Dans cette tribune, Philippe Villard met en lumière un problème majeur en Martinique : le nombre élevé de jeunes « NEET » — ceux qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. Avec un taux deux fois supérieur à celui de la France hexagonale, cette situation reflète des défis profonds d’insertion sociale et professionnelle pour une partie importante de la jeunesse martiniquaise. Villard appelle à une mobilisation pour renforcer et réactiver les dispositifs d’accompagnement, afin de prévenir les conséquences sociales et économiques de ce phénomène.
Un problème majeur en Martinique : les NEET[1]
La persistance d’un nombre élevé de jeunes « ni en emploi, ni en études, ni en formation » est sans doute l’un des problèmes sociétaux majeurs que vit la Martinique.
Si en France hexagonale la part des NEET parmi les jeunes de 15 à 29 ans reste proche de la moyenne européenne : 12,8 % en 2021 et semble ne guère varier, fluctuant entre 13,4 % et 12,4 % depuis 2014, en Martinique la situation est sensiblement différente.
En moyenne[2], entre 2015 et 2019, en Martinique, 26 % des jeunes de 15 à 29 ans, soit au total environ 14 400 personnes, ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (NEET) soit en proportion deux fois plus qu’en France métropolitaine.
Déjà, pour l’ensemble des jeunes (15 à 29 ans), la différence d’accès à l’emploi avec la France métropolitaine est beaucoup plus importante : seuls 27 % d’entre eux sont en emploi en Martinique contre 49 % en Métropole (ce faible taux d’emploi pouvant en partie s’expliquer par le fait que la moitié d’entre eux n’ont pas encore achevé leur formation initiale).
Comme dans l’ensemble de la France, l’absence de diplôme est un frein à l’insertion sur le marché de l’emploi : seuls 36 % des Martiniquais non diplômés ont un emploi. En Martinique, 42 % des personnes de 15 à 64 ans n’ont pas de diplôme dépassant le brevet des collèges, contre seulement 26 % en France métropolitaine.
Parmi les NEET âgés de 15 à 29 ans, la moitié sont en situation de chômage. Leur recherche d’emploi se caractérise par des démarches actives incluant l’étude des annonces d’offres d’emploi, des demandes à l’entourage, ou encore la prise de contact avec Pôle emploi.
L’autre moitié des jeunes NEET est constituée d’inactifs hors études et formation présentant des caractéristiques variées. 28,9 % des NEET se retrouvent à la frontière de l’inactivité et du chômage (halo autour du chômage). La plupart d’entre eux (24,9 % des NEET) souhaitent un emploi mais ne réalisent pas de démarches actives qu’ils soient disponibles ou non. Enfin 20,3 % d’entre eux sont plus éloignés de l’emploi ; ils déclarent ne pas souhaiter travailler (pour s’occuper d’enfants, cas de beaucoup de jeunes femmes, pour des problèmes de santé, etc.).
Un jeune NEET sur deux est peu diplômé et cohabite avec son ou ses parents.
Mais surtout, 3% de ces jeunes, soit plus de 400 personnes, essentiellement des hommes, sont totalement exclus socialement et professionnellement et vivent donc en marge de la société, hors d’un logement ordinaire et très éloignés du marché du travail. Le fait de vivre hors du cadre familial traditionnel les éloigne, voire les écarte, de la formation et de l’emploi (la quasi-totalité d’entre eux se déclarent inactifs). De plus, un sur deux d’entre eux est sorti précocement du système éducatif, c’est-à-dire sans diplôme ou diplômé seulement du brevet des collèges.
De nombreux dispositifs institutionnels ou associatifs existent en Martinique pour accompagner ces jeunes vers l’insertion et l’emploi (les missions locales, le RSMA, l’école de la deuxième chance, l’Aide à l’Insertion des Jeunes de France Travail…etc) et/ou leur proposer des contrats adaptés.
Le travail au noir, le fameux djob, jouait dans les années 80-90 un rôle de soupape sociale en permettant à de nombreuses personnes, jeunes ou moins jeunes, des hommes pour l’essentiel, de gagner leur vie au jour le jour, mais bien sûr sans aucune couverture sociale et bien souvent en concurrençant les artisans ou TPE qui, eux, payaient leurs charges.
La lutte, tout à fait justifiée, contre le travail illégal, a malheureusement, et malgré tous les dispositifs d’accompagnement mis en œuvre, laissé sur le bord de la route quantité de jeunes (ou moins jeunes) qui vivent aujourd’hui d’autres expédients, sans doute plus dangereux socialement que le djob.
Il est aujourd’hui, et plus que jamais prioritaire, essentiel et socialement vital de tout faire pour sortir ces jeunes « ni en emploi, ni en études, ni en formation » de la situation de désespérance dans laquelle ils vivent et qui les conduit à des comportements quasi-suicidaires, pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble de la société martiniquaise.
« Prévenez le mal avant qu’il n’existe ; calmez le désordre avant qu’il n’éclate. »
(Lao-Tseu – VIe siècle avant JC.)
Des solutions existent ; il convient de les (ré)activer, d’en amplifier les moyens. L’investissement social repose sur l’idée de prévention. D’une certaine manière, il étend à la protection sociale l’adage « Mieux vaut prévenir que guérir »…s’il n’est pas déjà un peu tard.
Philippe VILLARD
[1] « ni en emploi, ni en études, ni en formation » ou encore « Not in Education, Employment or Training » (NEET) selon l’acronyme anglais
[2] La plupart des chiffres et des constats qui ont nourri ce document émanent de l’INSEE (Insee Analyses Martinique N°62 du 30/03/2023)