L’Europe de la santé n’existe pas ? Oui mais peut beaucoup mieux faire.
8 avril 2020 | Par Pénélope Debreu, co-coordonnatrice du pôle Europe de Terra Nova.
Que fait l’Union européenne (UE) dans la crise du Covid-19 ? Les ratés sont indéniables, le manque de solidarité à l’égard de l’Italie et de l’Espagne génère le ressentiment de leurs populations, et les critiques vont bon train sur la supposée inaction européenne. Mais celles-ci visent rarement juste. On regrette que les stratégies ou mesures prises par les États pour protéger leurs populations soient apparues si divergentes, on ne voit pas assez les mesures de soutien économiques proprement européennes prises pour limiter l’impact socio-économiques de la crise sanitaire, on se focalise sur la seule question des Coronabonds et on oublie l’essentiel : l’UE n’a pas de compétences propres en matière de santé, et pourtant, tant bien que mal, elle se coordonne dans la gestion de la crise.
La santé publique – politique de santé, services de santé, soins de santé – est expressément considérée par les traités européens comme relevant de la seule compétence des États membres[1]. Le rôle de l’UE est d’appuyer, coordonner ou compléter leur action, dans des limites strictes : compléter l’action nationale et favoriser la coopération en matière d’amélioration de la santé publique et de prévention des maladies ainsi que de recherche sur les causes des grands fléaux.
[1] Article 4 du Traité sur l’Union européenne et Article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Les seuls domaines dans lesquels les institutions de l’UE peuvent légiférer sont soit liés au fonctionnement du marché unique (normes de qualité et de sécurité des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang, produits vétérinaires et phytosanitaires, normes de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical), soit relèvent, s’agissant des fléaux sanitaires, de la surveillance des menaces transfrontières, de l’alerte en cas de telles menaces et de la lutte contre celles-ci en respectant les compétences premières des États membres.
En d’autres termes, l’UE coordonne les États membres, s’assure de l’échange d’informations, met à disposition des fonds de recherche à des consortia européens, autorise les nouveaux médicaments et matériels médicaux. Si elle a une compétence de coordination des efforts et de renforcement des capacités pour lutter contre les épidémies, en aucun cas elle ne peut prescrire aux États les stratégies et modalités de prévention et de réponse à une crise telle que celle du Covid-19, ni intervenir par son budget pour financer les systèmes de santé nationaux. Cet état de fait est le reflet d’un consensus partagé par tous les États membres et qui n’a pas varié depuis que l’intégration européenne s’est approfondie avec le marché intérieur et l’union économique et monétaire : l’organisation des systèmes de protection sociale relève des seuls pouvoirs nationaux.
L’UE a, par contre, des compétences collatérales majeures qu’elle a mises en œuvre activement depuis le début de la crise. Le Conseil européen du 17 mars a arrêté une stratégie commune de réaction à la crise du Covid-19 fondée sur deux axes, sanitaire et économique. Peu a été rapporté de cette réunion, et pourtant des mesures spectaculaires ont été prises dans la foulée pour limiter les impacts socio-économiques de la crise sanitaire. L’UE est ici dans sa mission traditionnelle, mais le caractère inédit de ces mesures révèle que des tabous sont tombés un à un en l’espace de quelques jours.
Premièrement, dans le domaine de la politique monétaire (dette publique), la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 19 mars un programme inédit[2]de rachat d’urgence de dette publique et privéepour 750 milliards d’euros prévu pour durer au moins jusqu’à fin 2020.
[2] Le Pandemic Emergency Purchase Program de la BCE pourra non seulement s’appliquer à un pays particulier sans que cela ne touche les autres pays de la zone, mais la BCE pourra s’écarter temporairement de la clé de capital qui détermine la part des achats consacrée à chaque pays de la zone euro et elle pourra si nécessaire s’affranchir de la limite maximale de détention de dette d’État (33 %), qu’elle s’est fixée.

Ce sera bien plus qu’entre 2015 et 2018 pour traiter des conséquences de la crise financière[3]. Et surtout cela a été décidé bien plus vite : quand, à l’époque, il avait fallu plusieurs années pour adopter une politique déterminée et offensive, il n’aura fallu cette fois-ci que quelques jours.
Deuxièmement, dans le domaine du contrôle des dépenses publiques, des verrous ont également sauté. D’une part, dès le 23 mars, les ministres européens de l’économie ont approuvé la suspension des limites imposées par le Pacte de Croissance et de Stabilité en matière de déficits et de dette publique(clause dérogatoire générale). D’autre part, la Commission, qui veille d’ordinaire rigoureusement aux contrôles des aides publiques aux entreprises, a donné pleine et entière flexibilité aux États poursoutenir sans restriction les entreprises ayant besoin de liquidités[4]. Au 7 avril, 16 États membres avaient vu approuvés trente-quatre régimes d’aide.
Troisièmement, le budget européen sera aussi mis à contribution. D’une part, la Commission a d’abord proposé que les paiements d’avance des fonds structurels non utilisés soient redirigés par les États membres vers les dépenses liées à la crise du Covid-19, le soutien aux PME et à l’emploi, au lieu d’être récupérés par la Commission. Ceci représente des liquidités supplémentaires de 8 milliards d’euros et un montant total de financement d’environ 37 milliards en tenant compte des co-financements nationaux. Le 2 avril, la Commission est allée plus loin et a proposé de réaffecter tous les fonds structurels disponibles à la réponse à la crise du coronavirus, les exigences de cofinancement étant abandonnées.
D’autre part, les agriculteurs et les pêcheurs bénéficieront également d’un soutien, ainsi que les plus démunis. À l’instar des fonds structurels, le recours au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche sera assoupli tandis que le Fonds européen d’aide aux plus démunis évoluera pour permettre l’utilisation de bons électroniques ainsi que l’achat d’équipements de protection pour les personnes qui fournissent l’assistance. En parallèle, une garantie d’un milliard d’euros sera allouée au Fonds européen d’investissement pour soutenir les PME.
[3] A titre de comparaison, de mars 2015 à décembre 2018, la BCE avait acheté des titres tous les mois sur les marchés financiers pour un total au final de 2.600 milliards d’euros pour soutenir la zone euro, soit jusqu’à 80 milliards d’euros par mois. Aujourd’hui, en ajoutant des rachats fin 2019 à raison de 20 milliards d’euros par mois, ainsi qu’une première enveloppe de 120 milliards d’euros débloquée le 12 mars, les interventions de la BCE vont s’élever à 1,050 milliards d’euros sur les 9 mois restants en 2020, soit près de 117 milliards d’euros engagés par mois (Le Soir, 19 mars 2020, tiré de l’AFP).
[4] Ceci concerne toutes les formes d’aides (subventions directes, allègements fiscaux, garanties d’État, prêts bonifiés, assurance-crédit de court-terme).

Enfin, La Commission a proposé de mobiliser tous les fonds restants disponibles du budget de l’UE pour cette année pour contribuer à répondre aux besoins des systèmes de santé européens. 3 milliards d’euros seront affectés à l’instrument d’aide d’urgence, dont 300 millions d’euros alloués à RescEU pour alimenter la réserve commune de matériel (voir ci-dessous).
Quatrièmement, la Commission a proposé, le 2 avril, un nouvel instrument pour aider les pays à financer le chômage partielet les mesures soutenant les indépendants touchés par la pandémie de coronavirus (« SURE »). Ces mécanismes de chômage partiel, tels que déjà mis en place par la France et l’Allemagne par exemple, permettront aux entreprises de pouvoir retrouver plus rapidement leur capacité de production et de redémarrer plus facilement à la sortie de la crise. Grâce à la notation « triple A » de l’UE sur les marchés financiers, ce mécanisme permettra d’accorder des prêts à des conditions très favorables aux États membres pouvant aller au total jusqu’à 100 milliards d’euros.
La réactivité et la centralité du soutien européen à l’économie révèle, une fois de plus à la faveur d’une crise, l’incomplétude de la construction européenne quand on la compare à la coordination européenne pour l’autre axe de la stratégie européenne, la lutte contre la propagation du virus. Cela a également donné le sentiment que l’essentiel de la parole européenne est monopolisé par la BCE. Aux yeux de l’opinion, ce décalage apparait d’autant plus grand que des mesures européennes inédites et brisant aussi quelques tabous ont bel et bien été prises mais qu’elles ne sont guère assumées par les dirigeants européens, et singulièrement les dirigeants français, comme relevant d’une forte implication de l’UE dans la gestion de la crise sanitaire.
Solidarité d’urgence bien réelle
En matière de coordination de l’urgence sanitaire, le rôle du mécanisme de protection civile européenest frappé de silence médiatique. Conçu à l’origine pour aider des États à faire face à une catastrophe naturelle en recourant aux capacités logistiques des autres États, et finançant jusqu’à 75% des coûts opérationnels, il est coordonné par le centre de crise de la Commission européenne et du Service d’action extérieure de l’UE. De nombreux États membres y ont fait appel en février et c’est ainsi que plusieurs milliers de citoyens européens ont pu être rapatriés depuis les pays tiers par des pays européens autres que le leur.
De même, l’Italie (le 26 février) puis l’Espagne (le 16 mars) ont activé le mécanisme pour des demandes d’équipement médical, en particulier des masques. C’est ainsi que l’Allemagne et la France réunies ont, désormais, envoyé plus de masques à l’Italie que la Chine, mais aussi que des patients français sont reçus dans des hôpitaux luxembourgeois, suisses et allemands[5].
D’autres instruments mis en place ces dernières années pour la lutte contre les épidémies ont été activés de manière innovante. Pour la première fois, le 19 mars, la Commission européenne a décidé de créer une réserve européenne commune de matériel médical(respirateurs, masques de protection et petit matériel de laboratoire), financée à 90% par le budget européen, dont le centre européen de réaction d’urgence gèrera la distribution. Pour les achats les plus urgents, l’accord de passation de marché en commun, initialement envisagé pour les vaccins, a été activé. La Commission européenne a lancé au nom de 25 États membres quatre appels d’offre entre le 28 février et le 19 mars, et en quelques jours, les producteurs européens ont répondu à l’appel, leurs offres dépassant même les quantités demandées lors des deux premiers appels. Ces achats groupés permettent aux États membres de bénéficier de prix plus avantageux pour les matériels médicaux de protection indispensables aux soignants.
L’importance de la recherche au niveau européen
Dans le domaine de la recherche de traitements et de vaccins contre le Covid- 19, la mobilisation de tous les laboratoires et centres de recherche européensne doit rien au hasard. D’une part, depuis la fin janvier, le programme Horizon 2020 a fait des appels à projets en masse. 140 millions d’euros ont été mobilisés pour développer vaccins, traitements, tests de diagnostic et systèmes médicaux, dont 17 projets mobilisant 136 équipes de recherche soutenus par 47,5 millions d’euros. La France participe à huit de ces projets. Parmi ces projets figure un essai clinique destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux, lancé dès le 22 mars, coordonné par l’Inserm et qui inclura 800 patients dans toute l’Europe (projet Discovery). Les entreprises pharmaceutiques innovantessont également destinataires du soutien européen, avec un appel à propositions s’achevant le 31 mars pour développer traitements et diagnostics, financé en partenariat public- privé pour un montant estimé de 90 millions d’euros (dont 45 millions du programme Horizon 2020).
[5] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/FS_20_563. Le 6 avril, 198 patients d’autres pays européens étaient soignés dans des hôpitaux allemands. Parmi eux, 130 venaient de France, 44 d’Italie et 24 des Pays-Bas (source : Thomas Wieder, Le Monde).
D’autre part, au-delà de ces projets spécifiques, la recherche européenne peut s’appuyer sur des investissements réalisés grâce aux fonds européens en matière de connaissances des épidémies et infrastructures de recherche. Depuis 2014, de nombreux réseaux ont été soutenus, pour près de 60 millions d’euros[6], en vue d’étudier les dynamiques des épidémies, les réponses à y apporter, compiler et modéliser les données, définir les mesures hospitalières de préparation. Des ressources et infrastructures communes ont été développées, pour 83 millions d’euros[7], pour bâtir une collection virtuelle de virus humains, animaux et végétaux, analyser les données avec des super- calculateurs, mettre en place des services techniques de développement de vaccins, analyser les composants biomoléculaires et partager les données à grande échelle. Toutes ces infrastructures, bases de données et réseaux sont actuellement activés au service de la compréhension de l’épidémie et de la recherche d’un traitement et d’un vaccin.
Une politique industrielle naissante
Enfin, l’Europe s’est engagée dans le domaine de la politique industrielle, qui est pourtant compétence subsidiaire au même titre que la santé. Elle l’a fait principalement en utilisant ses instruments traditionnels. En ce qui concerne la politique commerciale, depuis le 15 mars, la Commission européenne permet aux États membres de soumettre à autorisation l’exportation vers les pays non européens d’équipements et de protection médicaux. La réglementation du marché intérieur a également été adaptée. Pour faciliter la mise sur le marché de nouveaux matériels médicaux et équipements de protection personnelle, les 20 et 23 mars, la Commission européenne a demandé aux organismes de certification CEN et CENELEC, qui octroient la certification CE, de mettre les standards de conformitégratuitement à disposition des entreprises se lançant dans la production et a envoyé des lignes directrices aux organismes nationaux en charge des évaluations de conformité pour accélérer la validation des équipements non-CE.
Afin de maintenir les capacités industrielles en Europe, l’instrument de screening des investissements étrangersdevrait être utilisé, qui permet aux États d’imposer des conditions aux investisseurs étrangers acquérant une entreprise européenne voire d’interdire l’acquisition pour des motifs de sécurité ou d’ordre public.
[6] Projets PREPARE, ACCELERATE, Global research collaboration for infectious disease preparedness network, Versatile emerging infectious disease Observatory, Monitoring outbreaks events for disease surveillance.
[7] Projets European Virus Archive, EXCALATE platform, TRANSVAC2, HPC Centre of excellence for computational biomolecular research, EOSC-Life.
Le 25 mars, la Commission a émis des lignes directrices pour encourager les États membres à effectuer un tel screening dans les secteurs de la recherche médicale, la biotechnologie et les infrastructures de recherche et s’assurer une application harmonisée de ces mesures. Seuls 14 États ayant à ce jour mis en place le mécanisme, elle a aussi enjoint les autres à le faire.
Au-delà du recours actualisé aux instruments traditionnels, l’UE a aussi agi stratégiquement pour protéger une entreprise innovante. Une PME biotechnologique allemande, CureVac, qui avait reçu un prix de la recherche européenne en 2014, s’est vue approchée par le gouvernement américain avec un contrat d’exclusivité à la clé. Avec le concours de l’Allemagne, la Commission européenne a réagi en octroyant une garantie de 80 millions d’euros, s’ajoutant à un prêt à venir de la Banque européenne d’investissement du même montant, pour s’assurer que la technologie vaccinale qu’elle met au point reste en Europe.
Ce panorama des multiples mesures prises au niveau européen depuis la mi- mars, soit en moins d’un mois, démontre que l’UE a la capacité de réagir aux crises sanitaires, même si cet aspect est trop souvent occulté par les médias et les responsables politiques nationaux. Il montre aussi que l’innovation est à l’œuvre et invite dès lors à réfléchir à des pistes pour l’avenir afin de consolider et renforcer les chemins qui ont été défrichés dans l’urgence. Nous laisserons ici de côté les questions économiques pour nous concentrer sur ce qui devrait être envisagé en matière de santé.
Renforcer les capacités de gestion des crises épidémiques
La première piste est de renforcer les capacités de gestion en commun des crises épidémiques. L’UE a clairement la mission de lutter contre les grands fléaux et peut adopter des mesures législatives dans ce but (Article 168.5), tout en respectant les responsabilités des États membres dans l’organisation et la fourniture des soins de santé. Elle a d’ores et déjà mis en place des mécanismes de solidarité entre États membres, coordonnés par la Commission européenne, et des réseaux intenses de surveillance épidémiologique impliquant tous les États. Mais la crise du Covid-19 montre que les degrés de préparation au niveau national varient, que les capacités des États sont disparates et que les instruments européens existants manquent de capacités. C’est sur ce terrain qu’il conviendrait dès lors de faire porter l’effort.
En matière de préparation aux épidémies, le caractère disparate des situations nationales que l’on a découvert à la faveur de la crise du Covid-19 impose de renforcer la responsabilité mutuelleque se doivent les États membres.
Un monitoring détaillé des capacités nationales à gérer les épidémies : Un tableau de bord public aussi médiatisé que la surveillance budgétaire de la Commission aurait pour vertu de mettre les États membres devant leurs responsabilités à l’égard de leurs propres citoyens. De ce monitoring pourraient être tirées des conclusions du Conseil de l’UE, une revue par les pairs mettant en évidence que la capacité d’un État à se préparer à une épidémie concerne tous les autres.
Une capacité européenne d’achat et de stockage de matériel et médicaments essentiels : La crise actuelle a tristement montré que les seules forces de marché ne permettent pas de faire face à une pandémie. L’explosion de la demande pour un produit et la limitation de l’offre génère hausse des prix, multiplication des intermédiaires opportunistes, résiliation de contrats au profit du plus-offrant, corruption, etc. Pour y remédier, plusieurs scénarios sont envisageables, le but étant d’opposer un oligopsone aux fournisseurs, qu’ils soient non européens ou européens. Idéalement, l’UE devrait constituer des stocks stratégiques au niveau européen, ce qui supposera de définir les matériels et médicaments essentiels pour tous et de généraliser l’utilisation d’appels d’offre conjoints. Elle pourrait aussi constituer une centrale d’achat européenne à travers laquelle pourraient passer les États membres pour constituer leurs stocks, ce qui reviendrait à renforcer le dispositif RescEU. La première solution risquant de se heurter au désir des États de posséder leurs stocks pour protéger prioritairement leur population, on peut imaginer des solutions mixtes.
Un mécanisme d’alerte : La combinaison des deux éléments qui précèdent amènerait les institutions de l’UE et chaque État à porter le regard sur ce que font les autres et déboucherait sur la nécessaire mise en place d’un mécanisme d’alerte en cas d’insuffisance des capacités et des stocks chez l’un qui mettrait en cause la sécurité sanitaire des autres.
Une action résolue au niveau international : L’interdépendance sanitaire ne se limite pas aux frontières de l’UE. L’UE devrait porter à l’échelle internationale une forte réaction pour que soient interdits les pratiques du type « marché d’animaux sauvages » (Chine) et pour qu’une nouvelle convention sanitaire internationale contraigne les signataires à donner l’alerte plus rapidement en cas de problème, à l’image de ce qui a été fait pour le risque nucléaire à partir des années 1990.
Dans le domaine de la gestion des crises épidémiques, l’opinion a surtout été frappée par les différences d’approches et souvent le chacun pour soi des décisions nationales. Ceci appelle à renforcer les mécanismes de solidarité entre États membres.
Une synchronisation et une harmonisation des mesures de réaction : Le calendrier et le détail des mesures de protection contre l’épidémie jouent un rôle clé dans sa propagation ou dans la capacité à la freiner[8], mais aucune capacité d’harmoniser les décisions n’existe au niveau européen. Il y a donc lieu de mettre en place des règles européennes plus contraignantes pour que les États adoptent de manière synchronisée et harmonisée, et le plus vite possible, les mesures recommandées par l’OMS dès qu’une épidémie au caractère particulièrement inédit et menaçant apparaît.
Le recours systématique au mécanisme de protection civile européen : Ce mécanisme a montré ses limites quant à la volonté des autres États de venir en aide à l’Italie puis à l’Espagne ou pour le rapatriement des citoyens européens. La mise à disposition de capacités se fait en effet sur base volontaire. Pensé pour faire face aux catastrophes naturelles (incendies, tremblement de terre), où il est compréhensible que tous les pays européens n’aient pas les mêmes capacités à aider, ce principe du volontariat n’est pas adapté lorsqu’il s’agit de prémunir l’ensemble de l’UE de la diffusion d’une épidémie grave. Il devient obsolète si l’on met en place une politique de rehaussement général des capacités. Tout État membre devrait donc offrir, à l’avenir, ses capacités nationales dès qu’un autre active le mécanisme de protection civile.
La généralisation des appels d’offre européens : L’approvisionnement d’urgence de matériels et stocks essentiels fait l’objet du chacun pour soi le plus visible, et le plus discutable, puisqu’il s’agit de passer commande à des fournisseurs essentiellement chinois et que seuls quelques pays européens ont un pouvoir de négociation suffisamment grand pour éviter le piège du monopoliste (privilégier le plus offrant). La plupart des petits États membres se trouvent ainsi dans une situation très délicate. Il est donc essentiel de généraliser les appels d’offres européens aussi pour les approvisionnements en cours de crise épidémique, ou à tout le moins, d’assurer que les marchés soient passés à plusieurs États membres avec une supervision européenne visant à assurer qu’aucun État membre ne se retrouve exclus.
[8] La vitesse de réponse des États après la survenue du premier décès a varié de 0 (décision avant – AT, CZ, EL, HUN, PL, PT) à 15 jours (FR) pour l’interdiction des événements publics, de 0 (CZ, EL, PT) à 31 jours (FR) pour la fermeture des écoles, de 0 (CZ, PT) à 29 jours (FR) pour la fermeture des magasins non essentiels, de 0 (CZ, PT) à 32 jours (FR) pour l’interdiction des déplacements non essentiels, tandis que la fermeture des frontière a varié entre 0 (CZ, PT) et 18 jours (IT) mais n’a pas été décidée par tous les États membres (Politico, 31 mars 2020)

Rebâtir une industrie européenne du médicament et de matériel médical
La crise du Covid-19 a cruellement mis au jour une division internationale du travail poussée jusqu’à l’abandon quasi-total des capacités industrielles de production de médicaments, matériel médical et tests, qui sont stratégiques. Les citoyens européens ont découvert avec effarement que l’Europe ne possède plus d’usine de fabrication de paracétamol et quasiment pas de masques protecteurs ni de production d’élastiques équipant ces mêmes masques. L’UE n’aura pas d’autre choix que de rebâtir une capacité industrielle dans ce secteur et de la protéger contre les appétits d’investisseurs ou spéculateurs non européens.
Faire de l’industrie pharmaceutique une industrie stratégique : Il conviendra pour cela de construire une stratégie industrielle en alliance avec les industriels et entreprises biopharmaceutiques, les institutions de recherche, les États et les institutions financières européennes pour bâtir une chaîne de valeur autonome. A l’image de ce qui a été fait pour les batteries dans le cadre de la transition énergétique[9], il s’agit de construire un plan d’action global, ambitieux, composé de mesures concrètes pour sécuriser l’accès aux molécules et composants essentiels, soutenir directement l’accroissement des capacités industrielles sur une base transnationale, l’accompagner par l’accélération de la recherche et innovation et la formation d’une main d’œuvre qualifiée et adapter l’ensemble du cadre réglementaire et des politiques collatérales (commerce, marché intérieur, concurrence, etc) en cohérence avec l’objectif d’autonomie européenne.
Systématiser le recours au mécanisme de surveillance des investissements stratégiques : il est indispensable d’éviter le rachat de firmes européennes par des grands concurrents globaux. Ce mécanisme encore jeune repose sur un screening au niveau national qui laisse une large marge de manœuvre aux États et ne fait intervenir la Commission européenne que pour avis. De même qu’un règlement européen impose aux États et à la Commission de contrôler toute fusion ou acquisition d’entreprise ayant un impact sur la concurrence, un tel mécanisme renforcé devrait imposer un contrôle et le blocage par la Commission d’une fusion ou acquisition mettant en cause l’autonomie européenne de production de médicaments et matériels essentiels pour la lutte contre les épidémies.
[9] « European Battery Alliance” (https://ec.europa.eu/growth/industry/policy/european-battery-alliance_en)
Réinvestir massivement dans les structures hospitalières
La crise du Covid-19 a également montré qu’à quelques exceptions près, comme l’Allemagne, l’ensemble des États européens ont réduit leurs capacités hospitalières – singulièrement les lits de réanimation avec assistance respiratoire – au point que la stratégie de réponse à cette crise est dictée avant tout par l’objectif d’éviter le débordement des structures de soins hospitaliers. Une stratégie de réinvestissement massif s’avère nécessaire et la surveillance budgétaire européenne devra non seulement ne pas l’empêcher mais l’encourager.
Faire de l’investissement dans les capacités sanitaires et hospitalières des États membres une priorité des grandes orientations de coordination budgétaire : Les recommandations spécifiques par pays, proposées par la Commission européenne et adoptées par le Conseil, devraient désormais analyser les dépenses publiques de santé non au regard de leur poids dans le déficit et la dette des États mais au regard de leur capacité à atteindre des objectifs de résilience en cas d’épidémie grave ou de pandémie.
Réorienter la programmation budgétaire multi annuelle pour la période 2021-2027 : Son adoption est urgente ainsi que sa réorientation vers le soutien aux investissements dans les PME innovantes du secteur de la santé, l’adaptation des formations et emplois en conséquence et le maillage hospitalier et sanitaire territorial. Il devrait aussi contenir une ligne budgétaire fortement dotée pour la préparation et la réaction aux crises sanitaires afin de financer les instruments européens renforcés présentés ci- dessus.
Gérer la circulation des personnes de manière ordonnée
Parmi les premières mesures prises au début de la crise du Covid-19, les plus visibles ont été les fermetures des frontières. Aux frontières extérieures, l’unité européenne a été préservée à la faveur d’une mesure inédite. Le fait de ne pas être considéré comme une menace pour la santé publique faisant partie des conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers, et face au risque de mesures nationales hétérogènes, le Conseil de l’UE a décrété la fermeture temporaire des frontières extérieuresde l’UE pour une durée minimale de trente jours (mesure proposée le 16 mars par la Commission européenne).
Par contre, en matière de libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen, les décisions nationales l’ont emporté, de manière désordonnée.
Les États membres peuvent certes réintroduire des contrôles aux frontières intérieures pour des raisons d’ordre public ou de sécurité intérieure mais ils doivent être proportionnés, nécessaires et non-discriminatoires entre les ressortissants d’un État membre et les autres citoyens de l’UE qui résident sur son territoire, et le transit des citoyens de l’UE qui retournent dans l’État membre dont ils sont ressortissants ou dans lequel ils résident ne doit pas être empêché. Treize États membres ont notifié de telles mesures à la Commission, mais la mise en œuvre disparate de ces dispositions a conduit celle-ci à adopter, le 16 mars, des lignes directrices pour assurer qu’à tout le moins, la fermeture des frontières nationales ne bloque pas les transports de marchandises et n’impliquent pas de discrimination à l’égard des chauffeurs routiers. A l’avenir, cet aspect important pour limiter la propagation d’une épidémie devrait être géré de manière plus rationnelle.
Harmoniser et contrôler les restriction à la libre circulation : Puisqu’il est légitime de restreindre la libre circulation des personnes pour des motifs sanitaires, ce sont des critères sanitaires harmonisés qui devraient présider à de telles décisions. Dès l’apparition d’une grave épidémie, des critères devraient être adoptés par la Commission européenne et leur respect soumis à son autorisation pour assurer que les États membres prennent les mêmes mesures et que celles-ci respectent les principes de proportionnalité, non- discrimination et stricte nécessité au regard de leurs effets sur la circulation des marchandises.

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