Engagé dans le dossier de la reconstruction de l’Hôpital de Trinité – reconstruction actée par l’Etat depuis 2002 ! – le député Jean-Philippe Nilor a fait le point pour ANTILLA sur les avancées quant à ce dossier ‘’serpent de mer’’. Entretien.

ANTILLA : A l’issue de votre visite du Centre Hospitalier Louis Domergue, le 15 octobre dernier, vous avez médiatiquement indiqué que ce que vous y avez eu en certains endroits était « en-dessous de tout ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jean-Philippe NILOR : D’abord ce n’était pas la première fois que je me rendais à l’hôpital de Trinité ; j’ai déjà effectué des visites et ce que j’avais vu était déjà très grave. Mais ce qui m’a été montré à l’occasion de cette visite-là est véritablement catastrophique : deux étages entiers d’un bâtiment ont été complètement délaissés aux chauves-souris – j’en ai vu des mortes – et aux rats ; le sol était jonché de leurs déjections… . A l’un de ces étages des travaux avaient déjà commencé pour réhabiliter les chambres ; cette opération a été stoppée et l’étage abandonné : on y a entreposé du vieux matériel, des archives, donc le suivi médical des patients en quelque part. Et dans une chambre abandonnée, la climatisation continuait de tourner… . Donc c’était plus que choquant. Certains commentateurs ont ironisé quand j’ai parlé de ma stupeur lors de cette visite, mais j’aimerais que ces gens-là viennent voir la situation réelle. D’ailleurs même les employé.e.s, qui travaillent là, ont été surpris de l’ampleur de la catastrophe.

Des employé.e.s ont découvert cette « ampleur » en même temps que vous ?

Ces étages-là étaient condamnés. Donc comme la direction avait du mal à trouver une entreprise pour nettoyer tout ça, les grévistes ont fait une opération koudmen pour ce faire. Et tout ce qu’ils ont sorti de ces étages, ils l’ont entreposé devant l’hôpital. Et ça encore, c’était impressionnant : fauteuils électriques, berceaux, boîtes d’archives, etc. D’où ma stupeur, qui était fondée. Je ne vis pas hors-sol, je vis en Martinique et suis bien conscient des problèmes, mais quand les employé.e.s sont entré.e.s pour nettoyer ils étaient dégoûtés ; eux-mêmes ne s’attendaient pas à trouver tout ça. Et ceci à côté d’une maternité. Lorsqu’on sait les dégâts causés par la leptospirose, on est en droit de vraiment s’inquiéter. C’est pourquoi j’ai dit que c’était un établissement indigne d’un pays qui se dit développé (Mr Nilor parlait de la France, ndr).

« Il y a le scandale de l’état actuel de l’hôpital, mais aussi un deuxième scandale… »

Vous suivez ce dossier, d’ailleurs vous sortez d’une réunion en sous-préfecture de Trinité à ce sujet* : savez-vous si cette situation « catastrophique » s’est un peu améliorée depuis votre visite ?

Les négociations avancent sur un certain nombre de points, s’agissant de la rénovation du site, de son humanisation en quelque sorte. Selon les retours que j’ai, les choses avancent petit à petit. Et ça a un peu décrispé les négociations car la pression est sur le CHUM (Centre Hospitalier Universitaire de Martinique). Il y a le scandale de l’état actuel de l’hôpital, mais aussi un deuxième scandale si je m’en tiens à la récente réponse que m’a faite la ministre à l’Assemblée nationale. C’est en effet très rare qu’une ministre charge à ce point les directions successives d’un centre hospitalier.

Suite à votre question sur la reconstruction de cet hôpital, le 20 octobre dernier, Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée en charge de l’autonomie, vous a en effet répondu « qu’en 2011 des questions se sont posées sur la soutenabilité financière, la lisibilité, la transparence du projet ; l’établissement ne communiquant pas sur ces perspectives », que « les délégations de crédits au titre du ‘Plan Hôpital 2012’ ont ainsi été suspendues » et que ce projet de reconstruction « n’existe qu’au stade d’ébauche ».

Oui mais je rappelle que toutes les directions ‘locales’ au niveau des hôpitaux et de la santé en Martinique, sont subordonnées à l’autorité du Ministère.

D’ailleurs vous avez ensuite dit à Mme Bourguigon que si elle « rejette la responsabilité sur la direction d’établissement, il y a longtemps que cette direction aurait dû être sanctionnée, ou au moins relevée pour faire avancer les choses ».

Ou même demander des comptes, puisque plusieurs ministres successifs de la Santé sont venu.e.s en Martinique pour s’engager, formellement et fermement, sur la reconstruction de l’hôpital de Trinité. Mais ne voyant rien venir, ces ministres auraient dû interpeller les directions ‘locales’.

« Il y a un ‘branle-bas de combat’ et ils essaient de corriger toutes ces années d’inertie »

Vous avez parlé d’avancées quant à la rénovation du site : à votre connaissance ce dossier-là est-il en bonne voie ?

Je pense que la décision de réhabiliter partiellement est en bonne voie, car des choses sont actées quant à l’humanisation de ce site. Mais il faut attendre la fin des négociations et le protocole qui en sortira. En tout cas, mon intervention a permis un peu de booster ces négociations. S’agissant de la reconstruction de l’hôpital, il me semble que le terme utilisé par le CHUM et l’ARS (Agence Régionale de Santé) c’est qu’aujourd’hui nous disposons d’une ‘’fenêtre de tir’’. Et qu’il faut profiter de cette fenêtre avec les ‘plan de relance’, les ‘contrat de convergence’ etc. Donc qu’il y a de l’argent qui peut être disponible, et qu’il faut qu’on ait la capacité d’aller le chercher. De plus, les représentants de l’Etat ont pris trois engagements fermes : la constitution d’un ‘comité de pilotage’, qui associera aussi les élu.e.s, parlementaires etc. ; le recrutement d’un ingénieur pour le suivi de l’opération de reconstruction ; et les nominations de directeurs délégués aux centres hospitaliers de Trinité et de Mangot-Vulcin, parce qu’actuellement ce sont des gens qui ont le statut d’‘attaché’ qui sont sur ces sites, mais ce n’est pas le même niveau de responsabilités. La fusion des hôpitaux n’empêche pas que des directeurs délégués soient nommés, soient donc responsables et puissent porter les dossiers. En matière de lisibilité et remontée des problèmes de ‘terrain’, ce n’est pas la même chose.

Donc les propos des représentants de l’Etat sont plutôt rassurants ?

Depuis mon intervention et depuis que les député.e.s martiniquais se sont unis sur ce dossier, il y a quand même une pression. Ma  question à l’Assemblée nationale, et surtout la réponse de la ministre ont créé une espèce d’affolement aux niveaux du ministère, de la direction de l’Hôpital et de l’ARS. Donc il y a un ‘branle-bas de combat’ et ils essaient de corriger toutes ces années d’inertie ; j’ai le sentiment que là ils essaient de montrer qu’ils veulent faire quelque chose.

« C’est suffisamment rare, pour qu’on se félicite de l’unité de tous les parlementaires martiniquais »

Est-ce votre intervention à l’Assemblée nationale qui a contribué à cette « unité » de nos parlementaires sur ce dossier ?

Non, en amont il y avait déjà une volonté de travailler ensemble. Je devais effectuer cette visite de l’hôpital de Trinité avec Josette Manin mais elle ne pouvait pas, pour des raisons indépendantes de sa volonté. Je l’ai associée à la question que j’ai posée à la ministre – ainsi que Manuéla Kéclard-Mondésir – et elles ont accepté d’y être associées. Et après la réponse de la ministre, Serge Letchimy a souhaité s’associer à un courrier commun des parlementaires. Donc c’est suffisamment rare, pour qu’on se félicite de l’unité de tous les parlementaires martiniquais sur ce dossier. C’est inscrit dans ma démarche : j’essaie de mener des combats au service de la Martinique, en associant mes collègues autant que possible. J’espère que ce ‘comité de pilotage’ permettra à tous les acteurs de pouvoir échanger en toute transparence, pour aller vers l’efficacité. Et qu’on pourra démontrer j’espère, qu’en se mettant ensemble on arrive à travailler sur un dossier. J’ajoute que j’ai poussé les directeurs du CHUM et de l’ARS à s’engager sur des dates, et qu’on peut espérer – si les choses se passent bien, si on se met tous au travail avec la ferme volonté de voir aboutir ce dossier – que les travaux commencent en octobre 2022, pour s’achever en octobre 2024. Et l’ARS, tenant compte des difficultés budgétaires que pourrait avoir le CHUM, s’est engagée à financer une partie des études en vue de cette reconstruction, afin d’accélérer le début des travaux. Ce sont donc les dates ressorties de cette réunion à la sous-préfecture de Trinité. Et les martiniquais me connaissent : je ne vais pas ‘lâcher l’affaire’.

                                                             Propos recueillis par Mike Irasque

*entretien réalisé le 30-10-2020.

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