Après Le sel des origines, Laurent Cypria poursuit son chemin poétique à travers les paysages méditerranéens. Dans ce second texte tiré de son recueil Rivages croisés : de la Côte d’Azur à la Riviera, il nous livre une déambulation intérieure dans les rues et la lumière de Nice, ville de contrastes et de résonances.
Ici, le bleu n’est pas simple couleur mais mémoire, chair et vibration. Nice devient un espace poreux, où chaque détail – pavé, vent, mer ou regard – fait surgir des échos lointains, entre Anse-Mitan et Promenade des Anglais, entre exil et appartenance.
Ce texte est un chant discret, une écoute offerte au monde, une méditation sur ce qui nous relie : la lumière, l’eau, la beauté fugace des lieux habités.
Nice, le bleu fondamental est une halte sensible, un pas de plus dans ce voyage entre deux mers, deux silences, deux humanités.
Nice, le bleu fondamental
Nice s’ouvre à moi comme une lumière ancienne, tamisée par le sel et la mémoire. C’est une ville-bleu, pas seulement le bleu criard des chaises tordo, mais un bleu charnel, qui respire à travers les pierres chaudes, les volets mi-clos, les tramways langoureux comme des chenilles rasta. Je suis arrivé là en franchissant une frontière invisible : d’un battement d’ailes intérieures, en quête de résonance.
Le pavé niçois a le goût d’un lotcho déposé sous la langue. Il est rugueux, il accroche la semelle et rappelle les tablettes-coco que mon père laissait refroidir sur un carreau bien huilé. Ici, les jeunes filles ne vous adressent jamais un regard, elles passent indifférentes comme un en mal de souris. Tout est différent, et pourtant quelque chose frémit de connu, de presque maternel. Est-ce le vent chargé d’embruns ou cette langue de ruelles où l’on entend encore, parfois, l’accent chantant de Gênes ou de Tunis ? Je ne sais.
La Promenade des Anglais me fait l’effet d’une parethèse d’Azur. Une chaise trop longue étalée en bord de mer, où les lassitudes humaines s’écrivent en sandales, en roues de poussettes, en cannes argentées. J’avance, et sous chaque pas une émotion, une bribe d’errance, une parole tue. Je réalise alors que la promenade de l’Anse-Mitan si chère à feu ma mère n’était qu’un haïku devant un poème homérique.
Les Niçois, eux, semblent traverser la lumière sans y prêter attention. Ils en sont tissés. Je les regarde comme on observe des poissons rose fushia sous une surface claire : ils ne se bousculent que deux fois dans l’année, le reste du temps chacun à assez de place pour sa propre excentricité. Dans un coin sombre de la vielle-ville, un vendeur de socca au coin du marché me tend une part fumante avec un sourire à moitié absent. Peut-être sait-il que je ne suis pas d’ici. Peut-être s’en moque-t-il.
En cet instant, je ne cherche pas à appartenir. Je suis venu pour écouter. Et Nice m’offre un chant à plusieurs voix. Celui des goélands, des vélos, des souvenirs d’exil, de la grande époque des anglais et des russes. Il y a là une nostalgie de l’empire romain dans l’air, une densité que je n’avais pas sentie ailleurs, même à Paris. Le crépuscule se tiente de vin rosé cacheté par la lune.
À l’ombre d’un olivier couvert de pointillés, je me suis assis. Devant moi, la mer. Toujours elle. Présente, impassible, tendue comme une corde entre mes origines et mon présent. Elle ne juge pas. Elle relie.
Nice, pour moi, n’est pas une ville. C’est une palette de peintre. Une vision impressionise qui cret une brèche dans le réel. Un endroit où l’égo se défait doucement, pour mieux écouter, mieux recevoir.
Et je sais déjà que je veux y plonger tous mes regards. Non pas pour chercher de l’or. Mais pour entendre encore. Ce bleu-là. Ce bleu fondamental.
Laurent CYPRIA – Président du Martinique Ambassador Club