Le narratif historique qui veut que la prospérité occidentale soit due à la soumission d’autres peuples ne résiste pas à l’épreuve des faits.
*Par Ferghane Azihari,
Orpheline de la lutte des classes depuis la chute du mur de Berlin, la gauche s’engouffre dans la lutte des races. Encore que cette évolution fut amorcée avant l’effondrement des « socialismes réels ». Marx prédisait l’appauvrissement des travailleurs soumis au capitalisme. L’invalidation de sa prophétie obligea Lénine à la réactualiser. L’embourgeoisement du prolétariat occidental fut alors attribué à l’impérialisme.
Ce récit persiste chez ceux qui sont attachés à l’idée que le succès de l’Occident et de « l’homme blanc » est usurpé. Dans son ouvrage Capital et idéologie (Seuil, 2019), Thomas Piketty perpétue l’idée reçue qui attribue la richesse des Européens à leurs conquêtes. Même les plus éminents critiques du marxisme-léninisme se sont laissé tenter par cette culpabilisation. En 1983, Raymond Aron estimait ainsi que le lien entre la colonisation et la prospérité anglaise était un « procès ouvert ». Un an plus tard, Jacques Marseille publiait un ouvrage remettant en question la profitabilité de la colonisation pour la France. Sa thèse fut largement ignorée. Ce n’était cependant pas la première fois qu’elle était soutenue. La rentabilité de l’exploitation n’a jamais été consensuelle chez les économistes, ce que l’inquisition chargée de clouer l’Occident au pilori se garde bien de rappeler.
Les contre-exemples de la Suisse et du Luxembourg
La répartition actuelle des richesses en Europe montre la vanité de l’impérialisme. Il n’existe aucune corrélation entre la prospérité des nations européennes et leur éventuelle histoire coloniale. Les Suisses, les Luxembourgeois et les Islandais sont beaucoup plus riches que les grands conquérants que furent les Britanniques, les Espagnols ou les Français. Contrairement à ce que suggère Piketty, nul besoin de faire preuve d’imagination pour dire que l’Occident aurait atteint le même niveau de richesse sans l’exploitation du tiers-monde. L’improductivité de l’exploitation suggère même que nous serions mieux lotis sans cet épisode. L’Occident s’est donc construit en dépit de l’impérialisme, non grâce lui. « Le crime ne paie pas toujours », ainsi que le note l’économiste libertarienne Deirdre McCloskey.
Curieusement, les nouveaux iconoclastes méprisent cette littérature. Ils refusent de se l’approprier pour liquider la nostalgie impériale qui subsiste chez les chauvins. Preuve que rendre justice au passé n’est pas leur principale préoccupation. Il ne s’agit que d’exalter la haine envieuse de « l’homme blanc ». Admettre que les exploiteurs du passé jouaient contre leurs intérêts affaiblirait les frustrations contre leurs descendants, lesquels n’ont d’ailleurs rien à voir avec les crimes de leurs aïeux. À l’inverse, soutenir que seule l’exploitation explique le succès de l’Occident fait des luttes communautaires revanchardes le seul horizon des populations en quête de mobilité sociale.
Les révolutionnaires en herbe veulent accéder au pouvoir en conflictualisant les relations interethniques. Ils veulent régner sur les divisions de ceux qu’on invite à se regarder en chiens de faïence. Cette réécriture, enfin, est pratique pour dissimuler la prédation des potentats africains qui prospèrent sur cette repentance étriquée. Si l’histoire a quelques responsabilités, elle n’explique pas tout. En 1960, les Sud-Coréens étaient plus pauvres que les résidents d’Afrique subsaharienne. Alors que l’Asie a connu un développement fulgurant, le continent noir traîne encore les pieds. Étonnant quand on sait qu’il abrite le plus grand nombre de Noirs réduits à l’état de servitude par des gouvernements corrompus ! Voilà un paradoxe que les militants de Black Lives Matter devraient éclaircir. Mais encore faut-il que « ces vies comptent ». Les spoliations qu’elles subissent sont malheureusement trop indigènes pour qu’on leur prête une quelconque attention.