Le 30 janvier dernier, la présidente de la « commission Pêche et Aquaculture » du Conseil régional, Patricia Telle, accompagnée entre autres de l’ancien sénateur Roger Lise, visitaient la « ferme aquacole Jean-Philippe », au quartier Durand à Saint-Joseph. Après avoir passé la barrière d’entrée, nous abordons une descente, un chemin de pierre encadré de près par une végétation luxuriante ; puis nous traversons un joli ruisseau avant d’accéder à l’exploitation : une superbe oasis de verdure, où l’on n’entend que le bruit de l’eau s’écoulant des bassins. La mâtinée s’annonçait bien. Elle le fut.  

 

Joan Jean-Philippe a ses premiers contacts avec l’aquaculture à l’âge de 15 ans. Il aide son père, Claude Jean-Philippe, à la ferme et récupère parfois des poissons, pour en faire des filets, qu’il vend à des amis et connaissances. Entre les poissons et lui, c’est déjà une longue histoire : « Il y avait plusieurs aquariums chez mes parents ; ce n’était pas forcément décoratif mais pour faire de la reproduction par exemple. » Le weekend et en vacances scolaires, le jeune garçon est toujours sur l’exploitation paternelle : il aide, observe, apprend. Après l’obtention d’un bac économique, Joan Jean-Philippe fait des études de gestion et de commerce (à l’ex-EIAM, ndr), époque durant laquelle il effectue des stages dans le domaine aquacole, en Jamaïque et aux Etats-Unis. « Je n’ai jamais vécu ça comme une contrainte. Se lever le matin, aller sur l’exploitation, c’est un plaisir », dit-il dans un sourire, « j’aime le contact de l’eau, l’élevage, c’est une vraie passion ; ça m’arrive de rêver de poissons, c’est dire (sourire). »

 

L’exploitation familiale a échappé au fléau de la contamination par la chlordécone. Une chance inestimable, certes, mais pourquoi ? « Nous n’utilisons pas l’eau de la rivière, c’est uniquement de l’eau de source, qui trouve d’ailleurs sa source sous le terrain », répond-il, « et en amont il n’y a pas d’exploitations de bananes. » Et d’ajouter : « On pourrait utiliser la rivière, pour avoir plus d’eau, mais il y a Cœur Bouliki en amont, et des particuliers lavent leurs voitures. Avoir des détergents dans l’eau aurait été un gros souci. » Pour Joan Jean-Philippe, le site est idéal pour l’aquaculture, car bénéficiant d’un hectare en eau de source. Plus largement, la surface de l’exploitation est de 6 hectares, dont 1 hectare de bassins (au nombre de 11 et allant de 500 à 2500 m2). Mais il est une problématique qui affecte la structure : l’alimentation électrique. « La plus grande conséquence concerne la sécurisation », indique l’aquaculteur, « l’eau arrive dans les bassins, par gravitation, et avec les précipitations on peut perdre du jour au lendemain toute la production (principalement de Saint-Pierre, ndr), car il n’y a pas de système d’aération faute d’électricité. Cela limite automatiquement la production, et chaque intempérie est source d’angoisse. Il faut 30 à 40 minutes pour tout perdre ; ça nous est déjà arrivé. »

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Investissements et travaux sont donc impératifs : qu’impliquent-ils ? « On a un compteur électrique, en limite de propriété, il faut le faire arriver sur l’exploitation, dans un local technique que nous devons mettre en place », explique Joan Jean-Philippe, « on a plus de 350 mètres de câble à faire passer – en souterrain et en aérien – et l’ordre de prix est à hauteur de 50 euros le mètre. Et puis il faut des engins, pour creuser des tranchées, créer un système sécurisé, avec des gaines etc. » Un investissement de 50 à 60.000 euros. Heureusement pour les deux aquaculteurs, une bonne nouvelle est tombée ce matin-là : un engagement régional à hauteur de 50% de ce montant. « Dans la période actuelle, les banques ne suivent pas forcément », indique Joan Jean-Philippe, « cette garantie de participation nous permettra d’avancer. » Des travaux qui, une fois réalisés, devraient aussi permettre d’accroître, conséquemment, la production. « Grâce à cette électricité, et à des aérateurs oxygénant les bassins, on peut augmenter la production par 10 dans les 4 ans à venir. Aujourd’hui on est à 5 tonnes, mais on peut arriver, étape par étape, à 50 tonnes. » Un soutien financier plus que bienvenu en somme.

 

A écouter le jeune aquaculteur, nombre d’espoirs sont fondés quant à l’avenir du secteur. « Après le Japonais, le Martiniquais est le 2ème consommateur au monde de poisson par habitant », indique-t-il, « et en aquaculture on ne dépasse pas les 100 tonnes importées en Martinique. Donc Il y a de la place. » A l’origine, la ferme était une structure de production : « On achetait les alevins dans une écloserie, et on les faisait grossir. Nous étions des ‘grossisseurs’ et on passait par une structure de commercialisation ». Cependant, avec les difficultés qu’a connu la profession, ces exploitants ont été obligés de monter une écloserie (dont le but était aussi de fournir la profession, mais l’apparition du chlordécone chez leurs principaux clients en a décidé autrement) ; écloserie qui aujourd’hui n’est donc pas rentable, mais qui permet d’avoir des alevins en temps voulu (« si nous avons besoin de poissons pour le 15 février par exemple, nous les aurons, mais il ne faut pas de retard sur les cycles de production », précise l’aquaculteur). Ces alevins grossissent dans les grands bassins, sont transférés dans des bacs de commercialisation, puis sont livrés aux clients. Ecloseur, grossisseur, commercial, des activités différentes, et qui pour Joan Jean-Philippe ont des conséquences regrettables quand elles sont menées par une seule entité. « Quand on fait les trois, forcément on ne les fait pas comme il faut », dit-il en effet, « l’idéal pour nous serait de se consacrer seulement au grossissement, quitte à acheter les alevins autre part, et d’avoir une structure qui récupère la production. » En Martinique il y a une vingtaine de fermes aquacoles, majoritairement marines, dont 3 ou 4 en eau douce. Pour Joan Jean-Philippe, la profession n’est pas assez organisée, notamment sur l’approvisionnement en intrants, majoritairement importés. « Le fournisseur local ne produit pas d’aliments pour poissons ; nous avons un aliment de qualité venant de la métropole, mais pour réduire les coûts il faut faire venir un container plein. Donc avoir la capacité de stocker et d’utiliser ces aliments dans un temps précis, car ils sont périssables », indique l’aquaculteur. Et d’ajouter : « On est obligés de se regrouper, mais que tout le monde ait la trésorerie au moment voulu est très difficile. On a eu une rupture d’aliments pendant huit mois, car certains n’avaient pas la trésorerie, et avec des conséquences terribles. On a dû rationner, donc la croissance des poissons a été diminuée, et on ne l’a jamais récupérée. Parfois certains n’ont pas la trésorerie, d’autres n’ont pas le besoin, difficile d’harmoniser tout ça. Et l’alimentation représente 60% des charges. » Avant la production de « Saint-Pierre », l’exploitation produisait des écrevisses, jusqu’en 2011-2012. « On a rencontré des difficultés quant à leur croissance. Nous pensons que c’est dû aux géniteurs, on a une certaine consanguinité et le temps de grossissement est multiplié par deux pour le même résultat. On a une rentabilité nulle, donc on a momentanément arrêté la production. » Et ce Saint-Pierre alors ? Est-ce le poisson du futur ? L’aquaculteur est formel : « J’étais à un colloque international, en décembre dernier, dans les 5 ans à venir ce sera la 1ère production en aquaculture », lance-t-il avec assurance, « en Martinique le marché est présent mais il n’y a pas assez de produits, donc des marchés qu’on ne peut pas atteindre, comme les hôtels, les cantines scolaires – et c’est un produit riche en oméga 3, en phosphore, etc. Le mois dernier j’ai eu un contact avec un bateau de croisière prêt à prendre du poisson, mais la production ne suit pas… Et il n’y a pas d’intérêt à fournir pendant un mois et puis arrêter, ça n’a pas de sens. » En ce début 2013, que peut-on souhaiter à la ferme Jean-Philippe ? « De perdurer, que les deux producteurs soient toujours passionnés (a priori pas de risque du contraire, ndr) et surtout qu’ils aient la santé. » Et Joan Jean-Philippe d’ajouter aussitôt : « Et de contribuer, avec les autres aquaculteurs, à réduire l’importation. » Une ambition de plus pour le secteur. Mike Irasque.

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