Ci-dessous une synthèse de La Tribune de JM. NOL.
Les mouvements indépendantistes des Antilles-Guyane et de Kanaky font face à une impasse stratégique et idéologique, confrontés à une résurgence du colonialisme sous de nouvelles formes dans un contexte géopolitique mondial en mutation. Malgré des aspirations croissantes à l’autodétermination, les anciennes puissances coloniales, notamment la France et les Pays-Bas, renforcent leur contrôle dans la région caribéenne, soutenues par un réarmement idéologique et militaire.
Cette dynamique s’inscrit dans un monde en recomposition, où l’impérialisme traditionnel trouve de nouvelles expressions, compliquant les luttes pour la souveraineté locale face aux logiques de puissance globales et aux nouveaux rapports de force. E
n juillet dernier, à Bakou, des représentants de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Kanaky et d’autres territoires ultramarins ont participé à une conférence visant à fédérer les territoires encore sous administration française au sein d’un « Front international de libération des colonies françaises ». Cette initiative reflète une volonté croissante de s’appuyer sur les nouveaux rapports de force internationaux pour promouvoir la cause indépendantiste.
Depuis 2023, des alliances stratégiques se sont nouées entre les indépendantistes ultramarins et certains États, tels que l’Azerbaïdjan, qui leur offrent des tribunes internationales, notamment lors de la COP29, au grand dam de Paris qui y voit une tentative de déstabilisation. Cependant, malgré ces efforts internationaux, les indépendantistes doivent encore convaincre les populations locales de l’urgence et de la nécessité de l’autodétermination.
Après des décennies d’influence française marquées par des discours minimisant les effets du colonialisme et une forte assimilation politique et économique, un travail de pédagogie et de mobilisation est essentiel pour raviver la conscience identitaire et réhabiliter l’idée d’une souveraineté viable. Certains militants appellent à une refonte du paysage politique indépendantiste local, avec la création d’un parti unifié capable d’incarner et de structurer la lutte, intégrant également les revendications des mouvements sociaux. Le nouvel ordre géopolitique, marqué par l’affirmation des puissances du « Sud global »—Chine, Russie, Inde, et plusieurs pays africains—pourrait offrir des opportunités inédites aux mouvements indépendantistes.
Cependant, ces derniers semblent encore peiner à en saisir toute la portée. La montée en puissance de nouveaux impérialismes, notamment celui des États-Unis sous Donald Trump, complexifie la situation. Lors d’une récente conférence de presse en Floride, le président élu a relancé des ambitions territoriales rappelant les périodes les plus expansionnistes de l’histoire américaine, évoquant la possibilité d’annexer le canal de Panama, le Groenland, voire le Canada, et réaffirmant une vision offensive de la doctrine Monroe.
Cette posture s’inscrit dans une continuité historique où l’impérialisme américain s’est imposé par la force, à l’image de l’acquisition de l’Alaska, de la mainmise sur Cuba et Porto Rico, ou encore du contrôle stratégique du canal de Panama. Aujourd’hui, la volonté de Trump de renforcer la domination américaine sur des zones clés du commerce maritime et des ressources naturelles annonce une intensification des tensions globales. Face à ces transformations, la France adopte une posture de plus en plus défensive pour garantir son maintien dans ses territoires ultramarins. Le réarmement, tant idéologique que militaire, est devenu une priorité. L’État français envisage une réorientation budgétaire majeure en faveur de la défense, quitte à remettre en question son modèle social.
La déclaration d’un haut responsable affirmant que « l’argent des retraités les plus jeunes » devra être redirigé vers l’effort militaire illustre cette nouvelle priorité stratégique. Cette position révèle une volonté de renforcer les moyens de contrôle sur les territoires d’outre-mer, dans un contexte où la contestation autonomiste et indépendantiste semble regagner du terrain. Cependant, cette résurgence du colonialisme ne se limite pas à la France.
Dans les Caraïbes, le cas de Bonaire illustre une dynamique similaire du côté néerlandais. Depuis la dissolution des Antilles néerlandaises en 2010, l’île a été intégrée à la constitution des Pays-Bas sans consultation démocratique réelle de sa population. Cette absorption a entraîné une marginalisation progressive des habitants autochtones, dont la proportion est passée de 80 % à 32 % en seulement quelques années. L’immigration massive de citoyens européens néerlandais, couplée à un changement linguistique imposé avec la substitution du papiamento par le néerlandais dans les écoles, met en péril l’identité culturelle et politique de Bonaire. Face à cette situation, une délégation bonairienne a sollicité l’appui de la CARICOM pour dénoncer cette nouvelle forme de recolonisation.
Ce cas démontre que l’esprit colonial perdure, se manifestant par des stratégies d’assimilation forcée et d’effacement progressif des peuples autochtones.
Dans ce climat de crispation, la France peine à affronter sereinement son passé colonial.
La montée de l’extrême droite a conduit à une réhabilitation du discours pro-colonial, en contradiction avec les avancées du débat public observées il y a vingt-cinq ans. À cette époque, la reconnaissance des crimes de la colonisation, notamment en Algérie et au Vietnam, progressait.
Aujourd’hui, le retour en force de certaines forces politiques entraîne une réhabilitation des mythes autour de « l’Algérie française » et de la colonisation bienfaitrice, en décalage avec les recherches historiques.
Cette évolution illustre une difficulté persistante de la société française à assumer son héritage colonial, rendant le dialogue d’autant plus complexe avec les territoires ultramarins dont une fraction conteste le statut actuel.
Ainsi, la lutte anticoloniale demeure un enjeu brûlant, nourri par des tensions géopolitiques renouvelées et une volonté accrue des puissances historiques de maintenir leur influence. Si les mouvements indépendantistes des Antilles-Guyane et de Kanaky cherchent à s’adapter à ces nouveaux rapports de force, ils doivent encore surmonter de nombreux obstacles, tant sur le plan interne qu’international. Entre recomposition politique locale et alliances stratégiques avec des puissances émergentes, leur avenir