Le masque avec votre visage imprimé est à portée de clic.

Photo: Une idée à la fois totalement stupide et complètement géniale. | Diann Duthie, Christopher Miller, Bunny Giuliani, Daniel Cozzolino, Giuliani, Giuliani, Giuliani, Giuliani, Duthie, NBC Studios / Slate.com

Je me suis récemment acheté un nouveau visage. Ça m’a coûté 12,95 dollars [un peu moins de 11 euros], plus 3,99 dollars [3,40 euros] de frais de port. Bon, OK, techniquement parlant, ce n’était pas vraiment un nouveau visage, mais c’était presque aussi flippant: c’était un masque avec une photo de mon visage imprimée dessus.

L’obsession MOYOF

Tout est de la faute du réalisateur Christopher Miller. Il y a quelques mois, il a tweeté une photo de sa tentative de fabriquer un masque couvrant le bas de son visage avec une photo… du bas de son visage, et je n’ai pu trouver la paix depuis.

«Je me suis fait un masque avec une photo de mon visage imprimée sur le coton et je dois dire que le résultat est… aussi dérangeant que ce à quoi je m’attendais.»

C’est devenu une véritable obsession. C’était à la fois totalement stupide et complètement génial. J’ai essayé de penser à autre chose, mais… je n’avais aucune envie de penser à autre chose. C’était hilarant, c’était moche. Son côté hilarant répondait à son côté moche, pour autant que l’on puisse parler de répondre au sujet d’un truc dont la bouche ne bouge pas. Depuis la blague de Miller, on a vu apparaître d’autres variantes de ce que j’ai décidé d’appeler MOYOF (Mask Of Your Own Face, «masque de votre propre visage»): un masque de la bouche de Kerry Washington, le masque de Liz Lemon dans l’épisode spécial de 30 Rock, ou encore un autre type sur Twitter, qui s’y est aussi essayé. Cela n’a, bien sûr, fait qu’accroître ma curiosité. Je suis devenue Kevin Garnett dans Uncut Gems et le masque selfie était mon opale. Il fallait que j’en sache plus. Il fallait que je comprenne. Il fallait (parce qu’on ne peut lutter contre son propre destin) que je me fasse mon propre MOYOF. Voici donc le récit de cette quête.

J’ai contacté un représentant de Miller, qui a refusé de me dire où il avait fait faire son masque (ou alors, il lui a dit oui, mais comme il portait son masque, l’assistant n’a pas vu ses lèvres bouger et ça lui a échappé… Moi, je pense que c’est possible). Heureusement, une simple recherche en ligne m’a permis de découvrir plein de sites d’impressions à la demande sans parler de tous ceux qui se sont lancés dans ce type de commerce sur le site Etsy. Je me suis empressée d’aller parler avec ces entrepreneurs au sujet de leur arrivée sur ce marché naissant.

Bunny Giuliani, une habitante de Pittsburgh, m’a dit qu’elle était au départ contre l’obligation de porter des masques, mais pas pour des raisons politiques. C’était plutôt qu’elle trouvait ça déprimant. «Dès qu’on entre dans un magasin, explique-t-elle, on voit que les gens ne se regardent plus. Tout le monde porte un masque, ça a un côté triste. À un moment, je me suis dit “Bon sang, je ne supporte même plus d’aller à l’épicerie.”»

C’est ce qui l’a poussée à tenter d’insuffler un peu de joie dans ce masque obligatoire. «J’ai commencé à prendre des photos d’amis et de certains membres de ma famille pour les imprimer sur des masques et je les ai portés au magasin. Je pouvais ainsi porter la barbe de mon père, des trucs comme ça. Ça a eu un succès énorme.» Avant le coronavirus, la boutique Etsy de Giuliani était spécialisée dans les cadeaux imprimés personnalisés, comme des tapis de souris ou des sacs à vin à logos. Lorsque le virus est arrivé, les ventes ont ralenti, ce qui fait que se tourner vers les masques a été une bonne solution pour compenser les pertes. Elle en a vendu des milliers.

En plus des MOYOF, Bunny Giuliani vend beaucoup de masques représentant des bouches et nez anonymes. Enfin, «anonymes»… pas pour tout le monde. Il s’agit en fait des bouches et nez de ses ami·es et de sa famille. «J’ai un ami qui fume et porte la barbe, raconte-t-elle. Je lui ai dit “Viens, on va faire des photos de toi, ça va rendre super bien en masque.Les gens adorent ça.» Un autre de ses masques, qui représente le visage du petit ami de sa fille, est devenu viral sur TikTok. L’attention et le succès ont fait que sa famille et ses ami·es s’intéressent aujourd’hui plus que jamais à son entreprise. «On s’implique tous dans la fabrication des masques et on essaie de voir quel est le visage qui se vend le mieux.» Bunny Giuliani pense que sa meilleure vente est le masque avec le visage de sa grande fille de 26 ans. Elle pense que c’est dû à ses belles dents blanches. Cela ne dérange pas Bunny Giuliani le moins du monde. «Au moins, ça rembourse l’appareil qu’on lui a fait porter.»

«Ils se rendaient à un mariage et ne voulaient pas se faire remarquer. Ça m’étonnerait que ça ait fonctionné.»

Bunny Giuliani, une habitante de Pittsburgh

La boutique Etsy de Daniel Cozzolino, habitant de Long Island, s’est aussi lancée à fond dans les MOYOF. Avant cela, il vendait principalement des T-shirts, mais lorsque son père lui a lancé l’idée de faire un masque représentant le bas de son visage, il s’est dit que c’était tout à fait dans ses cordes. «Le premier masque n’était pas vraiment une réussite. Il était trop grand, m’explique-t-il. Le nez et la bouche s’étendaient d’une oreille à l’autre.» Il a donc rapetissé le visage de son père jusqu’à ce que la taille soit bonne. «C’est parfait. Comme il porte aussi des lunettes, elles couvrent le haut de son masque et on dirait qu’il ne porte rien du tout. C’est un peu flippant, en fait!» Depuis Cozzolino a ajouté les masques personnalisés aux autres offres disponibles sur sa boutique Etsy.

Des techniques de fabrication variées

Les techniques de fabrication diffèrent en fonction des personnes qui les vendent. Parijat Devarshy vend non seulement des masques, mais aussi des tours de cou, ces sortes de bandeaux que l’on se met autour du cou et que l’on peut ensuite remonter sur la bouche et le nez. Si vous commandez un masque ou un tour de cou avec photo sur sa boutique Etsy, il vous sera demandé d’envoyer une photo de face du modèle, mais aussi des photos de profil et de l’arrière de la tête. «Ensuite, nous mettons toutes les photos dans Photoshop et nous les combinons pour créer une image cylindrique de la tête», explique Devarshy. D’après lui, cela permet d’avoir un produit qui rend bien depuis n’importe quel angle et pas seulement de face.

Mais là où Devarshy cherche le réalisme, d’autres optent pour l’humour. «Je garde la couture blanche en haut, dit Giuliani à propos de ses masques. Il y en a qui ne le font pas, mais moi oui, parce que… ce sont des masques. Je n’essaie pas de cacher que c’est un masque. C’est ça qui est drôle.»

Jouer la carte de l’humour est sans doute une bonne idée, car c’est souvent ce que recherchent les personnes qui achètent. Les MOYOF se sont, par exemple, très bien vendus pour la fête des pères. De même, Giuliani m’a raconté que des personnes travaillant dans un cabinet dentaire avaient «toutes acheté des masques représentant le bas du visage de leur patron et qu’elles le mettaient lors des nettoyages de dents, juste pour s’amuser». C’est aussi généralement par humour que les gens choisissent de porter un masque avec le bas du visage d’une célébrité. Cozzolino, par exemple, adore son masque de Post Malone, sur lequel on peut voir ses nombreux tatouages faciaux. Cozzolino dit aussi qu’il a choisi exprès une photo où le rappeur avait la bouche ouverte: «Si j’ai l’occasion d’avoir des bijoux dentaires, je la saisis», explique-t-il.

Bunny Giuliani avoue qu’elle est parfois étonnée par les raisons que sa clientèle donne pour justifier ses achats. Elle raconte ainsi qu’une de ses clientes «les voulait absolument pour elle et son mari pour le week-end suivant, parce qu’ils se rendaient à un mariage et qu’ils ne voulaient pas se faire remarquer. Donc moi, j’étais là… “OK…” Je veux dire… ça m’étonnerait qu’ils n’aient pas été remarqués.»

Un masque qui attire autant qu’il répulse

Personnellement, je comprenais ce couple aux excuses incompréhensibles, car je ressentais moi aussi une attraction irrépressible pour ces masques. C’était tellement n’importe quoi, c’était terrible… il m’en fallait absolument un. Lorsque l’heure est finalement venue d’acquérir mon propre MOYOF, j’ai trouvé que la commande était facile sur tous les sites où je suis allée: j’ai pris quelques selfies, j’ai choisi ceux qui présentaient le meilleur éclairage et la meilleure résolution et je les ai glissés dans une série de modèles informatiques. Deux des sites que j’ai essayés ne m’ont jamais rien envoyé, sans doute en raison des retards de livraisons dus à la pandémie. Les masques que j’ai reçus de l’un des sites d’impressions à la demande avaient non seulement une texture matelassée qui n’était pas en option, mais faisaient surtout apparaître une bouche et un nez tellement surdimensionnés que c’en était comique (j’en ai encore quelques-uns si jamais cela intéresse quelqu’… euh, non, laissez tomber).

Le tour de cou que j’avais commandé auprès d’un autre site était, quant à lui, terriblement précis. Il était d’ailleurs tellement précis que j’ai immédiatement regretté d’y avoir mis un selfie plutôt mauvais. Je ne m’étais pas maquillée et j’avais tenté d’afficher une expression neutre, ce qui me donnait l’air d’être triste. Ou en colère. On voit aussi une ombre à côté de mon nez, ainsi que, si l’on regarde bien, l’ombre de ma main tenant le téléphone pour prendre la photo.

Pourtant, cette seconde peau m’a plu. C’était une peau horrible, mais je voulais tout de même la porter. Pourquoi? J’ai demandé à des scientifiques spécialistes de la reconnaissance faciale ce qui rendait ces masques si fascinants.

Selon Ben Balas, professeur de psychologie à l’université du Nord Dakota, qui a étudié la perception des visages: «La simple phrase “je vais porter mon propre visage en masque” a quelque chose de cauchemardesque, si je peux me permettre d’ôter ma casquette de scientifique pour une minute.» Je ne vous le fais pas dire.

Peter Hancock, professeur de psychologie à l’université de Stirling, en Écosse, étudie aussi la perception des visages. Selon lui, nous trouvons ces masques déconcertants parce que les êtres humains sont «très sensibles aux choses inhabituelles qu’ils peuvent percevoir sur un visage». Selon lui, une personne portant un MOYOF «peut ressembler un peu à quelqu’un qui aurait abusé du Botox®

J’ai immédiatement senti mon vrai visage rougir sous mon faux.

Pawan Sinha, professeur en neurosciences computationnelles et visuelles au Massachusetts Institute of Technology, m’a indiqué plusieurs principes qui, selon lui, pourraient permettre d’expliquer pourquoi le MOYOF nous attire autant qu’il nous repousse. L’un d’eux est l’effet du visage composite: «Lorsque l’on regarde une personne qui porte un masque [de ce type],explique-t-il, même si nous avons conscience que le haut du visage est vrai, mais que le bas n’est qu’une image, notre cerveau est en quelque sorte naturellement obligé de voir un visage entier. C’est sa façon de procéder.»L’effet du visage immobile est également à l’œuvre: «C’est quelque chose de profondément ancré dans notre système visuel et cognitif: nous attendons des autres visages qu’ils soient dynamiques.» Autrement dit, c’est le fait que l’expression du masque ne change pas qui le rend inquiétant.

Le MOYOF élu. | Heather Schwedel

L’humour avant tout

Porter mon MOYOF lors d’une conversation Skype était une chose… mais cela faisait des semaines que je rêvais de le porter dans le vrai monde. L’heure était venue. J’ai enfilé mon tour de cou, j’ai recouvert mon visage avec mon visage, j’ai pris une grande inspiration avec mes deux bouches et je suis sortie dans mon quartier. J’ai immédiatement senti mon vrai visage rougir sous mon faux. Je crois que, comme beaucoup de monde, je n’ai pas une relation particulièrement simple avec mon visage. Pour le dire autrement, il m’arrive parfois de le détester. Étant d’un naturel introverti, j’aimais d’ailleurs plutôt bien d’avoir à me cacher derrière un masque. Ne venais-je pas de me mettre moi-même des bâtons dans les roues en m’affichant ainsi? En règle générale, on ne peut pas choisir le visage que l’on affiche, mais là, avec mon MOYOF, n’étais-je pas quelque part en train de déclarer «Je suis Heather Schwedel et j’approuve ce visage», comme dans un spot électoral? Je ne veux pas que les gens pensent ça! Ou même qu’ils ne le pensent pas!

Voici le genre de pensées qui me traversait l’esprit alors que je marchais dans la rue avec mon tour de cou Heather Schwedel sur le visage. Je m’attendais à ce que tout le monde me dévisage ou sursaute. Mais ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Un type m’a bien crié que je devrais porter des chaussures, mais vu que je portais déjà des chaussures, j’imagine que ce n’était pas vraiment quelqu’un de bon conseil. Après l’un de mes premiers essais, constatant que le fait de le porter à l’épicerie ne suscitait aucune réaction, je me suis regardée dans un miroir et j’ai constaté que je le portais à l’envers. À vrai dire, cela ne faisait strictement aucune différence. Quelques rares personnes m’ont tout de même adressé un «joli masque!» ou m’ont montrée du doigt en riant à la personne avec qui elles étaient, mais je ne pouvais même pas leur rendre leur sourire. Je leur répondais par un merci avec une expression triste –ou en colère– sur le visage.

Pour résumer, dans l’ensemble, tout le monde s’en fiche. Tout le monde se fiche toujours de tout! Cela m’a autant dévastée que libérée. Les pouvoirs du MOYOF sont trop puissants pour un usage quotidien. Il faut parfois savoir demander à notre visage de nous laisser un peu respirer

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