La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, en visite à Saint-Paul (La Réunion), le 28 mars 2019. RICHARD BOUHET / AFP

Par Patrick Roger

Le Monde.

Si le parti d’extrême droite a obtenu de bons résultats dans plusieurs territoires ultramarins à la présidentielle de 2017 et aux européennes de 2019, il ne présente une liste aux régionales qu’en Guadeloupe et à La Réunion, faute de troupes locales suffisantes.

Pour Marine Le Pen et le Rassemblement national (RN), les outre-mer et leurs quelque 2 millions d’électeurs constituent un enjeu majeur. Le temps est passé où Le Pen père était persona non grata aux Antilles. Ou même quand les déplacements de la présidente de l’ex-Front national à La Réunion donnaient lieu à des manifestations hostiles.

A l’élection présidentielle de 2017, Mme Le Pen a obtenu des scores supérieurs à ses résultats nationaux, au premier tour (21,3 %) comme au second tour (33,9 %), dans trois départements d’outre-mer : Guyane, La Réunion et Mayotte, ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie, où elle a atteint 47,4 % des suffrages au second tour. Aux élections européennes de 2019, la liste du RN est arrivée en tête dans toutes les collectivités ultramarines, à l’exception de la Martinique, de la Polynésie française et de Wallis-et-Futuna.

Le parti d’extrême droite « travaille » activement les outre-mer et leurs ressortissants, y compris ceux de la métropole. Mme Le Pen leur adresse régulièrement des messages vidéo. Le site du RN y consacre une rubrique constamment alimentée, ce que l’on ne trouve chez aucune autre formation politique nationale. L’enjeu est clair : conquérir cet électorat en vue de la prochaine échéance présidentielle. Et, souvent, ce scrutin a montré que celui qui gagne les outre-mer gagne l’élection.

Implantation fragile

Paradoxalement, cette capitalisation électorale du RN et de sa présidente dans les outre-mer ne trouve pas sa traduction dans les élections locales. Les scrutins territoriaux des 20 et 27 juin ne dérogeront pas à la règle, même si les responsables « marinistes » s’efforcent de structurer leurs partisans locaux et espèrent engranger quelques progressions. « Il faut laisser le blé en herbe avant de récolter », défend André Rougé, le « M. Outre-mer » du Rassemblement national.

Lire aussi: André Rougé, le « monsieur outre-mer » de Marine Le Pen

Comme en 2015, le RN ne présentera une liste aux élections régionales qu’en Guadeloupe et à La Réunion. Le Front national n’y avait obtenu respectivement que 1,4 % et 2,4 %, faute d’implantation locale. Cette fois, la liste guadeloupéenne sera conduite par Maxette Pirbakas, une syndicaliste agricole élue députée européenne en 2019. Toutefois, cette ancienne hôtesse de l’air ne se présentera pas sous les couleurs du parti d’extrême droite mais sous l’étiquette d’Air-G, pour Agir identité régionale-Guadeloupe. L’estampillage RN n’est pas encore ce qui se fait de plus vendeur aux Antilles.

Quant aux départementales, le parti ne présentera des binômes que dans deux cantons sur vingt et un : Petit-Bourg et Saint-François. Une désillusion pour la formation d’extrême droite, alors que, quelques jours à peine avant le dépôt des listes, M. Rougé garantissait au Monde la présence de candidats dans au moins cinq cantons. Un repli qui montre que, malgré l’effort de structuration de la fédération départementale engagé sous la houlette d’un jeune délégué départemental, Rody Tolassy, qui a intégré le bureau national en 2019, l’implantation du RN reste fragile.

A La Réunion, la liste régionale sera conduite par le délégué départemental, Joseph Rivière. Les thèmes de campagne sont classiques : l’insécurité, l’immigration, le coût de la vie et la refonte de l’octroi de mer. Dans ce territoire de l’océan Indien qui avait connu de fortes mobilisations de « gilets jaunes » fin 2018, le RN est convaincu que sa liste peut enregistrer des scores significatifs. Toutefois, là aussi, faute de personnel, la formation lepéniste ne sera présente aux départementales que sur trois cantons, à Saint-Benoît, Saint-Paul et Saint-Denis.

Aveu de faiblesse

A Mayotte, malgré les 46,1 % obtenus par le RN aux élections européennes de 2019 – avec, il est vrai, une participation inférieure à 30 % –, celui-ci ne présentera qu’une candidature symbolique dans le canton de Mtsamboro, dans le nord-ouest de l’archipel. « J’ai été, bien sûr, en contact avec plusieurs candidats, mais nous avons décidé de concentrer toutes nos forces sur ce canton de Mtsamboro, qui est la porte d’entrée des kwassa-kwassa chargés de migrants en provenance d’Anjouan », assure M. Rougé. Un argument d’opportunité qui dissimule à grand-peine, là aussi, un aveu de faiblesse.

Ni en Martinique ni en Guyane, en revanche, le parti lepéniste n’affichera la moindre candidature. Malgré les 27,5 % recueillis aux européennes, la fédération guyanaise, qui revendique une présence dans les quatre principales communes du département – Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou et Matoury –, se heurte à « un déficit de ressources humaines », admet M. Rougé.

Son jeune et ambitieux délégué départemental, Jérôme Harbourg, 24 ans, passé du parti Les Républicains au RN, avait été candidat lors de l’élection législative de mars 2018, où il avait obtenu 1,8 %. En octobre 2020, il a été mis en examen, ainsi que la tête de liste aux élections municipales à Iracoubo, pour « faux et usage de faux en écriture privée » et « déclarations frauduleuses ayant entraîné une inscription sur les listes électorales », après que cinq « colistiers » eurent déposé plainte, affirmant avoir été inscrits à leur insu sur cette liste. Un épisode qui illustre les difficultés de ce « parti fantôme » à concrétiser ses scores nationaux.

La Martinique faisait figure, jusqu’à récemment, de Terra incognita pour la formation d’extrême droite. En mars, le bureau exécutif du RN a nommé un « chargé de mission », Charles Bélimont, pour organiser la fédération de cette collectivité territoriale. Ce chef d’entreprise qui assure n’avoir jamais été encarté politiquement a été « recruté » par M. Rougé. « Je l’ai rencontré à l’occasion d’un de mes déplacements pour vérifier la fiabilité de ses engagements », explique le délégué national à l’outre-mer. Quelques semaines plus tard, l’adhérent novice se voyait propulsé à cette mission. Ce qui donne aussi une idée du réservoir sur lequel peut compter la formation lepéniste.

Fort en scores, faible en troupes : le paradoxe ultramarin illustre de manière archétypale la dichotomie du RN à l’heure où il aspire à exercer le pouvoir. Mais il est aussi un reflet exacerbé de l’état de détresse dans lequel se trouve une partie de la population.

Par Patrick Roger

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