Démantèlement de la plate-forme d’extraction gazière Tyra, dans le port de Frederikshavn (Danemark), en septembre 2020.
Démantèlement de la plate-forme d’extraction gazière Tyra, dans le port de Frederikshavn (Danemark), en septembre 2020. RITZAU SCANPIX / REUTERS

Pour la première fois, une COP s’attaque frontalement aux énergies fossiles, premières responsables du changement climatique. Au charbon, d’abord, puisque la semaine dernière, une vingtaine de pays ont promis de sortir de cette énergie la plus polluante dans les années 2030 et 2040. Mais aussi au pétrole et au gaz, une étape encore rarement franchie.

Jeudi 11 novembre, à la 26e conférence des Nations unies sur le climat (COP26), qui se tient à Glasgow (Ecosse), douze pays et régions ont voulu marquer le « début de la fin du pétrole et du gaz ». Leur coalition, appelée « Beyond Oil and Gas Alliance » (BOGA), regroupe le Costa Rica et le Danemark – premier producteur de l’Union européenne de pétrole –, qui l’ont lancée, ainsi que la France, le Groenland, l’Irlande, le Pays de Galles, le Québec et la Suède.

Ces nations se sont engagées à ne plus octroyer de nouvelles concessions et licences pour la production et l’exploration de pétrole et de gaz – avec effet immédiat. Elles ont également décidé de fixer une date de fin d’exploitation et d’exploration – pour les licences déjà en cours – des hydrocarbures sur leur territoire. Cette date, qui n’est pas encore déterminée, devra être « alignée sur l’accord de Paris », qui vise à contenir le réchauffement climatique si possible à 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Certains des membres de BOGA avaient déjà auparavant fixé une date de sortie des hydrocarbures, en 2040 en France ou en 2050 au Danemark.

« Un changement radical »

La Nouvelle-Zélande, la Californie et le Portugal ont aussi rejoint la coalition en tant que membres associés puisqu’ils « ont pris des mesures concrètes importantes qui contribuent à la réduction de la production de pétrole et de gaz », indique le communiqué de presse, et l’Italie en tant que « membre ami ». La Nouvelle-Zélande a décidé en 2018 de bannir tout nouveau permis d’exploration pétrolière offshore, tandis que la Californie, importante productrice de pétrole, interdira la fracturation hydraulique (qui permet d’extraire du pétrole et gaz de schiste) en 2024 et cessera toute exploitation d’hydrocarbures à l’horizon 2045.

Cette alliance ne comporte pas les grands pays producteurs de pétrole et de gaz, comme les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie saoudite, le Canada, l’Irak ou la Norvège. « Mais nous avons eu le courage de commencer cette conversation, qui n’est pas facile », avance Andrea Meza, ministre de l’environnement et de l’énergie du Costa Rica. « Nous espérons inspirer d’autres pays », abonde Dan Jorgensen, le ministre danois du climat, qui indique avoir des « discussions étroites » avec l’Ecosse.

« C’est une coalition très importante car si la fin du charbon est déjà dans les consciences, à l’inverse c’est la première fois que l’on pose la question de la fin du pétrole et du gaz, qui va entraîner d’énormes enjeux, notamment dans les transports », juge Lola Vallejo, directrice climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales. « Il s’agit d’un tournant alors que les négociations climatiques ont ignoré la question des énergies fossiles pendant trente ans », confirme Romain Ioualalen, chargé de campagne à l’ONG Oil Change International.

L’accord de Paris ne mentionne pas les énergies fossiles, pourtant responsables de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le projet de décisions de la COP26, publié mercredi matin, évoque l’engagement à accélérer la sortie du charbon et la fin des subventions aux énergies fossiles, mais cette mention pourrait disparaître dans la décision finale sous la pression de pays pétroliers.

La déclaration de BOGA souligne qu’éviter des niveaux « dangereux » de réchauffement et respecter l’accord de Paris « exigent un changement radical dans la manière dont nous produisons et utilisons l’énergie. Sortir d’un approvisionnement non durable en pétrole et en gaz est un élément essentiel de ce défi. »

Les pays industrialisés « doivent montrer la voie »

En septembre, une étude publiée dans Nature avait montré que pour garder une chance de limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faudrait laisser dans le sol près de 60 % des réserves de pétrole et de gaz, et 90 % de celles de charbon d’ici à 2050. Ce qui reviendrait à diminuer la production de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu’en 2050, et celle de charbon de 7 %. Quelques mois avant, l’Agence internationale de l’énergie appelait à ne plus investir dans de nouvelles installations pétrolières ou gazières pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Or jusqu’à présent, les principaux pays pétroliers, malgré leurs engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et d’atteinte de la neutralité carbone, ne se sont pas fixé d’objectifs explicites de baisse de la production d’hydrocarbures. De sorte que selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, les Etats prévoient de produire deux fois plus d’énergies fossiles que ce qu’il faudrait pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Cette production va encore augmenter de 2 % par an d’ici à 2030. En parallèle, les soutiens publics aux énergies fossiles s’accroissent.

Cette « transition radicale » pour sortir des hydrocarbures doit toutefois se faire de manière « socialement juste » et les pays industrialisés « doivent montrer la voie », préviennent les membres de la coalition BOGA.

« En France, les deux tiers de l’énergie consommée sont encore d’origine fossile : nous agissons pour sortir de cette dépendance en fermant nos dernières centrales à charbon, en convertissant notre industrie automobile à l’électrification, en rénovant massivement nos logements et en développant les énergies renouvelables », déclare dans un communiqué Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique, indiquant que la France est devenue en 2017, avec la loi Hulot sur les hydrocarbures, « le premier pays au monde à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur son territoire ».

Problème de cohérence de la France

La France a toutefois été fortement critiquée, à la COP26, pour n’avoir pas rejoint une autre alliance, celle de 30 pays et banques publiques qui s’engagent à mettre un terme au financement à l’étranger de projets d’énergies fossiles d’ici à la fin de 2022. Après que l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Espagne ont finalement signé cette promesse, Paris se retrouve isolé en Europe. La France s’est fixée pour objectif d’arrêter le soutien au pétrole en 2025 et celui au gaz en 2035. « C’est trop tard et cela montre qu’il y a un problème de cohérence en France : on ne peut pas arrêter la production chez nous, mais continuer de financer des projets ailleurs par le biais de la banque publique d’investissement. Cela interroge sur le leadership de la France », juge Romain Ioualalen. A la COP26, Barbara Pompili a reconnu mardi qu’il faudrait « forcément accélérer sur la date de 2035 ».

Le Royaume-Uni est également blâmé. Si l’hôte de la COP26 a signé l’engagement de fin des subventions aux fossiles à l’étranger, à l’inverse, il ne fait pas partie de la coalition BOGA sur la sortie de la production. Le Royaume-Uni produit encore beaucoup de pétrole, notamment en mer du Nord. « Le premier ministre britannique Boris Johnson perdra ce qui reste de sa crédibilité en matière de climat s’il poursuit ses propositions de construction du nouveau champ pétrolifère Cambo [au large des îles Shetland], après avoir dit aux autres pays de “sortir le grand jeu” à la COP26 », prévient Rebecca Newsom, chargée de campagne à Greenpeace Royaume-Uni.

Si, pour elle, l’alliance BOGA est un « nouveau clou dans le cercueil de l’industrie des énergies fossiles », ces dernières restent encore bien présentes à la COP26. Selon un rapport de l’ONG Global Witness, 503 lobbyistes du charbon, du pétrole et du gaz ont été accrédités à la conférence, un nombre plus élevé que la délégation la plus fournie (Brésil) ou que celles des pays les plus durement touchés par le changement climatique. Selon l’ONG, plus de 100 compagnies pétrolières sont présentes à la COP. Et 27 pays (dont le Canada ou la Russie) comptent des lobbyistes des fossiles au sein de leur délégation nationale.

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