamental de la santé publique, relatives aux activités de conseil, de prise en charge, de recherche et d’accompagnement des personnes âgées.
Le nombre de colloques organisés, (e tout au long de sa présidence sur ce thème, témoigne de son grand intérêt quant à cette question du vieillissement de la population, sur ces différents aspects démographiques, sociaux, économiques et culturels.
Sans être exhaustif, j’en citerai quelques-uns, organisés avec l’appui sans faille de son complice et directeur, Frantz REMY :
– « L’intergénération : l’état des lieux – Perspectives et défis » : 11è rencontres gérontologiques : 2001
Constitue le dernier champ du secteur de santé publique dans lequel le dr YOYO s’est pleinement investi, en acceptant de seconder le dr Jean MAGDELEINE, dans la direction médicale de la structure, dans un premier temps et, de prendre la présidence du CA, dans un deuxième temps, par amitié pour celui qu’il considérait comme son frère de cœur car il se savait malade.
Pour mémoire, il s’agit d’une structure de santé datant de plus d’une centaine d’années (110/120 ans), dont la mission consiste en la mise en œuvre d’une politique d’accès aux soins aux plus démunis ; comprenant une plate-forme de médecins spécialistes (gynécologues, cardiologues, radiologues…) autour de médecins généralistes, dans l’objectif d’une prise en charge rapide.
S’agissant de son action et de sa vision stratégique en matière de gouvernance, je peux parler de son combat, de sa ténacité à vouloir maintenir jusqu’à la dernière minute, l’accompagnement de cet outil, en dépit d’une vision des tutelles pas toujours en phase avec ses idéaux.
Une de ses filles, Valérie, médecin comme lui, et qui a exercé à la SHM, dresse ainsi le portrait de son père :
« Juste, visionnaire, taquin, exigeant le meilleur en chacun, plein d’amour et de compassion : c’est Papa ! ».
Je terminerai mon propos, en rappelant que Michel YOYO exerçait toutes ces actions dans le champ de la santé, tout en ayant une vision politique très claire, au travers d’une analyse de santé sociale, à savoir : lutter contre les inégalités, l’analphabétisme, l’ignorance et le progrès social.
Et de fait, dr YOYO a été Premier Secrétaire de la Fédération Socialiste de la Martinique, de 1983 à 1990, Conseiller Régional sous le mandat…
Il mena un combat pour redynamiser le parti, par « une action politique mesurée, mais ferme et astucieuses, basée sur des principes démocratiques, en s’appuyant sur les jeunes générations, sans pour autant s’aliéner le soutien des élus socialistes en place (Casimir BRANGLIDOR, Maurice LOUIS JOSEPH DOGUE, Ernest WAN AJOUHU, Olga DELBOIS) ».
C’est à cette période, que dès 1983, la FSM obtenait trois sièges au sein de l’Assemblée Régionale qui venait d’être mise en place, dans la cadre de la décentralisation. Et c’est ainsi, que Michel YOYO devient conseiller régional en charge de la santé. Et, comme tel, il conduit une action de coopération avec Haïti, en vue de la construction du centre de santé primaire à Taïfer dans la ville de Carrefour en 1988.
CONCLUSIONS GENERALES CONCERNANT LE PARCOURS DU DR Michel YOYO et du DR Georges VATON
Il s’agit de deux médecins qui ont eu connu des parcours exemplaires et qui se sont distingués par leur militantisme, leur engagement, leur humanisme, leur contribution concrète à l’application d’une vision de la santé publique en Martinique, par leur souci de la transmission.
Leurs parcours présentent des similitudes et de nombreux points communs.
Le niveau d’engagement dans la réalité martiniquaise au travers de leur profession, prenant en compte de manière permanente une démarche de prévention et adaptant leur communication à la population.
Leurs routes se croiseront à plusieurs reprises, lors d’actions entreprises dans le champ de la santé stricto sensu mais aussi dans les domaines du médico-social et du social.
Enfin, je voudrais vous citer, en conclusion, une réflexion du dr YOYO, tentant de tracer une sorte de bilan de ses actions :
« Mes enthousiasmes, je les ai épuisés dans l’exercice de ma profession, avec des moments forts, qui n’étaient pas seulement liés à des succès professionnels, mais aussi la joie de savoir ou sentir reconnu, ou proche de l’autre, notre alter ego.
Mais l’enthousiasme, c’est aussi au décours ou pendant une discussion, de découvrir que ce qu’on pense « n’est pas si con que ça », que notre voix trouve des échos parfois insoupçonnés.
De grands enthousiasmes, c’est aussi, avec les proches « d’être en communion », ce qui permet parfois de se dépasser, de se révéler et d’exister et, de se sentir autre, le même et différent, dans notre quête d’humanité ».
Robert TAYLOR
Directeur d’hôpital honoraire