Mike Irasque a interviewé Me Léon-Laurent Valère, dont peu de gens savent que  le célèbre avocat et homme politique martiniquais, a été non seulement le conseil juridique de Pierre-Just Marny dans les années soixante, mais également son ami et confident. Les deux hommes avaient eu une correspondance épistolaire – de plus de trente ans – et  le magistrat lui rendait régulièrement visite à la prison de Ducos. Il nous parle de sa relation à Marny, et d’une « affaire » dont les échos ne cesseront sans doute pas de résonner avant longtemps…

Léon-Laurent Valère était un ami du père de Pierre-Just Marny. Un père qui, à l’orée des années soixante, demande au jeune avocat d’assister son fils, « dans une procédure qui était probablement l’une des premières, sinon la première procédure de vol de voiture en Martinique », précise Me Valère dans un sourire. Après la célèbre expédition punitive menée par Marny (après ses deux ans de prison pour « vols »), le père du jeune homme sollicite de nouveau Léon-Laurent Valère (ainsi qu’un autre avocat martiniquais, Emmanuel Ursulet, ndr) afin de conseiller son fils, dans cette affaire autrement plus grave que la précédente.

Quelle fut la nature de ce premier contact, avec celui qu’on allait peu après surnommer la « panthère noire » ? « Avec moi je n’ai le souvenir que d’une grande compréhension, voire même d’une grande affection. C’est très curieux (sourire). Du moment que c’était ses avocats, il n’y avait pas de problème. » Quant aux personnes tuées par Pierre-Just Marny – deux adultes et un enfant, faut-il le rappeler – l’avocat fait mention (à l’instar de l’intéressé) du regret exprimé par l’ancien détenu. Et l’homme de loi d’indiquer dans la foulée : « Je l’ai vu pleurer lorsque j’ai évoqué une couverture du quotidien local, avec la veuve de l’une de ses victimes. Je lui ai dit ‘tu as vu le journal ?’ Il m’a dit ‘oui.’ Pour la première fois en 40-45 ans, ses yeux étaient humides de larmes. C’était il y a deux ou trois ans. »

Marny, héros des pauvres ? Symbole d’une résistance à la répression coloniale ? Incarnation d’un nèg mawon moderne ? Fondé ou pas, pertinent ou non, ce type de commentaire se fait entendre depuis des décennies. Pour Léon-Laurent Valère, les choses sont claires : « Je l’ai toujours dit, ne faisons pas d’erreur sociale : ce n’est pas un héros, ce n’est pas un modèle. Mais c’est un homme exceptionnel. »

Exceptionnel ? Un qualificatif qui pourrait donner lieu à bien des interprétations… « Exceptionnel » en quoi donc ? L’avocat martiniquais s’explique : « D’abord une grande détermination – dans la vengeance ou dans l’action peut-être –, ensuite un courage indomptable, une force physique considérable, une ruse de félin.

Et puis une intelligence, car au fond l’intelligence c’est l’adaptation à la vie. » De l’avis de la robe noire, une autre spécificité était quasi consubstantielle à Pierre-Just Marny : « Le fait qu’il n’y a aucune détention qui l’ait cassé. C’est la première fois que je voyais ça. Je vais voir le type en 2003, il devait avoir 60 ans : je trouve un athlète… Je me dis ‘c’est pas possible’. Je l’avais vu à La Santé (célèbre prison française, ndr) : il pesait un quintal. Et là je trouve un type mince ! Il se met à rigoler et me dit : ‘tu sais je fais 50 pompes tous les jours.’(sourire) » Et Me Valère de poursuivre, sur le rapport de la population à Marny : « Je crois qu’elle avait un sentiment double.

Dans un premier temps, avant qu’il ne soit arrêté, la peur. Puis il s’évade. Là il y a un ‘phénomène Mandrin’ qui s’ajoute (célèbre brigand français, ndr), un côté ‘bandit au grand cœur’. Les gens disent ‘Mi boug ! Mussieu fò !’ C’est vrai, il y a des gens qui voulaient le soutenir. Et il y en a d’autres qui le faisaient un peu par crainte. Il y a eu sans doute de l’aide à Marny à la fin, mais ça ne m’a pas paru spectaculaire. » Pour Me Valère, le soutien populaire à l’endroit de Marny s’est pleinement exprimé à la « faveur » d’un autre fait passé à la postérité.

Ecoutons de nouveau l’avocat : « Ce qui a donné une dimension sociale à l’affaire, ce sont, selon moi, les conditions de l’arrestation. Le peuple martiniquais a des réactions très particulières devant l’injustice collective manifestée. Le bonhomme (Marny, ndr) est accoudé à un pylône. Il a certes une main dans sa poche, mais il ne bouge pas. Un membre expérimenté des forces de l’ordre sait qu’on peut arrêter un homme comme ça sans difficulté. Il y en a un qui y va avec un revolver, et trois autres qui le couvrent derrière. Mais on n’y va pas à trois et puis blo ! Cela a choqué la population. Marny était plus un catalyseur d’évènements, qu’un ‘carburant’ d’évènements. Le carburant a été une injustice inadmissible. Et puis ce furent trois jours d’émeute… »

« Un jour, j’ai reçu un courrier de Marny. J’ai répondu.»

Léon-Laurent Valère se souvient de son premier échange épistolaire avec le détenu. « C’était au début des années quatre-vingt. Il m’a envoyé un autre courrier ; j’ai encore répondu. Ca a duré comme ça à peu près une dizaine d’années. Un jour il m’a envoyé un cadeau. Il avait confectionné un petit tableau avec des clous reliés par des fils ; c’était un coq de combat. Après cela il m’a dit ‘tu n’entendras plus parler de moi à partir de maintenant.’ Il s’est arrêté de m’écrire pendant à peu près cinq ans : aucune nouvelle, rien. Et puis brusquement, il a recommencé à m’écrire. J’ai fait comme si de rien n’était ; je lui ai répondu. Et ça a duré longtemps, près d’une trentaine d’années. »

[L’interview complète, particulièrement intéressante, se retrouve dans l’hebdo de cette semaine]

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