La frange la plus conservatrice du clergé reproche au président des Etats-Unis son soutien au droit à l’IVG.

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Le président de l’épiscopat américain, l’archevêque José Gomez, à Los Angeles (Californie), en juin 2020.

Les messages du pape et les avertissements du Vatican n’auront pas suffi. Les évêques américains ont décidé, vendredi 18 juin, à une large majorité, de s’interroger collectivement sur l’opportunité de donner la communion aux catholiques partisans du droit à l’avortement, au risque de politiser davantage encore un des sujets de société les plus clivants.

Le document sur lequel la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis (USCCB) se prononcera en novembre ne visera personne en particulier. Mais la cible principale de cette nouvelle offensive cléricale ne fait aucun doute. Joe Biden, second président catholique de l’histoire américaine après John F. Kennedy, élu il y a tout juste soixante ans, est dans le collimateur de l’Eglise catholique depuis des années. En effet, en dépit d’une foi profonde publiquement affichée et d’une opposition personnelle à l’avortement, le démocrate s’est prononcé au fil des années pour la défense de ce droit.

La « priorité » du combat contre l’avortement

Des positions hérétiques pour la frange conservatrice de l’épiscopat américain. Cette dernière, puissante au sein de la Conférence des évêques, a fait du combat contre l’avortement une de ses « plus grandes priorités », en accord avec l’enseignement officiel de l’Eglise catholique, qui condamne sans ambiguïté le recours à l’interruption volontaire de grossesse. Interrogé sur l’éventualité de se voir refuser l’accès à l’eucharistie, l’un des sacrements les plus importants dans la vie spirituelle des catholiques, M. Biden a préféré temporiser : « Il s’agit d’une affaire privée et je pense que cela n’arrivera pas », a-t-il déclaré vendredi, à la Maison Blanche.

Pour ces partisans d’une lecture littérale et sans compromis de la doctrine, parmi lesquels le président actuel de l’USCCB, José Gomez, archevêque de Los Angeles, la charge n’est pas nouvelle. Mais, avec un catholique installé à la Maison Blanche, la controverse a pris une tonalité tout aussi politique que théologique.

Le pape François ne s’y est pas trompé, qui, lors d’une messe début juin, avait précisé que la communion n’était pas « une récompense pour les saints mais une nourriture pour les pécheurs ». Ce rappel subtil à l’épiscopat américain avait été précédé, quelques jours auparavant, par une lettre de son préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Luis Ladaria. Il prévenait les responsables catholiques qu’un vote sur ce sujet risquait de devenir « une source de discorde plus que d’unité ». De leur côté, les évêques américains proches de la ligne du pape François ont, à plusieurs reprises, mis en garde leurs collègues des dangers d’« instrumentaliser » le sujet de la communion à des fins politiques. Quelque 70 des 273 évêques américains ont pris position en ce sens.

Clivage parmi les croyants

L’archevêque de Washington, Wilton Gregory, est de ceux-là. Lors du débat qui l’a opposé à ses collègues plus conservateurs, il a déploré que ce sujet provoque « davantage de dégâts » dans l’institution catholique. Invoquant des textes du concile Vatican II, une soixantaine d’élus catholiques démocrates à la Chambre des représentants ont également, « solennellement », demandé aux évêques de ne pas persister dans cette voie.

Si elle est en phase avec les multiples offensives menées par les élus conservateurs qui, à travers le pays, s’efforcent de limiter le droit à l’avortement, cette insistance de l’épiscopat américain est en porte-à-faux avec la position de la majorité des fidèles catholiques américains (56 %) pour lesquels le recours à l’IVG devrait être autorisé dans tous les cas, selon un sondage de Pew Research Center. Deux tiers des catholiques estiment en outre que le président Biden devrait pouvoir recevoir la communion lors de la messe à laquelle il assiste quasiment toutes les semaines.

Ces chiffres cachent un profond clivage partisan parmi les croyants. Environ 55 % des catholiques votant pour le Parti républicain souhaiteraient voir M. Biden privé de communion, alors que leurs coreligionnaires démocrates ne sont que 11 % dans ce cas. Ils confirment aussi que l’Eglise catholique, plus encore que les autres confessions chrétiennes, est traversée de divisions idéologiques alignées sur la polarisation politique du pays. Lors de la dernière élection présidentielle, 52 % des électeurs catholiques ont choisi Joe Biden, en progression de 3 points par rapport à 2016, tandis que 47 % ont voté pour Donald Trump (contre 50 % en 2016).

Déclin des vocations

La frange conservatrice du clergé, proche des ultra-conservateurs évangéliques sur les questions morales, ne se reconnaît pas dans les priorités de François et ne se prive pas de le faire savoir depuis son élection. Le pape a fait de l’attention aux pauvres, aux migrants ou au climat ses priorités par rapport aux sujets plus traditionnels de l’Eglise catholique que sont la famille et la sexualité.

Enfin, alors que, comme les autres religions, l’Eglise catholique perd des fidèles à un rythme régulier depuis une quinzaine d’années, certains redoutent que la focalisation d’une partie du clergé sur la question de l’avortement occulte d’autres sujets, comme le déclin des vocations. D’autant que cette question a déjà été âprement discutée en 2004, lors de la campagne présidentielle du démocrate catholique John Kerry, partisan du droit à l’avortement. Les évêques avaient alors décidé de laisser à chacun, dans son diocèse, la responsabilité de priver, ou non, de sacrement les personnalités politiques.

Fort de cette consigne, l’archevêque de Washington a d’ores et déjà assuré que, quelle que soit la décision collective de ses collègues en novembre, il garantirait au président des Etats-Unis l’accès à la communion.

Dès samedi, Joe Biden s’est rendu à l’église Saint Joseph on the Brandywine à Wilmington (Delaware), passant notamment par son cimetière où Neilia, la première épouse du président, leur fillette Naomi et leur fils Beau sont enterrés. Il assiste à une messe au moins une fois par semaine.

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