Repéré sur Observatoire des inégalités 


Alors que les discours de rejet des étrangers prennent toujours plus de place sur la scène médiatique, qu’en est-il des valeurs des Français ? Deviennent-ils de plus en plus racistes et xénophobes comme on peut souvent le lire ? Une analyse extraite du Centre d’observation de la société.

À la question « pensez-vous qu’une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France ? », les Français répondent sans ambiguïté : trois quarts d’entre eux estiment que « oui » (46 % « oui tout à fait » et 30 % « oui plutôt »). Seuls 8,6 % répondent « pas du tout », selon un sondage réalisé en 2019 dans le cadre du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) [1]. Ces réponses ont le mérite d’être claires. Elles devraient engager à développer les politiques publiques adéquates dans ce domaine.Pensez-vous qu’une lutte vigoureuse contre leracisme est nécessaire en France ?Oui, tout à fait: 51,15 %Oui, tout à fait: 51,15 %Oui, plutôt: 24,88 %Oui, plutôt: 24,88 %Non, pas vraiment: 13,39 %Non, pas vraiment: 13,39 %Non, pas du tout: 8,59 %Non, pas du tout: 8,59 %Ne se prononce pas: 2,00 %Ne se prononce pas: 2,00 %Oui, tout à faitOui, plutôtNon, pas vraimentNon, pas du toutNe se prononce pas
Source : CNCDH – Données 2019 – © Observatoire des inégalités

GRAPHIQUE DONNÉES

Mais une enquête est faite à un moment donné et n’a qu’une portée limitée. Les évolutions ont beaucoup plus de sens. Les Français deviennent-ils de plus en plus racistes ou xénophobes, comme peut le faire penser un certain nombre d’actes médiatisés ? La part de personnes qui estiment qu’il existe des « races supérieures à d’autres » est quasiment constante depuis 2002, autour de 10 % (6 % en 2019). La proportion de celles qui pensent que « toutes les races se valent » a baissé légèrement entre la fin des années 2000 et le début des années 2010 et atteint 56 % en 2019. Le pourcentage de ceux qui pensent que «  les races n’existent pas » a plus que doublé entre 2002 et 2019, passant de 16 % à 36 %. À la question « êtes-vous raciste vous-même ? », 60 % de la population indique « pas du tout », proportion qui fluctue entre 40 % et 50 % depuis le début des années 2000 et qui a nettement augmenté de 2013 à 2019. La part de ceux qui répondent « un peu » ou « plutôt raciste » a peu changé entre 2002 et 2013, autour de 25 %-30 %, et elle a nettement diminué depuis 2013 pour atteindre 18 % en 2019.

Ces chiffres doivent être discutés. Il est difficile de s’affirmer raciste dans une enquête (notamment face à un enquêteur) si on l’est en pratique, plus ou moins consciemment. Certes, ces dernières années, le nombre d’actes racistes a plutôt diminué [2] après avoir augmenté dans les années 2000. Mais la mesure du phénomène est difficile à établir car on ne sait pas dire si l’évolution des actes enregistrés est liée au racisme lui-même ou au fait qu’on le combat davantage. Par ailleurs, les données d’opinion constituent des moyennes qui masquent des réponses différentes selon l’âge ou le milieu social notamment. Quoi qu’il en soit, il en ressort un élément fort du point de vue des valeurs : sur longue période, le racisme perd du terrain.

 

 

Unité : %Races : de quelle opinion vous sentez-vous le plusproche ?Toutes les races se valentLes races humaines n’existent pasIl y a des races supérieures à d’autresNe se prononce pas201020052015020406080Données manquantes pour 2004 et 2015. Lecture : 34 % des personnes interrogées considèrent que les races humaines n’existent pas, selon l’enquête 2018 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. 
Source : CNCDH – © Observatoire des inégalités

GRAPHIQUE DONNÉES
Unité : %Racisme : diriez-vous de vous-même que vousêtes…Plutôt racisteUn peu racistePas très racistePas du tout raciste2000200520102015010203040506070Données manquantes pour l’année 2002. Lecture : 58 % des personnes interrogées ne se considèrent pas du tout racistes, selon l’enquête 2018 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. 
Source : CNCDH – © Observatoire des inégalités

GRAPHIQUE DONNÉES

Pour aller plus loin et mesurer l’évolution de cette ouverture sur le long terme, le sociologue Vincent Tiberj a mis au point un « indice longitudinal de tolérance ». Il s’agit d’un indicateur qui fait la synthèse d’un ensemble de questions [3] autour du racisme ou du rejet de l’autre, dont six ont été posées sur une durée de quinze ans. Globalement, l’indice oscille depuis le début des années 2000 autour de 60 %, alors qu’il était inférieur dans les années 1990. Depuis 2013, on enregistre une montée de cet indice de tolérance avec une stabilisation en 2019.

Au bout du compte, rien n’indique une poussée du racisme chez les Français, même s’il y a eu un durcissement entre 2009 et 2013. Des facteurs de sens contraires influent sur les valeurs. Comme l’a noté de longue date Vincent Tiberj [4], l’élévation du niveau de diplôme et le renouvellement générationnel poussent plutôt à l’ouverture. La dégradation de la situation économique peut en revanche jouer en sens inverse, même si son impact n’est pas simple à mesurer. Le type de majorité politique a aussi un effet que les politologues qualifient de « thermostatique » : les sondés déclarent davantage de tolérance quand la droite gouverne et d’intolérance quand c’est le tour de la gauche, comme si les sondés voulaient éviter les excès dans un sens ou dans l’autre.

Les chercheurs mettent aussi en évidence un effet dit de « cadrage » : « ce sont moins les événements en tant que tels qui peuvent influer sur les opinions des individus, que la manière dont ils sont « cadrés » par les élites politiques, sociales et médiatiques. Les responsabilités de ces dernières sont donc particulièrement importantes pour donner le ton, imposer un récit dominant », écrit par exemple la CNCDH dans son rapport 2017. Le discours politique, celui des journalistes ou des experts, donne le « ton » du moment, qui va se traduire dans les enquêtes d’opinion, en influençant les plus hésitants. On retrouve ici une tendance semblable à l’expression de la solidarité vis-à-vis des plus pauvres [5].

Finalement, le plus étonnant est surtout le faible impact des discours de rejet des étrangers alors que la parole xénophobe s’affiche de plus en plus ouvertement. De nombreux organes de presse, pour suivre ce qu’ils pensent être « l’opinion », lui donnent une place croissante notamment dans les débats de fin de soirée à télévision. Finalement, les données de la CNCDH indiquent que le succès croissant des partis xénophobes ne repose pas essentiellement sur leurs discours de rejet. Comme l’a montré Vincent Tiberj – et comme l’indiquent notamment les enquêtes autour de la pauvreté – les attentes dans le domaine social et la redistribution n’ont jamais été aussi fortes [6]. On confond parfois l’expression d’un ras-le-bol social et le racisme.


[1] Voir « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Année 2019 », CNCDH, Documentation française, juin 2020.

[2] Voir « Les actes à caractère raciste et xénophobes n’augmentent pas en France ».

[3] Comme « Les musulmans sont-ils des Français comme les autres ? », « L’immigration est-elle la principale cause de l’insécurité ? », etc.

[4] Voir par exemple : « La crispation hexagonale », Vincent Tiberj, Fondation Jean-Jaurès, 2008.

[5] Voir « Les Français ne croient pas à l’assistanat », Centre d’observation de la société, mai 2019.

[6] « Les attentes de redistribution n’ont jamais été aussi fortes », Vincent Tiberj, Alternatives Économiques, 4 décembre 2018.
Date de première rédaction le 29 octobre 2019.

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