Focus sur le « duel » (électoral) annoncé depuis de longs mois entre Jean-Philippe Nilor et Alfred Marie-Jeanne dans la circonscription Sud, à l’occasion des imminentes élections législatives. Une échéance aux forts enjeux personnels pour les deux hommes.

« Je considère que je n’ai pas démérité ; mon investissement, ma droiture, mon honnêteté à représenter du mieux que je peux le peuple martiniquais, à faire des interventions pertinentes au nom de la Martinique, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de personnes qui puissent le mettre en doute » : tels furent, parmi d’autres, les éléments de langage argumentatifs – et manifestement satisfaits – du député sortant du sud lors d’une émission de télévision, il y a quelques semaines. Des éléments qui, depuis, furent répétés, développés et déclinés de diverses façons. Et qui le seront probablement jusqu’à la veille du 11 juin, date du 1er tour de ces Législatives. Un député sortant qui, dans cette même émission, invoqua également des motivations mêlant l’affectif à l’intime. « Je suis candidat aussi pour rassurer tous ceux qui m’apprécient », assura Jean-Philippe Nilor, « et peut-être (pour) interpeller tous ceux qui se sont réjouit, à un moment donné, de mes problèmes de santé. Oui je suis candidat à ma propre succession, parce que j’ai une santé qui est aujourd’hui excellente. » Le possible ressentiment quant à « tous ceux qui se sont réjouit », fait-il partie des émotions et autres affects ayant motivé Jean-Philippe Nilor à être candidat ? Il est bien sûr difficile de l’affirmer. Mais légitime de le supposer. Nous y reviendrons. En tout cas le député sortant poursuivit en niant, sans surprise, la présence en lui du moindre début de commencement de ressentiment. « Je vais à cette élection en toute sérénité, sans idée de revanche, sans idée de haine, sans état d’esprit de haine », affirma Jean-Philippe Nilor en effet. La transition vers l’interrogation suivante était toute trouvée ; ce que ne manqua pas de faire l’un des journalistes de cette émission, convoquant alors la figure d’Alfred Marie-Jeanne puis évoquant les relations tendues entre les deux hommes depuis – au moins – ces six dernières années.

« Dans mon état d’esprit il n’y a aucune rancœur ; même si j’ai subi tout ce que j’ai subi… »

« C’est un peu dommage », glissa le député sortant quant à la candidature de celui qui représenta la circonscription sudiste entre 1997 et 2012. Avant d’ajouter, dans le même souffle : « Mais M. Marie-Jeanne a tout à fait le droit de se présenter à une élection, de solliciter le poste de député de la Martinique. » Et Jean-Philippe Nilor de faire alors écho à ses propres mots. « Ce que je dis c’est que dans mon état esprit il n’y a aucune haine », affirma-t-il ainsi, « dans mon état d’esprit il n’y a aucune rancœur ; même si j’ai subi tout ce que j’ai subi – tout ce mépris, toutes ces attaques – je n’ai aucune haine. » D’aucuns, à l’esprit quelque peu taquin, pourraient qualifier la description que fit ici M. Nilor de sa « météo intérieure », comme étant semblable à celle du Dalaï Lama ou du Mahatma Gandhi. C’est peut-être en effet le cas ; nous n’en savons rien. Cependant, il est loisible de supposer que par un tel champ lexical (« rancœur, mépris, attaques, haine »), Jean-Philippe Nilor chercha à convoquer, sinon à désigner pour les auditeurs et auditrices de cette émission la figure d’Alfred Marie-Jeanne ; ce dernier ayant, il est vrai, publiquement multiplié ces dernières années diverses accusations (« comploteur », « traitre ») et autres propos dévalorisants envers son ancien collaborateur parlementaire – et ceci avec de possibles acmés dans le dénigrement, lors de la campagne des élections territoriales de 2021… . Néanmoins, et comme il le fit pour les propos précédents, Jean-Philippe Nilor écarta ce type d’hypothèse. Et de quelle façon. Qu’on en juge par les mots qui suivent.

« J’aime encore M. Marie-Jeanne » 

« Et à la limite, je vais vous faire une confidence », poursuivit Jean-Philippe Nilor dans cette même émission télévisée, « j’aime encore M. Marie-Jeanne. » Une ‘’confidence’’ en forme de déclaration d’amour qui dût susciter, ce soir-là, des réactions particulièrement contrastées, sinon tranchées : de l’adhésion possiblement émue à l’incrédulité goguenarde, en passant par l’indignation courroucée. Entre autres sentiments. « Ce sera une belle bataille, un beau combat », augura alors le député sortant. Avant de souligner : « Moi j’espère que ce combat sera régulier. Et je fais confiance à la lucidité du peuple martiniquais, notamment des habitants du sud, pour arbitrer et juger in fine de celui qui a les plus grandes capacités, aujourd’hui, d’être un bon député pour la Martinique. » Entre le doute exprimé quant à un combat « régulier », l’invocation de la « lucidité » des habitants du sud, ou encore la mention de « celui qui a les plus grandes capacités, aujourd’hui, d’être un bon député », il y a là tant de possibles commentaires à faire… . Mais partageons seulement celui-ci : aucun des mots et propos précités n’a été exprimé par hasard par le député sortant. Aucun. La teneur de cet argumentaire électoral a été pensée, réfléchie, soupesée. Des mots auxquels il faut d’ailleurs en ajouter un autre : « avenir ».

Il y a quelques semaines, dans un reportage radiophonique relatif à une réunion (de campagne) de M. Nilor au Saint-Esprit, on entend ce dernier, interrogé sur la candidature d’Alfred Marie-Jeanne à l’échéance de juin et évoquant le succès électoral qu’il appelle de ses vœux, souligner ceci : « Il faut que cette victoire soit symbolique, il faut qu’elle soit massive, pour démontrer tout simplement qu’il y a encore de l’avenir en Martinique (…). » Bon… récapitulons. « Lucidité » de l’électorat, « celui qui a les plus grandes capacités, aujourd’hui, d’être un bon député », « démontrer qu’il y a encore de l’avenir » : autant de mots qui renvoient, certes de manière implicite, à l’âge d’Alfred Marie-Jeanne, qui compte 85 carêmes depuis novembre dernier. Et c’est probablement l’une des questions qui occupent les esprits (un euphémisme ?) des partisans et adversaires d’AMJ quant à cette élection : son âge sera-t-il vu comme un ‘’handicap’’ par une partie des votant.e.s du sud ? Plus précisément, combien de ces électeurs et électrices verront ledit âge comme une sorte de point faible ? Interrogations pour l’heure en suspens. Cependant il est une autre réalité, de type sociologique celle-là : une part de l’électorat de notre péyi n’aime pas que le grand âge soit stigmatisé, notamment dans le cadre d’une échéance via les urnes. Et surtout quand la personne ainsi stigmatisée est considérée par un certain nombre de martiniquais – et d’électeurs – comme celle qui vous a « fait politiquement »… . A tort ou à raison.

« Ses 84 ans n’ont peut-être pas gêné tout ou partie des 18.056 votants de la circonscription… »

Mais quoiqu’il advienne d’ici le 11 juin, il est une « ultime » réalité – et non des moindres – à prendre en considération. Une réalité qui est d’ailleurs, très probablement, l’une des causes majeures de la candidature d’Alfred Marie-Jeanne à ces Législatives. En effet ses 84 ans, en juin 2021, n’ont peut-être pas gêné tout ou partie des 18.056 votant.e.s de la circonscription Sud, qui ont accordé ce nombre total de suffrages au Gran Sanblé Pou Matinik ; une liste dont Chaben était, faut-il le rappeler, à la fois la ‘’tête’’ d’ensemble et de ladite circonscription pour les dernières élections en date de la CTM. Et l’on s’en souvient, le « bicéphale Marie-Jeanne » avait, à l’issue du second tour de ces Territoriales, devancé le « bicéphale Nilor » dans pas moins de dix communes sur les onze que compte le Sud. Et souventes fois de spectaculaire façon – à l’unique exception de Sainte-Luce, « base » du député sortant, où la liste conduite alors par lui avait distancé celle conduite par M. Marie-Jeanne de 190 voix. Ceci pour un nombre total de 6721 suffrages « sudistes » accordés à la liste Ansanm Pou Péyi-Nou, conduite par M. Nilor.

Malgré une participation électorale de second tour plafonnant à 44,8 %, la différence entre les scores totaux des deux hommes dans le sud s’était avérée, à l’époque, particulièrement amère pour le député sortant. Ce « verdict » sudiste a donc résonné il y a douze mois. ‘’Seulement’’ douze mois, se disent probablement partisans et adversaires d’Alfred Marie-Jeanne quant à l’imminente échéance. Un adverbe (« seulement ») qui fait cependant naître des sentiments assurément dissonants chez les partisans de l’un et l’autre candidat… . Alfred Marie-Jeanne/Jean-Philippe Nilor : qui de ces deux prétendants a le plus à perdre en cas de défaite à ces Législatives ?

Mike Irasque

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