Site de l’IREF

lpar Jean-Philippe Delsol

Un accord européen a été noué fin juin pour arrêter l’enveloppe de la Politique agricole commune à 386 milliards d’euros sur sept ans, dont 270 milliards d’aides directes aux agriculteurs. Pour la France, la quote-part s’élève à 62 milliards d’euros. A raison de 25 % de l’ensemble des aides directes, leur versement est conditionné au respect de programmes environnementaux exigeants baptisés « écorégime ». En outre a été introduite une nouvelle notion dans la PAC, la « conditionnalité sociale », pour lier l’attribution des subsides européens au respect du droit du travail. Les agriculteurs européens se réjouissent de tant de crédits qui sont pourtant autant d’asservissement puisqu’ils ne recevront leurs aides que s’ils passent sous les fourches caudines de l’UE pour mettre en œuvre des pratiques agricoles qu’ils n’auront pas choisies.

Pourtant, l’argent qu’ils recevront sous conditions est le leur. L’argent de l’Europe est celui qu’elle obtient des Etats qui eux-mêmes le soutirent à leurs contribuables. Les agriculteurs reçoivent au titre de la PAC le fruit de la TVA sur leurs produits, de l’impôt sur leur revenu ou sur leur patrimoine… Ne vaudrait-il pas mieux qu’ils gardent cet argent et le dépensent eux-mêmes plutôt que de le donner pour ensuite le recevoir amputé de frais multiples et sous conditions d’usage qui les dépossèdent autrement ?

Ce que subissent les agriculteurs est arrivé à bien d’autres. Les médecins ont perdu après-guerre la liberté de fixer leurs honoraires quand ils se sont félicités que la Sécurité sociale rembourse les honoraires puis joue le rôle de tiers payant. Soumis aux décisions de la Sécu, ils ont été inexorablement paupérisés et ont perdu jusqu’à leur indépendance de prescription. Les écoles privées, qui vivaient pauvres mais libres, ont vendu leur liberté contre la prise en charge de leurs enseignants qu’elles ont de plus en plus de mal à gouverner, au risque de perdre leur caractère propre. Il en est de même pour les avocats qui vivent de commises, pour les laboratoires dont les prix des médicaments sont fixés par voie administrative, pour les entreprises auxquelles les subsides du Covid ont été attribués sous réserve de respect de normes écologiques ou sociales…A tous, c’est leur argent qui leur est pris pour leur être rendu sous condition, pour les asservir.

Ce sont pourtant souvent les bénéficiaires de ces prébendes qui les réclament aux Etats, croyant toujours que ce sont les autres qui paieront. Les entrepreneurs et professionnels indépendants sont les premiers à demander toujours plus d’aide. Avant la crise du Coronavirus, les entreprises françaises recevaient déjà environ 140 milliards d’euros par an d’aides et subventions directes ou indirectes et supportaient environ 124 milliards d’euros de fiscalité directe (hors TVA et charges sociales notamment) par an. Ne vaudrait-il pas mieux que chacun paye moins, reçoive moins et reste libre de l’affectation de ses disponibilités ? Ce serait bien sûr sans compter sur l’empressement de l’Etat à s’ingérer dans la vie de tous pour distribuer aux uns ce qu’il prend à d’autres, ou aux mêmes, selon les cas. Cette redistribution est le meilleur moyen pour l’Etat d’exister et d’asservir ceux qu’il nourrit. Mais le pire est que la machine s’emballe en un cercle vicieux qui fait que plus les contribuables sont ponctionnés plus ils ont besoin d’aides et implorent eux-mêmes le Léviathan de leur donner sans cesse plus de subsides.

Ce phénomène de servitude volontaire a déjà été décrit et décrié par Etienne de la Boétie (1530-1563). Il critiquait le pouvoir qui accablait ses peuples d’impôts et de charges tout en observant que ceux qui se laissaient déposséder ainsi en étaient eux-mêmes coupables : « Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons… ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies ».

Tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, vous sont imputables, admonestait-il, car ce maître qui vous pille ne le fait qu’avec les moyens que vous lui donnez. « Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir. Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre ».

Et si les contribuables suivaient le conseil de La Boétie, s’ils entraient en politique, s’ils votaient pour des candidats libéraux, peut-être qu’ils se réapproprieraient leurs biens et leurs revenus pour réapprendre à vivre libres.

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version