À quoi ressemblera notre CHU bientôt ? La question se pose, vu l’acuité de la crise affectant ce pôle majeur de la santé publique dans notre territoire. Il y va de l’avenir à court et long terme de notre hôpital public, passablement abîmé ces derniers mois, à mesure que la crise sanitaire s’est transformée en crise politique. Il est désormais à craindre que notre CHU souffre d’une crise durable de manque d’attractivité.
De nombreux médecins ont démissionné ou sont en voie de le faire. Le risque est sérieux de ce que les internes – ces étudiants en médecine en fin de cursus – s’en détournent, comme en Guadeloupe, dont la réputation du CHU est largement ternie également. Nous n’avons pas connu à Fort-de-France les agressions physiques contre le directeur de l’établissement et son adjoint. Ni les barrages filtrants des entrées des hôpitaux, afin d’empêcher patients et soignants d’y accéder librement.
Un climat irrespirable
Il n’empêche, le climat au CHU de Martinique et singulièrement à l’hôpital de La Meynard est électrique. Exemples d’absurdités vues ces dernières semaines : des prises de parole relayées par haut-parleur à côté du service des urgences ; une invasion par des dizaines de motards soi-disant pour soutenir les salariés ; gendarmes policiers molestant et gazant des manifestants, un inédit en France.
Après des mois de crise, l’ambiance au travail est marquée par la division entre collègues, la lassitude, le surmenage, la peur de se faire insulter, agresser ou harceler, les menaces de mort proférées contre les cadres et les soignants. Du jamais vu dans la courte existence du CHU, sorti de terre il y a moins de dix ans et singulièrement, de l’hôpital de La Meynard.
Nous voudrions saper les fondations de ce bel édifice que nous n’aurions pas agi autrement. Si la réputation, le crédit, l’attractivité de nos hôpitaux pâtissent de cette crise interminable, nous ne devrons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Intolérance et incohérence n’ont cessé de fleurir ces derniers mois au détriment de la bienveillance. Non seulement dans le milieu de la santé, mais à l’échelle de la société toute entière.
Un édifice sapé sur ses fondations
Si le temps n’est pas venu de le reconstruire, il convient de se souvenir que ce CHU est notre œuvre. Parmi ses pionniers, Pierre Zobda-Quitman, dont l’hôpital de La Meynard porte le nom, précisément en hommage au premier directeur de cet établissement. Il s’est battu (le mot n’est pas usurpé) comme professionnel et comme élu et militant communiste pour obtenir ce résultat.
Il a été l’un des porte-drapeaux du milieu médical qui exigeait, dans les années 1980, de monter en gamme dans l’offre de soins, en renforçant le réseau des hôpitaux de communes et des dispensaires par un centre hospitalier accolé à une université de plein exercice. En 1982, c’est la création de l’UAG sur les fondations des centres universitaires des Antilles et de la Guyane. En 1984, l’hôpital de La Meynard ouvre ses portes.
Deuxième pionnier, Christian Ursulet, le premier directeur général de l’Agence régionale de santé, l’ARS qu’il a installé en 2010. Son ambition était de regrouper sous l’unique bannière du CHU de Martinique tous les hôpitaux du pays. Une ambition freinée par des syndicalistes passéistes. Occasion ratée, qui, avec le recul, nous permet de prendre conscience qu’un CHU plus grand et donc plus puissant eut été mieux à même d’affronter la pandémie du Covid-19.
Une belle œuvre menacée
Ces trente dernières années, le CHU a puissamment contribué à l’amélioration de la santé de la population. Certes, ses capacités n’ont pas été réévaluées selon les besoins objectifs de la population. Certes, il a été le théâtre de multiples conflits. Mais il a été aussi l’un de nos amortisseurs sociaux, à l’instar des communes, en embauchant au-delà de ses capacités. Au point que les effectifs du personnel non médical sont beaucoup trop importants par rapport à ceux du personnel soignant.
A constater ce qu’il est devenu, c’est à se demander quelle est la logique guidant désormais notre CHU. Notre fierté de jadis serait-elle en passe de devenir notre honte ? Sommes-nous entrés dans la logique du pourrissement, pour reprendre le refrain de la célèbre chanson de Joby Bernabé ? Ou sommes-nous face à la logique du « tout casser pour tout reconstruire » ? C’est vraiment à se demander.