Égalités / Santé

Laure Dasinieres

Au 8 juillet en France, 54% des personnes vaccinées étaient des femmes. Comment l’expliquer?

Une femme reçoit une dose de vaccin, le 31 mai 2021 à Garlan (Finistère). | Fred Tanneau / AFP

Dès lors qu’on a évoqué les vaccins contre le Covid-19, certains ont tenté de définir le portrait-robot des antivax. En novembre 2020, la Fondation Jean-Jaurès supposait que les femmes étaient davantage opposées à la vaccination. En février 2021, un sondage révélait que 34% des femmesétaient prêtes à être vaccinées dans les mois suivants, contre 51% des hommes.

Les chiffres de la vaccination montrent que ces prédictions ne visaient pas tout à fait juste. En avril, les observateurs avaient déjà constaté une inégalité femmes-hommes: les femmes représentaient alors 56% des personnes vaccinées. On a d’abord pensé que cela s’expliquait uniquement par des facteurs démographiques: la vaccination n’était alors ouverte qu’à certaines catégories de la population (personnes âgées, professionnels de santé).

Non seulement il y a au total dans la population française 51,7% de femmes contre 48,3% d’hommes, mais en plus, les femmes sont majoritaires (75%) parmis les résidents des EHPAD, et représentent également 60,9% des plus de 75 ans en France. En outre, elles sont surreprésentées dans les professions médicales et paramédicales. À ce moment-là, ces explications suffisaient pour que l’on retombe sur nos pattes, et on s’attendait à ce que ce fossé s’efface à l’ouverture de la vaccination à l’ensemble de la population.

Or le fossé demeure et les hommes, pourtant davantage favorables à la vaccination selon les sondages, restent à la traîne, toutes classes d’âges confondues. Les femmes françaises sont aujourd’hui davantage vaccinées que les hommes. Au 8 juillet 2021, elles représentaient 54,3% des personnes complètement vaccinées (deux doses, ou une pour celles ayant déjà contracté le Covid-19).

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Au 8 juillet, les personnes complètement vaccinées étaient majoritairement des femmes. | Capture d’écran APM News

Les déterminants socio-culturels jouent un rôle

Si le poids de la démographie reste, il faut bien aller voir du côté des déterminants socio-culturels pour expliquer cette tendance, qui n’est pas d’ailleurs l’apanage de la France. En juin dernier, l’agence américaine Centers for Disease Control and Prevention (CDC) constatait ainsi que la répartition entre les personnes ayant reçu une première dose de vaccin se faisait à 60% pour les femmes et 40% pour les hommes. Cette inégalité se retrouve également au Canada, où 70,10% des femmes ont reçu au moins une dose, contre 65,57% des hommes.

Au vu du fait que les hommes sont davantage concernés par le risque de formes graves du Covid, qu’ils sont souvent plus touchés par des comorbidités et que, de surcroît, les femmes sont davantage affectées par les effets indésirables –quoique bénins– du vaccin, ces chiffres interrogent, sans pour autant être absolument surprenants. En effet, on sait par exemple que les femmes se font davantage vacciner contre la grippe que les hommes, alors même que ce vaccin est moins efficace que celui contre le Covid-19 (entre 33 et 61% selon le type de virus de la grippe, contre environ 95% pour les vaccins à ARN-m contre le Covid-19).

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Afin d’expliquer cette inégalité femmes-hommes d’adhésion à la vaccination contre le Covid, Muriel Salle, maîtresse de conférence en histoire et spécialiste des questions de genre et médecine, avance plusieurs facteurs déterminants: «Il existe des éléments qui tendent à montrer que les femmes ont une plus grande sensibilité aux messages de prévention et de santé publique. En outre, elles sont également plus proches du système de santé, non seulement parce qu’elles ont l’habitude de consulter pour des motifs non pathologiques –comme la contraception par exemple– et de subir des dépistages, mais aussi parce qu’elles restent celles qui accompagnent davantage les enfants chez le pédiatre.»

Même si certaines sont davantage enclines à se tourner vers les pratiques de soins non-conventionnelles et à représenter alors une minorité très visible parce que très active sur les réseaux sociaux et autres forums, il n’en demeure pas moins qu’une grande majorité d’entre elles est particulièrement impliquée dans le care de manière non-professionnelle. Non seulement elles sont souvent en charge de la santé de la famille nucléaire, mais «elles sont aussi majoritaires parmi les proches aidants», signale la docteure Hélène Rossinot, médecin en santé publique et autrice du livre Aidants, ces invisibles. Et d’ajouter: «Les aidants ont le réflexe de protéger et de s’occuper des autres.»

Scripts de genre

Et du côté des hommes? Existe-t-il des déterminants socio-culturels qui les éloignent de la prévention ? Muriel Salle explique: «Il y a beaucoup de travaux qui montrent que la masculinité hégémonique conduit les hommes à avoir davantage de conduites à risque de manière directe et indirecte. Ils sont généralement plus éloignés de la prévention, du soin et de la vaccination.»

«Nous sommes dans quelque chose d’assez systémique, genré et paradoxal», note l’historienne. Une étude parue en 2019 montre que plus les hommes adhèrent aux normes masculines traditionnelles et sont hétérosexuels et mariés, moins ils sont enclins à adopter des conduites que nous appellerions responsables en matière de soins, au profit de comportements à risque et d’un éloignement de la prévention.

Selon cette étude, ils sont influencés par des scripts de genre masculin, qui leur dictent notamment une plus grande méfiance envers l’expertise du corps médical, ou un sentiment plus important d’invulnérabilité. On se souvient d’ailleurs que les hommes portent moins le masque que les femmes. La société leur a appris qu’ils devaient se montrer durs à la peine et que se référer au système de santé était réservé aux urgences, au risque d’être considérés comme trop sensibles.

«Ces inégalités de genre face à la prévention, et ainsi à la vaccination, relèvent de questions d’apprentissage des normes et d’éducation à la santé.»

Muriel Salle, spécialiste des questions de genre et médecine

Autre aspect soulevé par cette étude, mais moins pertinent en France en raison de la gratuité des soins: ces hommes s’écarteraient des soins non absolument urgents de manière à ne pas créer des coûts jugés superflus, afin de rester garants de la sécurité financière de la famille. En outre, la perte financière serait aussi une des raisons pour lesquelles ils hésiteraient à s’absenter du travail pour se faire soigner.

«On pourrait faire l’hypothèse que le degré de détachement à la masculinité primaire se voit dans les chiffres», commente Muriel Salle. Il serait, à ce titre, intéressant de voir si les hommes qui s’écartent des critères hétéronormatifs se font davantage vacciner que ceux qui y adhèrent pleinement. On sera d’ailleurs assez peu surpris que des personnalités masculinistes, comme Julien Rochedy ou Damien Rieu, s’élèvent contre la vaccination.

«Ces inégalités de genre face à la prévention, et ainsi à la vaccination, relèvent de questions d’apprentissage des normes et d’éducation à la santé, signale Muriel Salle. À ce titre, on pourrait envisager, afin de retourner la tendance, d’utiliser la contrôle social par les pairs, comme cela a été fait avec Movember, le mois de sensibilisation aux maladies masculines.»

On pourrait également, à destination de ces hommes ancrés dans la masculinité traditionnelle/conservatrice, prévoir des messages de sensibilisation dédiés en leur montrant le bénéfice individuel et collectif de la vaccination eu égard aux scripts de genre auxquels ils sont sensibles, tels que la protection de la famille ou la force acquise par la vaccination.

Ces messages devraient alors être portés par des hommes validés pour leur caractéristiques masculines traditionnelles. On pourrait également –mais c’est aussi le cas pour la population générale– faire en sorte que la vaccination n’entraîne aucune perte financière, aussi minime soit-elle. Faute de quoi, la masculinité toxique le sera encore davantage, symboliquement et littéralement

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