3 avril 2020 | Par Mathis Cohen, coordinateur du pôle numérique de Terra Nova et Simon Matet, coordinateur du pôle data de Terra Nova

La lutte contre la pandémie de Covid-19 conduit les gouvernements à travers le monde à mettre en place des stratégies sanitaires jusqu’alors inimaginables. Avec plus de la moitié de l’humanité confinée à domicile, ce virus a un impact significatif sur l’ensemble des composantes de nos sociétés.

Cette crise a transformé le numérique en un élément fondamental de continuité sociale, économique et administrative. La vie continue grâce, en partie, au numérique. Le bond en avant des usages technologiques est sans précédent. Mais cette crise dévoile également nos faiblesses dans la continuité de service, les outils qui ne répondent pas aux besoins, les problèmes de saturation liés au nombre de connexions. La crise exacerbe aussi les conséquences des inégalités d’accès au numérique et notamment à l’équipement. Quand le numérique devient prépondérant dans l’ensemble des domaines, l’équipement doit devenir une priorité.

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 Le numérique joue également un rôle essentiel dans la politique sanitaire contre le Covid-19. 

 

Une multitude de nouveaux usages se développent. Nous proposons donc une typologie pour mieux les appréhender :

Les dispositifs d’analyse qui visent à suivre et modéliser l’avancée de l’épidémie. S’ils ne sont pas nouveaux, cette crise oblige à un partage de données entre entreprises et institutions sans précédent.

Les dispositifs de ‘counseling’ destinés aux individus, à l’auto-évaluation de la maladie et à l’isolement volontaire. Ces dispositifs sont divers, du simple questionnaire en ligne pour orienter le malade au dispositif de ‘backtracking’ permettant de retracer ses interactions et de s’isoler en cas de contacts à risques. Ces derniers représentent un défi pour nos démocraties qui doivent mettre en balance un risque d’intrusion massive et sans précédent dans la vie privée des citoyens et l’objectif d’enrayement de l’épidémie quand le confinement prendra, inévitablement, fin. Nous sommes convaincus qu’un équilibre peut être trouvé et que ces dispositifs doivent faire partie intégrante de la réponse à la crise sanitaire.

Les dispositifs de contrôle qui visent à permettre un suivi individualisé de l’épidémie et à automatiser les contrôles jusqu’alors assurés manuellement par les autorités sanitaires. A côté du recours massif aux données personnelles, très développé en Chine par exemple, d’autres modèles de contrôle de la quarantaine moins invasifs existent cependant.

 

Quel rôle jouera alors le numérique dans la sortie de crise ? 

 

Toute stratégie de sortie de crise reposera avant tout sur un accès massif aux tests, des choix précis quant à l’obligation ou non de rester en isolement en cas de symptômes voire de contact avec une personne malade, et un choix clair et assumé entre un endiguement total de l’épidémie et une maîtrise du nombre de cas dans la durée. Le numérique sera alors un outil précieux pour mettre à l’échelle des pratiques de sécurité sanitaire établies et permettra des stratégies d’endiguement et d’atténuation qui seraient impossibles sans la réactivité permise par les technologies modernes.

 

Il faut préalablement opérer une distinction précise entre gestion des données personnelles permettant le respect de la vie privée et nouveaux instruments technologiques de gouvernement.

 

 La première est clairement encadrée par le RGPD et la CNIL. Les seconds obéissent à une logique différente dans un contexte d’urgence sanitaire et de nécessaire innovation. Il ne s’agira pas de contrôler l’utilisation de données personnelles, mais de concevoir, implémenter et contrôler de nouvelles solutions qui, dans l’idéal, ne collecteront même pas de données personnelles.

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 C’est pourquoi nous proposons de :Créer une nouvelle autorité administrative indépendante en charge d’encadrer et contrôler les dispositifs et les algorithmes utilisés dans la sortie de crise puis demain pour l’ensemble des algorithmes utilisés par l’Etat.

 

 Cette autorité permettra d’instaurer un climat de confiance qui augmentera le taux de recours à ces solutions. Placé à côté de la CNIL, sa principale mission sera de permettre l’innovation publique tout en assurant un encadrement et un contrôle proportionnel.

Cette nouvelle institution créée, le numérique pourra pleinement s’inscrire dans la stratégie de sortie de crise :

Créer une application ‘hub’ pour lutter contre le coronavirus. Véritable engagement citoyen, cette application volontaire regrouperait un ensemble de services : auto-diagnostic et suivi médical, annuaire des plateformes d’entraide et ‘backtracking’ bluetooth respectueux de la vie privée (stockage local, identifiants cryptés et temporaires). Selon la stratégie de sortie de crise retenue, cette application permettra soit d’aider à endiguer complétement l’épidémie, soit de limiter la proportion de la population qui serait touchée en cas de propagation importante. Nous calculons que, même dans le cadre d’une sortie de confinement avant l’endiguement complet de l’épidémie, l’adoption d’une telle application par 25% des Français permettrait de réduire de moitié le nombre de décès, ce qui à l’échelle du Covid-19 représenterait des centaines de milliers de vies épargnées en France.

 

S’inspirer des stratégies sanitaires manuelles pour permettre des dispositifs de contrôle numérique volontaires avec une application de suivi du confinement personnalisée et une application de digitalisation de l’autorisation de sortie.

 Nous pensons que de telles applications peuvent être designées de façon à respecter la vie privée des individus. Ces applications permettent d’assurer une plus grande sécurité sanitaire et une liberté de mouvement pour le plus grand nombre tout en facilitant grandement le travail des forces de l’ordre.

Le public doit s’approprier pleinement ces dispositifs – tout particulièrement ceux de ‘backtracking’ – pour qu’on puisse espérer une amélioration de la situation sanitaire. Il faut prendre la mesure du défi : même en isolant 100% des patients moins de 24h après l’apparition des premiers symptômes, s’il n’est pas possible de retrouver et d’isoler plus de la moitié de leurs contacts pendant la phase d’incubation, la France devra se préparer à une propagation à grande échelle du virus et un bilan de plusieurs dizaines ou centaines de milliers de morts au sortir du confinement.

 

 Pour assurer une plus grande participation, nous appelons à une campagne d’aide à l’équipement des 20 à 25% des Français qui n’ont pas de smartphone aujourd’hui.

La France s’appuie sur une division des pouvoirs claire avec des institutions de contrôle législatif, judiciaire et même administratif forts qui lui permet de mettre en place de tels dispositifs tout en assurant la protection des libertés fondamentales. Si nous ne sommes pas en mesure d’utiliser ces nouvelles technologies pour protéger nos populations aujourd’hui et pour simplifier la vie de nos concitoyens demain, alors nous serons non seulement dépassés par les autres puissances mais condamnés à vivre dans la dépendance des technologies d’entreprises étrangères. Car nos concitoyens, eux, ne s’encombrent pas de ces considérations quand ils souhaitent utiliser un nouveau service.

 

La pandémie de Covid-19 conduit aujourd’hui la moitié de l’humanité à être confinée à domicile. La lutte contre le virus et la limitation des libertés publiques qu’elle entraîne varient cependant d’un pays à l’autre. Ainsi, en France métropolitaine, les entraves à la liberté d’aller et de venir et le niveau de surveillance de la population sont inégalés depuis la Seconde Guerre mondiale.

 

La mise en place soudaine du confinement puis son durcissement et son renouvellement ont profondément bouleversé l’économie et l’administration. L’Etat a réagi rapidement pour permettre aux entreprises de faire face du mieux possible à la crise. Cependant, le bouleversement du pays et de ses forces vives est visible.

Dans ces conditions, les outils numériques – et de façon plus précise les technologies de l’information – sont devenus en l’espace de quelques heures indispensables pour permettre au pays de continuer à fonctionner. Certes, les déplacements professionnels sont toujours autorisés mais, dans les faits, le recours à une forme continue de télétravail est massif. Ainsi 8 millions de salariés sont en mesure de télétravailler soit 4 emplois sur 10[1].

[1] « Coronavirus – COVID-19 et monde du Travail ». Ministère du Travail, 29 mars 2020,http://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/communiques-de-presse/article/coronavirus-covid-19-et-monde-du-travail.

    

 

 En parallèle, l’Etat s’adapte, numérise ses démarches administratives[2] et fait passer en urgence les ordonnances permettant aux administrations de remplir leur mission de façon non-présentielle[3].

Ce sont aussi ces technologies qui permettent de consulter un médecin, de rester en contact avec ses proches, de s’instruire, de faire du sport, de se divertir…. A la fin de cette période de confinement, peu d’entre nous – même les plus éloignés de ces outils – n’auront pas utilisé directement ou indirectement au moins l’une de ces possibilités. Dans une forme d’apprentissage rapide et contrainte, notre société va franchir une étape dans l’utilisation à grande échelle des outils numériques. C’est une transformation majeure dont il conviendra d’analyser l’impact à l’issue de cette crise. Ainsi, si la quarantaine est, dans l’ensemble, relativement bien acceptée pour le moment, il est probable que le numérique en soit l’une des principales raisons.

Trois éléments sont particulièrement représentatifs de ce bond en avant. Tout d’abord, le télétravail. Nous l’avons déjà évoqué, il est maintenant massif et oblige à une digitalisation rapide de nombreuses organisations (entreprises ou administrations). De nouvelles procédures sont instaurées, des outils s’imposent, des habitudes se prennent. La démonstration est faite, dans bien des cas, que les salariés restent productifs et que la distance ne rompt pas la confiance dans les relations de travail. Il faudra bien sûr faire un bilan de ces expériences en restant attentif aux inégalités en la matière ainsi qu’aux effets pervers (mélange vie privée/vie professionnelle, nouvelles formes de surveillance à distance, sentiment de solitude, enfermement sur soi, dépressions, etc.). Car nous expérimentons un travail à la maison improvisé et imposé bien éloigné de la philosophie du télétravail qui prévalait jusqu’à présent, c’est-à-dire d’une activité devant en principe être discontinue, aménagée (dans un espace réservé), équipée (avec du matériel, notamment informatique, adéquat, des connexions fiables) et supervisée de manière adaptée etc. Mais cette expérience grandeur nature encouragera sans doute un développement rapide du télétravail en France et entraînera une transformation des organisations ainsi que des externalités positives (notamment en matière écologique : moins de transports, donc moins d’émissions de gaz à effet de serre…).

[2] Face au Covid-19, les « démarches simplifiées » deviennent un réflexe pour les administrations. Acteurs Publics, https://www.acteurspublics.fr/evenement/face-au-covid-19-les-demarches-simplifiees-deviennent-un-reflexe-pour-les- administrations.

[3] Ordonnance n° 2020-347 du 27 mars 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l’état d’urgence sanitaire | Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/eli/ordonnance/2020/3/27/CPAX2008185R/jo/texte. Consulté le 29 mars 2020.

 

 

 Le second concerne naturellement la médecine. L’ensemble des freins à l’adoption de la télémédecine ont été rapidement levés par décret[4] et il est maintenant possible de consulter à distance sans ordonnance préalable de son médecin traitant[5]. En parallèle, les acteurs privés se sont mobilisés pour offrir au plus grand nombre de médecin des solutions techniques – parfois gratuitement[6]. Ainsi, du 1er au 28 mars, ce sont plus de 600 000 téléconsultations qui ont été réalisées, contre seulement 10 000 par semaine jusqu’alors[7]. Le secteur de la santé a également su offrir dans de très brefs délais de nouveaux outils d’auto-diagnostic, d’information et de suivi aux malades du Covid-19[8]- que nous présentons précisément dans notre deuxième partie.

 

Enfin, l’élan de générosité spontané des Français est largement soutenu par des initiatives numériques qui permettent d’apparier plus simplement les besoins et les aidants. C’est le cas de jeveuxaider.fr mis en place par le gouvernement, qui répertorie les demandes d’aide de la part d’associations et de particuliers. Chacun peut consulter la plateforme et rendre service (aide pour les courses, distribution de produits de première nécessité, garde d’enfant, …). Nous pouvons également citer l’exemple de la plateforme solidaires- handicaps.fr qui se concentre sur l’aide aux personnes en situation de handicap.

Toutefois, la pandémie actuelle met à nu les défaillances de certains systèmes. Ainsi, en ce qui concerne les capacités stratégiques de l’État, la situation peut être considérée comme problématique. L’Éducation Nationale, par exemple, apprend sur le tas, les enseignants n’étant que peu formés sur des plateformes qui peinent – du moins dans un premier temps – à soutenir la charge des connexions simultanées (beaucoup d’enseignants communiquent avec leurs élèves via les espaces de dialogue des plateformes de “gamers” qui se sont révélées particulièrement robustes d’un point de vue technique).

[4] Décret no 2020-227 du 9 mars 2020 adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces d’assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au covid-19. Légifrance, https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000041704122.

[5] Dans le contexte actuel de crise, les autorités sanitaires ont assoupli le recours à cette modalité de consultation, habituellement réservée au médecin traitant ou à un praticien déjà consulté en cabinet dans l’année précédente.

[6] Stromboni, Camille. « Face au coronavirus, l’essor de la télémédecine ». Le Monde.fr, 30 mars 2020. Le Monde, https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/30/face-au-coronavirus-l-essor-de-la-telemedecine_6034961_3224.html.

[7] Croissance record du recours à la téléconsultation en mars. Union nationale des caisses d’assurance maladie, 31 mars 2020, https://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/20200331_-CP_Teleconsultations_Covid_19.pdf.

[8] Mission Société Numérique, Laboratoire d’Analyse et de Décryptage du Numérique. « Project Name ». auto-évaluation des symptômes covid19, vérification des médicaments, consultation et suivi à distance : tout un pan du système de santé se dématérialise, 25 mars 2020, https://labo.societenumerique.gouv.fr/2020/03/25/auto-evaluation-des-symptomes-verification- des-medicaments-teleconsultation-suivi-a-distance-le-parcours-de-prevention-et-de-soins-covid19-se-dematerialise/.

      

 Plus problématique encore, le système mis en place laisse les élèves très souvent livrés à eux-mêmes, dans le pire des cas, ou à la charge de leur famille. Si la continuité des cours et des exercices est à peu près assurée, la question de l’évaluation et de la validation du travail des élèves reste problématique, surtout pour les élèves qui arrivent au baccalauréat.

La faille principale tient aux inégalités. Si 91% des 12-17 ans disent avoir accès à un ordinateur et 99% accès à internet[9], que veulent dire ces chiffres quand l’ordinateur est à partager entre tous les membres de la famille ? On sait par ailleurs que seulement 64% des plus bas revenus possèdent un ordinateur à la maison et que 79%[10] ont accès à internet. Parmi les enfants qui ont accès à internet mais pas d’ordinateur à la maison (et pas d’imprimante…), la plupart n’ont que leur smartphone comme seul outil numérique, ce qui ne permet pas de rendre des travaux scolaires dans des formats attendus. Dans ces conditions et sans parler de la qualité du débit et des zones blanches, on comprend mieux que la fracture numérique inquiète parents et professeurs. Le Ministre de l’Éducation Nationale considère qu’entre “5 et 8%” des élèves ont été “perdus” par leur enseignant[11], chiffre qui – au vu des différents entretiens que nous avons pu mener – ne reflète pas entièrement la réalité de certains établissements situés dans les quartiers difficiles.

Ce constat ne se limite malheureusement pas à l’Education Nationale. Ces inégalités varient également fortement en fonction de l’âge, du niveau d’étude et, comme nous l’avons dit, du revenu. Et même si une partie significative des gens qui hier n’utilisaient pas internet alors qu’ils y avaient accès vont, avec la crise, l’utiliser plus fréquemment, une grande partie de nos compatriotes resteront à l’écart faute d’équipement. Il nous faudra demain investir pleinement cette question alors que le numérique prend une place toujours plus importante dans nos vies et qu’il peut, en pareilles circonstances, être le dernier recours pour maintenir une vie sociale. Parallèlement, nous ne pouvons que saluer l’initiative de la MedNum qui, avec le soutien du Gouvernement, a mis en place un numéro vert pour aider les personnes équipées et qui ne parviennent pas à utiliser les différents services en ligne aujourd’hui indispensables[12].

[9] BAROMÈTRE DU NUMÉRIQUE 2019. CRÉDOC, novembre 2019, https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport- barometre-num-2019.pdf.

[10] BAROMÈTRE DU NUMÉRIQUE 2019. CRÉDOC, novembre 2019, https://www.arcep.fr/uploads/tx_gspublication/rapport-barometre-num-2019.pdf.

[11] « Ecole à la maison : « Entre 5 et 8 % des élèves» sont injoignables, selon Blanquer ». leparisien.fr, 31 mars 2020, http://www.leparisien.fr/societe/ecole-a-la-maison-entre-5-et-8-des-eleves-sont-injoignables-selon-blanquer-31-03-2020- 8291166.php.

[12] Solidarité Numérique, La MedNum, https://solidarite-numerique.fr. Consulté le 30 mars 2020.

       

 A la question de savoir si nous étions prêts – d’un point de vue numérique – à faire face à la crise, la réponse semble évidente : bien sûr que non. Comment aurait-il pu en être autrement ? Pouvons-nous reprocher à la puissance publique de ne pas avoir dimensionné ces outils pour un recours aussi massif et simultané qu’aujourd’hui ? Cela semble difficile. Remarquons en outre qu’après un temps d’adaptation, les services fonctionnent. Sont-ils ergonomiques ? Permettent-ils une véritable continuité du service public ? Les retours des usagers semblent démontrer le contraire et il conviendra d’en tirer les conclusions à l’issue de la crise. Mais enfin, ils ont progressé.

Nous avons la conviction que cette situation va conduire à surmonter un certain nombre d’obstacles à la digitalisation de notre administration et plus largement de notre économie. Ce qui paraissait impossible hier va sembler probablement banal dans les prochaines semaines. Et si le télétravail semble être la fonctionnalité la plus évidente, il faudra être à l’écoute de ces nouveaux usages qui changeront profondément notre société. Combien de médecins auront ouvert des téléconsultations ? Combien de familles, d’amis se seront connectés ensemble pour faire un appel vidéo, un apéro virtuel ? Combien de Français auront suivi un cours de sport, de cuisine ?

Le numérique n’est pas uniquement un outil de continuité économique, administrative ou encore sociale. Il est aussi un outil de la gestion de la crise sanitaire. De nombreux Etats ont fait le choix de développer des outils numériques pour contrôler l’expansion de l’épidémie. Il n’est pas question ici de faire un inventaire de l’ensemble des solutions mobilisées. D’une part, parce que les médias et la recherche s’en chargent de façon admirable et, d’autre part, parce que cette liste serait probablement dépassée avant même la publication de cet article. En effet, chaque jour un nouveau dispositif est annoncé par un gouvernement. Nous souhaitons plutôt proposer une typologie pour approcher l’ensemble des solutions existantes :

Dispositifs d’analyse : Ces dispositifs visent à suivre et modéliser l’avancée de l’épidémie. Ils ont été largement popularisés par des outils de visualisation des données sanitaires. Le plus connu d’entre eux est celui qui a été mis en place par un laboratoire de l’université John Hopkins[13]. D’autres exemples de visualisation se basent sur les données des réseaux sociaux ou encore les données GSM (téléphone mobile)[14].

[13] Johns Hopkins Coronavirus Resource Center. Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University, https://coronavirus.jhu.edu/. Consulté le 30 mars 2020.

[14] Morse, Jack. « As Coronavirus Spreads, yet Another Company Brags about Tracking You ».Mashable, https://mashable.com/article/coronavirus-location-data-tracking-mobile-phones/.

   

 En parallèle, l’Inserm collabore avec l’opérateur téléphonique Orange pour modéliser les déplacements des personnes sur le territoire et pour analyser la mobilité dans le cadre du confinement[15]. Anonymisées, ces données permettent d’apprécier de façon générale le respect des règles de confinement. De pareilles analyses ont montré qu’en Lombardie la discipline collective n’était guère respectée[16]. D’autres pays utilisent ces possibilités. À l’échelle de l’Union européenne, la Commission a fait appel aux différents opérateurs et chaque État est invité à mettre en place des collaborations de ce type. En France, Orange a déjà commencé à communiquer des données à des institutions publiques (préfecture de police, AP-HP, Samu…) permettant de connaître le nombre de Parisiens ayant quitté la capitale au début du confinement[17].

Cependant, les outils d’analyse les plus importants sont bien ceux qui modélisent l’épidémie de façon à prévoir différents scénarios d’évolution. Ils servent notamment à situer le pic épidémique ou encore à choisir le moment le plus opportun pour organiser une première sortie du confinement. Ces outils sont largement utilisés à l’heure actuelle et depuis de nombreuses années[18].

Dispositifs de counseling : destinés aux individus, ces dispositifs sont dédiés à l’auto-évaluation de la maladie. Très rapidement mis en place par des acteurs de la French Tech[19], ils permettent à chacun de s’orienter en fonction de ses symptômes (confinement strict, numéro vert, contact du 15…). Un réseau public de sociétés savantes et de CHU a également élaboré une plateforme de pharmacovigilance pour s’assurer qu’un traitement ne présente pas de risque lors de l’apparition de symptômes du Covid-19[20]. De son côté, l’AP- HP et Nouveal e-santé ont développé une plateforme, Covidom, permettant le suivi des malades du Covid-19 à distance[21].

[15] Inserm, « Les statistiques issues du réseau de téléphonies mobiles au service de la lutte contre la pandémie de Covid- 19 », 27 mars 2020, https://presse.inserm.fr/les-statistiques-issues-du-reseau-de-telephonies-mobiles-au-service-de-la-lutte- contre-la-pandemie-de-covid-19/38831/

[16] « Coronavirus : la Lombardie contrôle les déplacements grâce aux… smartphones », Sud Ouest, https://www.sudouest.fr/2020/03/18/coronavirus-la-lombardie-controle-les-deplacements-grace-aux-smartphones-7341053- 10861.php. Consulté le 2 avril 2020.

[17] « Confinement : plus d’un million de Franciliens ont quitté la région parisienne en une semaine », Le Monde, 26 mars 2020 ; https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/03/26/confinement-plus-d-un-million-de-franciliens-ont-quitte-la-region- parisienne-en-une-semaine_6034568_4408996.html

[18] Larousserie, David, « Comment l’épidémiologie tente de cerner l’épidémie due au nouveau coronavirus », Le Monde, 30 mars 2020 ; https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/03/30/comment-l-epidemiologie-tente-de-cerner-l-epidemie-due- au-nouveau-coronavirus_6034947_1650684.html

[19] MaladieCoronavirus.fr. ; https://www.maladiecoronavirus.fr. Consulté le 30 mars 2020.

[20] Réseau national des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), le département de pharmacologie du CHU de Bordeaux et Synapse Medicine, « Covid-19 : soyez vigilants sur les médicaments » ; https://www.covid19- medicaments.com/. Consulté le 30 mars 2020.

[21] AP-HP, « Covidom : une solution de télésuivi à domicile pour les patients porteurs ou suspectés Covid-19 co-construite par l’AP-HP et Nouveal e-santé »; https://www.aphp.fr/contenu/covidom-une-solution-de-telesuivi-domicile-pour-les-patients- porteurs-ou-suspectes-covid-19

            

 Une fois son diagnostic effectué, un médecin peut inscrire son patient sur la plateforme. Quotidiennement, le patient répond à une série de questions sur son état de santé et pourra être contacté directement par une équipe si nécessaire. Avec Covidom 2, l’AP-HP cherche à aller plus loin en oxygénant à domicile un patient à l’aide d’un respirateur connecté permettant le suivi médical à distance[22].

La dimension la plus importante des dispositifs de counseling réside probablement dans les techniques de backtracking permettant de retracer les contacts d’une personne contaminée à partir de ses déplacements. Ces solutions cherchent à compléter les enquêtes épidémiologiques visant à informer les personnes ayant été en contact avec un malade. Elles sont déjà très largement utilisées à travers le monde.

De cet ensemble, deux grandes familles se dégagent : les dispositifs se basant sur la géolocalisation des utilisateurs et les dispositifs se basant sur les contacts des utilisateurs. Utilisant différentes technologies, ils n’ont pas le même impact sur les données personnelles collectées.

Les dispositifs se basant sur la géolocalisation des utilisateurs se servent des données GPS et des données GSM[23] pour sauvegarder les déplacements. Ainsi, en Corée du Sud, le gouvernement collecte les données de géolocalisation des personnes qui ont été testées positives au coronavirus et qui acceptent de les partager. Ces données sont ensuite anonymisées et agrégées. Elles sont enfin rendues disponibles à tous sur un site Internet. Les entrepreneurs privés ont développé des applications diverses, dont la plus connue est une application qui permet de comparer ses propres déplacements avec le fichier des personnes contaminées[24]. Si un lieu a été fréquenté à la fois par une personne infectée et par l’utilisateur, celui-ci recevra alors une notification et pourra décider de se placer en quarantaine. Cependant, la qualité du signal, le GPS, n’est ni très fiable (notamment dans les espaces fermés ou souterrains) ni très précise. L’information partagée ne permet pas à l’utilisateur de savoir si le contact a été prolongé ou rapproché. Israël a suivi l’exemple coréen tout en laissant à l’État le soin de développer lui-même l’application de comparaison des déplacements. Il est important de noter que ces dispositifs ne permettent pas la surveillance des populations mais peuvent être considérés comme intrusifs pour la vie privée.

[22] « Coronavirus : l’AP-HP teste les respirateurs à domicile », Le Parisien, 31 mars 2020, http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-l-ap-hp-teste-les-respirateurs-a-domicile-31-03-2020-8291103.php

[23] Données des antennes-relais téléphoniques.

[24] Dudden, Alexis et Andrew Marks, « South Korea Took Rapid, Intrusive Measures against Covid-19 – and They Worked », The Guardian, 20 mars 2020 ; https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/mar/20/south-korea-rapid-intrusive- measures-covid-19

    

 C’est l’option retenue par Singapour avec son application facultative TraceTogether, qui a enregistré plus de 1 million de téléchargements depuis son lancement[25]. Cette application, dont l’usage est volontaire[26], repose sur la technologie bluetooth, protocole de communication entre deux appareils connectés. Le smartphone de l’utilisateur émet en permanence en bluetooth un identifiant crypté que les autres utilisateurs captent quand ils sont à proximité immédiate.

Au fur et à mesure de la journée, l’utilisateur enregistre dans la mémoire de son téléphone l’ensemble de ses contacts avec les autres utilisateurs, qu’il les connaisse ou non. À intervalles réguliers, l’identifiant unique de chaque utilisateur change. Ces identifiants sont anonymes. Ainsi, un même identifiant n’est utilisé que sur une courte période, ce qui restreint la possibilité de suivi des utilisateurs. Quand une personne est testée positive au virus, elle fournit volontairement l’ensemble des identifiants des utilisateurs rencontrés aux autorités, qui les rendent disponibles sur l’application. La comparaison entre les identifiants se fait directement sur l’appareil de l’utilisateur concerné et des recommandations de quarantaine ou de suivi médical lui sont communiquées.

Cette technologie n’est pas invasive pour la vie privée car aucune donnée personnelle n’est collectée (géolocalisation, liste des contacts…)[27]. De plus, elle est plus fiable que les données GPS car la communication bluetooth permet de connaître la durée du contact entre deux utilisateurs ainsi que le niveau de proximité (en fonction de la puissance du signal reçu).

Cette solution, respectueuse des données personnelles des utilisateurs ainsi que de leur vie privée, semble intéresser de nombreux pays européens à l’instar de l’Allemagne, du Royaume-Uni mais également de la France. Le chef de l’État a en effet décidé d’installer un conseil scientifique (le Comité analyse, recherche et expertise) pour éclairer le gouvernement sur différents enjeux dont la question du backtracking[28].

[25] Lawrence Wong, « About 1 Million People Have Downloaded TraceTogether App, but More Need to Do so for It to Be Effective », The Straits Times, 1eravril 2020 ; https://www.straitstimes.com/singapore/about-one-million-people-have- downloaded-the-tracetogether-app-but-more-need-to-do-so-for

[26] Hariz Baharudin et Lester Wong, « Coronavirus: Singapore app allows for faster contact tracing », The Straits Times, 21 mars 2020 ; https://www.straitstimes.com/tech/singapore-app-allows-for-faster-contact-tracing

[27] Seul point noir, les utilisateurs des smartphones de la marque Apple – qui représentait 23 % des smartphones en France – n’ont pas facilement la possibilité d’émettre en continu un signal bluetooth.

[28] Ministère des Solidarités et de la Santé, « Installation du comité analyse, recherche et expertise (CARE) », 24 mars 2020 ; http://solidarites-sante.gouv.fr/actualites/article/installation-du-comite-analyse-recherche-et-expertise-care

     

 Reste à savoir si les dispositifs de backtracking peuvent être efficaces ? C’est ce que tend à démontrer une étude publiée dans la revue Science[29]. Cette étude trouve qu’un isolement strict des cas dès les premiers symptômes, associé à la quarantaine de tous leurs contacts des quatorze jours précédents possède une efficacité pour contrôler les chaînes de transmission ; mais, surtout, les auteurs déterminent dans leur modèle que l’efficacité des autorités à entrer en relation avec les contacts d’un cas avéré est insuffisante en cas de moyens classiques (interrogatoires en face à face, appels téléphoniques). Seule une meilleure réactivité, en quelques heures, comme celle permise par un traçage automatique, est susceptible de garantir l’efficacité de la stratégie isolement- quarantaine pour stopper les chaînes de transmission à temps.

Selon les auteurs, un dispositif de ce type peut permettre un contrôle de l’épidémie même s’il n’est pas adopté par l’ensemble de la population. Trois facteurs sont cependant déterminants : une politique de test des personnes présentant des symptômes, une participation suffisamment importante de la population et le suivi des recommandations de quarantaine pour les personnes considérées à risque. En pratique, même si l’ensemble des contacts identifiés accepte de se soumettre à une quarantaine 24 heures après l’apparition des symptômes chez un patient croisé, l’enrayement et l’extinction de l’épidémie nécessitent de retracer, pour chaque cas, plus de 50 % des contacts. En se reposant uniquement sur l’application, cela suppose une adoption massive de l’application par 75 % de la population[30].

Si ces chiffres paraissent décourageants, ils soulignent surtout l’impératif de recourir, en plus d’un dispositif classique d’isolement de la famille et des collègues, à des solutions numériques de backtracking comme seule alternative efficace au confinement universel d’une population. Si le traçage intervient manuellement, avec un délai de plus de 72 heures entre l’apparition des symptômes et l’isolement des contacts, l’enrayement de l’épidémie devient impossible. La question est donc bien : quel degré d’immixtion dans nos vies privées sommes-nous prêts à troquer pour alléger l’atteinte actuelle à la liberté d’aller et venir. On le voit, l’adhésion de la population à ce genre de dispositifs est cruciale pour permettre leur réussite. Ils doivent donc s’accompagner de garanties quant à la protection de la vie privée et des données personnelles.

[29] Ferretti, Luca, et al., « Quantifying SARS-CoV-2 Transmission Suggests Epidemic Control with Digital Contact Tracing », Science, mars 2020 ; science.sciencemag.org, doi:10.1126/science.abb6936

[30] Calculs Terra Nova à partir des résultats de Ferretti, Luca, et al. En pratique, la solution numérique permettrait de retrouver les contacts non-évidents, en sachant que les personnes les plus à risques, familles et collègues, pourraient être identifiés même s’ils n’ont pas installé d’application, abaissant le seuil de pénétration minimum de l’application.

  

 Dispositifs de contrôle : ces outils visent à permettre un contrôle individualisé de l’épidémie et à automatiser les contrôles jusqu’alors assurés manuellement par les autorités sanitaires. Les exemples en sont nombreux à travers le monde, chaque pays ayant développé son propre dispositif.

Le dispositif de contrôle le plus impressionnant est probablement celui qui est utilisé en Chine et développé avec les géants Internet locaux – en l’occurrence Alibaba et Tencent. Après avoir rempli un formulaire, l’utilisateur se voit attribuer un code couleur (vert, jaune ou rouge) qui se base sur un ensemble de critères big dataà partir desquels est évalué le risque d’être contaminé. Le code couleur est assorti d’un QR code qui sera ensuite scanné par les autorités lors des déplacements. En effet, les codes verts sont libres de voyager alors que les codes jaunes doivent rester en quarantaine pendant une semaine et les rouges durant quatorze jours. La surveillance irait même plus loin : le New York Times[31] a analysé le code source de l’application d’Alipay et mis en évidence que les informations de géolocalisation sont automatiquement transmises à un serveur de la police à chaque fois que le code est scanné.

En Corée du Sud, une autre application de contrôle concerne les personnes testées positivement au Covid-19. Celles-ci ont l’obligation d’installer une application qui vise à s’assurer qu’elles respectent la quarantaine de quatorze jours[32]. Ainsi, lorsque la personne se rend dans des espaces publics, l’application sonne et transmet sa localisation à la police pour qu’elle puisse intervenir. Le gouvernement polonais a adopté une autre stratégie pour s’assurer du maintien en quarantaine des malades. S’inspirant des stratégies classiques de contrôle, cette application demande désormais aux personnes en quarantaine de fournir un selfie à des moments aléatoires de la journée. L’incapacité de fournir ces photos entraîne également une intervention policière.

[29] Ferretti, Luca, et al., « Quantifying SARS-CoV-2 Transmission Suggests Epidemic Control with Digital Contact Tracing », Science, mars 2020 ; science.sciencemag.org, doi:10.1126/science.abb6936

[30] Calculs Terra Nova à partir des résultats de Ferretti, Luca, et al. En pratique, la solution numérique permettrait de retrouver les contacts non-évidents, en sachant que les personnes les plus à risques, familles et collègues, pourraient être identifiés même s’ils n’ont pas installé d’application, abaissant le seuil de pénétration minimum de l’application.

[31] Mozur, Paul, et al., « In Coronavirus Fight, China Gives Citizens a Color Code, With Red Flags », The New York Times, 1ermars 2020 ; https://www.nytimes.com/2020/03/01/business/china-coronavirus-surveillance.html

[32] Lagarde, Stéphane. « Big data contre big virus : des applications traquent les personnes en quarantaine », RFI, 9 mars 2020 ; http://www.rfi.fr/fr/science/20200309-coronavirus-epidemie-chine-coree-sud-big-data-contre-big-virus.

     

 Dans une autre tentative de surveillance, la Russie a décidé d’utiliser – dans les premiers temps de l’épidémie – la reconnaissance faciale pour s’assurer que les personnes devant se confiner se conforment à la prescription[33]. Ainsi, le réseau de caméra de vidéosurveillance a permis d’identifier et de verbaliser plus d’une dizaine de personnes qui ne respectaient pas les mesures de confinement. En Chine, les caméras de surveillance permettent même de connaître la température des personnes[34].

Une chose est sûre, les Français ont peur de cette pandémie[35]. Nombreux sont ceux qui ont fait le choix de ne plus sortir de chez eux depuis le début du confinement, même pour aller faire des courses et même en appliquant à la lettre les gestes barrière. À force de s’entendre dire « il faut faire plus, être plus contraignant », les Français semblent avoir pleinement intégré le danger. Comment, dans ces conditions, imaginer une sortie de crise ? Quel sera le niveau de risque acceptable pour nos concitoyens ? L’entrée dans une nouvelle phase de lutte contre l’épidémie risque d’être comprise comme un revirement de doctrine, voire une remise en cause rétrospective du confinement.

De toute façon, le gouvernement ne semble pas disposé à laisser retourner au travail, dans les transports, dans les restaurants et autres salles de spectacle les Français de façon désordonnée[36]. Mais comment s’assurer qu’il n’y aura pas de rebond de l’épidémie, la fameuse « deuxième vague » ? Comment assurer le suivi de la population française pour préserver la santé de chacun sans céder aux sirènes de la surveillance numérique généralisée ?

Avant toute chose, il faut que le gouvernement et les autorités sanitaires élaborent une stratégie de santé publique de sortie de crise. L’approche, trop fréquente, qui consiste à dire qu’il faut utiliser tel ou tel outil numérique alors même que les grands choix de politique sanitaire ne sont pas arrêtés est dangereuse. Disons-le clairement, le numérique peut faire partie des outils de sortie de crise mais il ne tient pas lieu de stratégie de sortie.

[35] Mateus, Christine, Mouchon, Frédéric, « Coronavirus : les Français l’avouent, ils ont peur de l’épidémie », Le Parisien, 27 mars 2020 ; http://www.leparisien.fr/societe/coronavirus-les-francais-l-avouent-ils-ont-peur-de-l-epidemie-27-03-2020- 8288853.php

[36] Faye, Olivier et Manon Rescan, « Coronavirus : Édouard Philippe sous le feu roulant des questions des députés à l’Assemblée nationale », Le Monde, 2 avril 2020 ; https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/02/coronavirus-edouard- philippe-sous-le-feu-roulant-des-questions-des-deputes-a-l-assemblee-nationale_6035249_823448.html

     

 Remettons le numérique à sa place, celle d’un outil qui permet d’analyser un grand nombre de données et d’automatiser des opérations répétitives. La stratégie de contrôle sanitaire en est remplie : surveillance des malades et des personnes confinées, suivi thérapeutique… toutes ces missions sont normalement assurées par des équipes de professionnels de la santé. Mais, quand l’épidémie touche autant de personnes et que les structures en place ne peuvent plus suivre, c’est là que le numérique peut aider et transformer des pratiques, jusque-là limitées parce que manuelles, en dispositifs de masse susceptibles d’aider rapidement le plus grand nombre.

Nous souhaitons alerter sur une complexité supplémentaire. Aujourd’hui, les démocraties européennes sont à la pointe de la lutte pour la défense de la vie privée sur Internet. De ce combat est né le RGPD[37], qui encadre au niveau européen la collecte et le traitement des données personnelles. Ce cadre sera précieux dans l’élaboration de dispositifs techniques aidant à la sortie de crise mais il n’est pas suffisant. Le RGPD est avant tout un outil à destination des entreprises et administrations qui collectent un grand nombre de données mais qui n’ont pas comme finalité la mise en place d’un dispositif de counseling ou de contrôle sanitaire. Il n’est plus question ici de vie privée mais bien de nouveaux instruments technologiques de gouvernement.

La mise en œuvre de ces outils consisterait en une accélération significative du gouvernement algorithmique. Pour la philosophe Antoinette Rouvroy, cette gouvernementalité algorithmique, qui repose sur des corrélations statistiques établies par des systèmes computationnels, comporte plusieurs risques et notamment celui de disqualifier toute critique et même toute subjectivité. C’est pourquoi, si nous pensons que les dispositifs numériques peuvent faire partie des solutions pour sortir de la crise sanitaire actuelle, il faut une nouvelle façon de les encadrer.

Nous proposons de créer une nouvelle autorité administrative indépendante en charge d’encadrer et contrôler les dispositifs et les algorithmes utilisés dans la sortie de crise puis demain pour l’ensemble des algorithmes utilisés par l’État. Aujourd’hui, l’usager public n’a pas pleinement confiance dans ces instruments d’aide à la prise de décision publique, ce qui empêche leur développement comme le démontre très bien la polémique autour de l’algorithme de Parcoursup – ce portail de gestion de l’orientation dans l’enseignement supérieur à l’issue du lycée. En créant cette nouvelle institution, le gouvernement permettra le développement de ces dispositifs et non l’inverse.

[37] Règlement général sur la protection des données (RGPD).

 

 

 Il faudra donc que cette nouvelle AAI, que nous souhaitons séparer de la CNIL pour permettre une division saine des compétences, ait au cœur de ses missions le soutien à l’innovation publique. En termes de fonctionnement, elle devra bien évidemment être pluraliste et rassembler experts, représentation nationale et citoyens. Elle devra également être dotée de moyens suffisants pour mener à bien sa mission de conseil et de contrôle.

La crise sanitaire est le moment le plus opportun pour créer cette nouvelle autorité car c’est maintenant que nous en avons le plus besoin. Elle sera en charge de la coordination et du contrôle de l’ensemble des dispositifs. Elle devra donc s’assurer que le développement, le fonctionnement et le déploiement répondent à des obligations de transparence vis-à-vis du public mais également au respect des principes de notre État de droit. Enfin, l’autorité sera également en charge de la suppression du dispositif et de ces données à l’issue de la crise. Il est évident que le développement informatique d’une telle solution devra nécessairement associer des acteurs privés en suivant l’exemple au niveau numérique des grands groupes industriels qui ont réorienté leur production classique vers la production de gels hydroalcooliques – souvent largement financés directement ou indirectement par l’État. Il faudra mobiliser l’ensemble de nos capacités de sécurité informatique pour protéger ces dispositifs.

La question se pose de savoir quelles solutions technologiques le gouvernement doit ajouter à sa stratégie sanitaire. Si nous nous référons à notre typologie, certains dispositifs ne posent pas de question particulière ; d’autres en revanche devraient être précisément encadrés, s’ils étaient adoptés, pour assurer la protection de la vie privée de nos concitoyens.

Les dispositifs d’analyse vont continuer de jouer un rôle central pour aider les décideurs publics à suivre, analyser et modéliser les différentes options de sortie de crise. L’innovation dans ce domaine doit être poursuivie, le partage de données (anonymisées) et de connaissances, accentué. De nombreux interlocuteurs nous ont confirmé que les dispositifs d’analyse et de modélisation peuvent aller encore plus loin, notamment dans l’aide à la prise de décision non seulement des autorités sanitaires et du gouvernement mais également des responsables des stratégies localesd’endiguement. Nous pensons, par exemple, que l’expérience menée par l’Inserm avec l’opérateur Orange est très positive. Il faut être prudent sur les données partagées par l’opérateur et s’assurer qu’elles sont dûment anonymisées et agrégées mais nous avons toute confiance dans la CNIL pour faire ce travail de contrôle.

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 Cette institution a fait preuve à de nombreuses reprises de son sérieux et nous savons qu’aujourd’hui elle apporte son soutien à plus d’une centaine de projets de recherche utilisant le big data pour améliorer la gestion sanitaire.

Il est difficile de donner des exemples concrets de ce qui sera fait dans le futur mais il n’est pas impossible de penser que de telles expérimentations aboutiront demain à connaître de façon plus précise les clusters de recontamination et ainsi à modéliser la propagation du virus, y compris à une échelle locale. Des stratégies de confinement et de contrôle plus fines et plus rapides pourront donc être mises en œuvre pour empêcher une nouvelle vague. Ces algorithmes d’aide à la prise de décision entreront dans le champ de la nouvelle autorité administrative qui devra s’assurer qu’ils respectent nos règles fondamentales. Nous ne décrivons ici qu’une des multiples possibilités ouvertes par la collaboration entre les instituts de recherche sanitaires et les grands agrégateurs de données. À l’issue de la crise, de telles collaborations devront pouvoir se poursuivre.

La question est plus complexe pour les dispositifs de counseling et de contrôle qui touchent directement la protection de la vie privée des individus. Le confinement actuel entraîne des entraves majeures aux libertés fondamentales, notamment de déplacement, et une surveillance policière massive de la population (au terme de la première semaine de confinement, les forces de police avaient procédé à près de 1,8 million de contrôles). Cependant, il ne porte pas atteinte à la vie privée de nos concitoyens. En effet, personne ne sait ce qui se passe dans l’intimité du foyer des Français. Demain, un dispositif de counselingou de surveillance pourrait être plus intrusif. Faudrait-il pour autant y renoncer par principe sur ce seul motif alors même qu’il peut permettre de sauver des vies en limitant l’exposition au risque de contamination de dizaines de milliers de personnes ?

Il faut donc faire une mise en balance entre liberté individuelle et sécurité collective, entre respect de la vie privée et contraintes de santé publique. Cette discussion n’est pas nouvelle. La science et les circonstances historiques nous ont obligés régulièrement à reconsidérer des équilibres que nous pensions indépassables. La première dette de l’État envers ses concitoyens est la sécurité : s’il n’assume pas cette clause du contrat social, sa justification risque dès lors d’être remise en cause. Nous pensons que, dans le cadre de l’épidémie de Covid- 19, compte tenu des risques encourus par la population, l’État doit maintenir l’équilibre entre libertés publiques et contraintes de santé publique pour assurer la sécurité sanitaire des citoyens.

 

 Tous les dispositifs doivent être justifiés d’un point de vue sanitaire et ne pas porter atteinte de façon disproportionnée aux libertés. Et l’on doit être également particulièrement attentif à ce que cet état d’urgence sanitaire et les outils qui l’accompagnent ne s’inscrivent pas dans la durée. Il doit au contraire se conclure par un retour à la normale aussi vite que possible. On a mesuré dans un passé récent qu’il n’est pas toujours aisé de sortir de l’état d’urgence et que la tentation peut être grande, face à la peur, d’en inscrire les principes dans le droit commun. Concernant la gestion de crises épidémiques majeures, il doit être clair que les dispositifs de gestion de crise doivent s’interrompre avec la fin de l’épidémie elle-même. Il revient à la représentation nationale en premier lieu de s’en assurer.

En ce qui concerne les dispositifs de counseling, nous proposons la mise en place d’une application citoyenne permettant à chaque utilisateur de jouer pleinement son rôle pour la santé collective. Cette application regrouperait des services qui existent déjà avec de nouvelles fonctionnalités – elle deviendrait le hub pour tous les services citoyens liés à la gestion du coronavirus.

Dispositif d’autodiagnostic et de suivi médical : afin d’assurer que les utilisateurs aient un accès rapide aux futures capacités de test, nous proposons d’intégrer maladiecoronavirus.fr au sein de l’application.

Dispositif de backtracking : nous proposons de créer un dispositif de backtracking s’inspirant du modèle respectueux de la vie privée de Singapour. Dispositif volontaire, il s’appuierait sur la technologie bluetooth pour enregistrer les contacts entre utilisateurs. Les utilisateurs transmettent un code unique, différent pour chaque contact rencontré, de façon à empêcher tout suivi. Si un utilisateur est testé positif au coronavirus, il communique à un serveur central l’ensemble des codes uniques qu’il a rencontrés, via une connexion anonymisée ou en les mélangeant à ceux d’autres utilisateurs testés positifs. L’application de chaque utilisateur vérifie indépendamment si les identifiants reçus ont été envoyés par des personnes testées positives de façon à ce que l’utilisateur puisse s’auto-confiner ou limiter ses interactions sociales.

Dispositif de solidarité : nous pensons qu’il serait aussi important de faciliter l’accès aux différents services de solidarité développés tant par l’État que par la société civile tels que jeveuxaider.fr.

Cet outil de civic tech– technologie au service de l’engagement citoyen – ne pourrait fonctionner que si une large partie de nos concitoyens adhèrent au dispositif. D’une part, ils devront télécharger l’application et activer le bluetooth.

 

 D’autre part, ils devront se placer en quarantaine de façon autonome s’ils ont eu des contacts risqués. Cependant, nous pensons qu’un tel effort collectif est possible au vu de l’engagement actuel des Français. Il faudra assurer une campagne pédagogique expliquant les bénéfices de cette application et notamment du dispositif de backtracking. Mais également être transparent sur le nombre d’utilisateurs actifs et engagés qu’il faut atteindre pour qu’il soit efficace.

Il faudra également mettre l’accent sur le respect de la vie privée qu’assure cette solution. L’application ne collectera ni données de géolocalisation, ni données de contact[38]. De façon générale, le traitement et le stockage des données devront se faire sur la mémoire interne de l’appareil. La collecte des données et leur traitement seront strictement encadrés par la nouvelle autorité administrative en ce qui concerne l’algorithme et par la CNIL pour les données.

L’État doit faciliter par tous les moyens possibles l’utilisation de cette application. Le numéro vert de solidarité-numérique sera précieux pour accompagner les publics ayant des difficultés à utiliser l’application. Cependant, il faudra probablement mener une campagne d’équipement en smartphone pour que les publics les plus fragiles puissent avoir accès à ce dispositif. 73 % des Français étaient équipés d’un smartphone en 2017[39]. Or, l’application repose sur un fort effet de réseau et un effet de seuil important : une augmentation d’une dizaine de points de pourcentage de son utilisation par la distribution de smartphones à ceux qui n’en ont pas peut faire la différence entre la propagation de l’épidémie à une large partie de la population et son extinction rapide. Un smartphone très bon marché n’étant guère plus onéreux qu’un dépistage du virus, une telle mesure doit être sérieusement envisagée.

Les Français semblent adhérer à l’idée d’une application mobile[40]. En effet, dans un sondage commandité par l’équipe de recherche de l’université d’Oxford, 80 % des Français installeraient ce type d’application mobile. Par ailleurs, près de 80 % des répondants déclarent qu’ils suivraient sans aucun doute les préconisations de l’application.

[38] Un opt-in pourrait être prévu pour permettre aux utilisateurs volontaires de suivre leurs mouvements localement sur leur téléphone à des fins de suivi de l’épidémie. En cas de diagnostic positif, il leur serait proposé de partager, de façon anonymisée, leur historique. Le dispositif devrait permettre la suppression de certains points d’historique et partager indépendamment les différents lieux et date de visite afin qu’il ne soit pas possible de retracer l’itinéraire d’une personne donnée mais seulement de vérifier la présence ou non d’une personne infectée en un lieu donné.

[39] Insee,Tableaux de l’économie française ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676685?sommaire=3696937. Consulté le 2 avril 2020.

[40] Abeler, Johannes, et al., « Acceptabilité d’une application téléphone pour tracer les contacts porteurs du Covid-19 », Department of Economics, University of Oxford, 31 mars 2020.

  

 Si ces chiffres sont à prendre avec précaution, ils sont très encourageants, l’efficacité de ce dispositif dépendant en partie de ces deux variables. Le sondage explicite également les potentiels freins à l’adoption : risque de piratage de son smartphone (26 %), crainte que le gouvernement renforce la surveillance après l’épidémie (26 %), ne veut pas augmenter son anxiété (20 %), refus d’activer le bluetooth (8 %), difficulté d’installation (7 %). Nous pensons que notre proposition d’autorité administrative indépendante en charge de contrôler le dispositif dans le temps peut répondre à une grande partie de ces inquiétudes.

Nous l’avons vu, l’enrayement total de l’épidémie nécessite un fort taux de pénétration d’une telle application, qui peut même paraître hors de portée. L’utilisation de moyens numériques de traçage est néanmoins indispensable à un effort coordonné, qui plus est dans un contexte de capacité de tests limitée, pour espérer enrayer l’épidémie. Mais elle est aussi un atout pour sauver des vies dans un scénario de propagation plus large du virus à une proportion significative de la population. En cas d’échec de la stratégie visant à contenir et éliminer complètement la contagion, ce que le passage au « stade 3 » et l’objectif d’aplatissement du pic signifiaient initialement, on estime à plus de 60 % la proportion de la population qui devrait être touchée avant qu’un phénomène d’immunité de groupe protège le reste de la population[41]. Ce constat amène à des prévisions de bilan humain dramatiques, de l’ordre de 400 000 à 800 000 décès si rien n’est fait et même si la stratégie d’aplatissement de la courbe fonctionne parfaitement et évite un effondrement du système de santé. Mais, au fur et à mesure qu’une proportion croissante de la population contracte la maladie puis est immunisée, l’efficacité des mesures de traçage augmente. Si seulement un Français sur quatre utilise le dispositif, et avec l’objectif atteignable d’un isolement efficace au plus tard 24 heures après l’apparition des premiers symptômes, le phénomène d’immunité de groupe aboutit à une extinction de l’épidémie progressive dès que 25 % de la population a été infectée[42]. À l’échelle du Covid-19, cela représente des centaines de milliers de vies épargnées en France dans un scénario de contagion massive. Un système efficace de backtrackingpermettrait ainsi une division par plus de deux non seulement du nombre de cas mais aussi du temps nécessaire d’étalement du pic indispensable pour assurer la résilience du système de santé, et donc de l’impact économique de la pandémie.

[41] Proportion de la population qui serait infectée dans un scénario sans intervention, le phénomène d’immunisation de groupe conduisant à l’extinction de l’épidémie lorsque environ 60 % de la population est contaminée puis immunisée. Voir par exemple Prem etal.,« The effect of control strategies to reduce social mixing on outcomes of the COVID-19 epidemic in Wuhan, China: a modelling study », The Lancet, 25 mars 2020.

[42] Calculs Terra Nova à partir des résultats de Ferretti, Luca, et al. en modélisant le phénomène d’immunité collective par une décroissance du R0.

 

 Le nombre de décès évités pourrait in fine être plus grand encore en évitant la saturation du système de santé et la surmortalité qu’elle amènerait.

Pour ce qui est des dispositifs de surveillance, nous pensons qu’ils peuvent également trouver leur place dans notre État de droit. Comme nous le disions, ces dispositifs doivent être compris comme une automatisation de la politique sanitaire, ce qui inclut un contrôle précis des personnes malades et une limitation des déplacements menés de façon classique pour le suivi des maladies virales.

Dans ce cadre, plusieurs options s’offrent au gouvernement.

Il pourrait opter pour un système facultatif réservé uniquement aux personnes infectées qui permettrait à la fois un suivi médical personnalisé et un contrôle des déplacements au niveau individuel. La solution ne doit pas nécessairement inclure un suivi en permanence de la géolocalisation de l’utilisateur et peut, à l’image de la solution polonaise, demander à des moments aléatoirement choisis de la journée d’envoyer des preuves de son confinement vial’application. Ce dispositif ressemblerait fortement à la digitalisation de contrôle actuel des épidémies, le code de la santé publique autorisant à passer jusqu’à trois appels par jour au domicile du malade pour s’assurer qu’il reste bien confiné.

Il pourrait également mettre en place un système plus large qui viserait à offrir de façon digitalisée et personnalisée l’autorisation de déplacement en prenant en compte différents facteurs comme les résultats des tests, le niveau de risque de chaque individu, la participation à une activité précise… On pourrait imaginer que ces données soient renseignées lors de la campagne nationale de test – qui accompagnera vraisemblablement la sortie de crise – à l’aide d’un personnel soignant. L’actualisation des données sur lesquelles se basent les autorisations est plus délicate – à l’exception des personnes dont la sérologie est positive et qui, elles, se verraient accorder une autorisation permanente en raison de leur immunité acquise. Un questionnaire quotidien à remplir par l’utilisateur afin de pouvoir se déplacer viendrait compléter le dispositif. On le voit bien, à part les données de départ, l’application se baserait uniquement sur des éléments déclaratifs, ce qui serait nécessairement moins fiable que des données tiers. Pour autant, il ne semble ni souhaitable ni réaliste techniquement d’utiliser le big data(données GSM, paiement, connexion Wi-Fi, contact avec un tiers malade…) comme en Chine pour mettre à jour les informations. La dernière option envisageable, pour améliorer la qualité du contrôle, consisterait à coupler cette application avec le dispositif de counseling et notamment le backtracking.

 

 Le résultat du rapprochement des données de contact viendrait modifier l’autorisation de sortie. Un tel dispositif pourrait bien sûr améliorer la qualité de l’information mais aurait nécessairement un impact sur le taux d’adoption du backtracking. Or, il est clairement établi que plus l’application de backtracking est utilisée, plus elle est efficace. Nous ne recommandons pas ce mélange des genres entre application d’engagement citoyen et application visant à vérifier l’autorisation de sortie. Ces données seraient stockées dans l’appareil de l’utilisateur et le contrôle serait effectué uniquement par les forces de l’ordre grâce — pourquoi pas – à un code couleur.

Nous pensons que ces deux dispositifs de surveillance permettraient un retour à la normale plus rapide en offrant des garanties de sécurité supplémentaires. Ils déchargeraient la police d’une partie de son travail de contrôle tout en offrant une plus grande liberté de déplacement à la majorité de nos concitoyens non contaminés.

Quel que soit le modèle retenu, il sera nécessaire d’apporter des garanties sur la gestion des données personnelles pour s’assurer l’adhésion des Français. Pour ce faire, l’autorité administrative indépendante que nous proposons sera un élément central. Mais il faudra inclure pleinement d’autres institutions, la CNIL bien sûr mais aussi une commission de contrôle parlementaire pluraliste, le Comité consultatif national d’éthique et les autorités judiciaires compétentes (Conseil d’État et Conseil constitutionnel).

Derrière ce cas particulier et extraordinaire, une question fondamentale se pose à nos démocraties européennes. Devons-nous nous passer des bénéfices des nouvelles technologies ? La vision conservatrice de l’Europe, compréhensible au vu de son histoire, démontre la faible confiance des citoyens envers leurs institutions. Qui mieux que l’Europe est en mesure d’assurer un traitement encadré des données personnelles ? Nous avons une division des pouvoirs claire avec des institutions de contrôle législatif, judiciaire et même administratif forts. Si nous ne sommes pas en mesure d’utiliser ces nouvelles technologies pour aujourd’hui protéger nos populations mais demain également pour simplifier la vie de nos concitoyens, alors nous serons non seulement dépassés par les autres puissances mais condamnés à vivre dans la dépendance des technologies d’entreprises étrangères. Car nos concitoyens, eux, ne s’encombrent pas de ces considérations quand ils souhaitent utiliser un nouveau service.

Terra Nova

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