Le 08 mars dernier s’est déroulée, à l’hôtel Batelière, la troisième « Conférence régionale de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté », dont la thématique centrale était la précarité des femmes dans notre péyi. Au-delà de la symbolique, possiblement amère, de la déclinaison d’une telle thématique dans les salons d’un établissement 4 étoiles, les constats – répétés – qui y furent exprimés, demeurent particulièrement alarmants.

Cheffe de la division ‘’Action régionale’’ à l’Insee-Martinique, Isabelle Padra-Rebelo livra un certain nombre de données chiffrées quant à la précarité et pauvreté sous nos cieux. Au 1er janvier 2022, notre population était estimée à 350.373 habitant.es, indiqua-t-elle en préambule, soit 159.277 hommes et 181.096 femmes (54% de cette population). Et en 2018, le taux de familles monoparentales était de 42% (taux dans lequel on trouvait alors 38 % de femmes et 04 % d’hommes). Le cadre était ainsi posé. « En France et en Europe, le ‘’seuil de pauvreté’’ est fixé à 60% du niveau de vie médian », ajouta l’intervenante, étant entendu que ce ‘’niveau de vie médian’’ se définit comme le « rapport entre le revenu disponible du ménage, divisé par le nombre d’unités de consommation » (c’est-à-dire le premier adulte, les autres personnes du foyer âgées de 14 ans ou plus, et les enfants âgées de moins de 14 ans). « Donc quand on divise ce revenu disponible par le nombre d’unités de consommation du ménage, on a ce niveau de vie », poursuivit Isabelle Padra-Rebelo, « et donc, un individu est considéré comme pauvre quand il est en-dessous de ces 60 % du niveau de vie médian. »

« La pauvreté touche davantage les personnes seules et les familles monoparentales »

Un auditoire conséquent (MI)

« A la Martinique nous avons un taux de pauvreté près de deux fois plus élevé qu’en France », souligna alors l’intervenante, « 27% en Martinique et près de 15% en France, en 2019. » Un taux cependant moins élevé que dans les autres départements d’outremer, glissa Isabelle Padra-Rebelo, avant d’ajouter qu’au péyi la pauvreté touchait davantage les personnes seules et les familles monoparentales. Concernant les « facteurs aggravants de la précarité », ils sont notamment les suivants poursuivit la représentante de l’Insee : cette monoparentalité « affectant les familles de Martinique » ; un taux de chômage élevé et plus important chez les femmes ; un recours au temps partiel, également plus fréquent chez les femmes ; le vieillissement de notre population, avec une perte d’autonomie et beaucoup de frais de santé pour des personnes âgées devenues dépendantes, etc. Autre point constaté, conclut Isabelle Padra-Rebelo, les femmes martiniquaises ont perdu davantage d’opportunités d’emploi(s). « Les déclarations d’embauche féminine en Contrat à Durée Indéterminée ont reculé davantage (- 14%) que celles des hommes (- 05%) », souligna la responsable de l’Insee. Chimen sé fanm-lan toujou long’ opéyi.

                                                                                                                                 Mike Irasque


Sociologue émérite, Nadine Lefaucheur étudie depuis plusieurs années certaines problématiques affectant notre péyi. Nous l’avons brièvement interrogée.


« Plus de la moitié des enfants martiniquais vivent avec une mère seule » 

Le préfet Stanislas Cazelles et Nadine Lefaucheur (MI)

Antilla : La précarité présente-t-elle une caractéristique forte en Martinique ? Si oui, quelle est-elle ?

Nadine Lefaucheur : Très largement la question des familles monoparentales. Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, plus de la moitié des enfants martiniquais vivent avec une mère seule. En France hexagonale ça a aussi beaucoup augmenté mais ça ne représente que 25% ; pourcentage dans lequel l’enfant a très souvent déjà vécu avec son père, a été reconnu par lui, où le père, en principe, doit une pension alimentaire ou s’occupe également de l’enfant ; ce qui n’est pas le cas, malheureusement, dans la grande majorité des situations en Martinique. Alors dans certains cas il y a une aide du père, mais ce n’est pas souvent le cas. Donc oui, la monoparentalité me semble être le facteur le plus important à souligner.

« La vie elle-même est précaire… » 

Ce mot, « précarité », recouvre-t-il exclusivement des considérations financières ?

Non et c’est ce que j’ai essayé de développer un peu dans cette conférence. Il y a d’autres dimensions : une dimension affective, une dimension relationnelle ; il y a la précarité des relations conjugales, qui entraîne bien sûr d’autres dimensions. Il y a aussi la précarité des relations sociales, celle des liens affectifs, amicaux, qui est liée à la question de la pauvreté et aux questions monétaires, etc. Et comme je l’ai dit, la vie elle-même est précaire… . Que ce soit par la chlordécone et tout un tas d’autres problématiques et fléaux, cela entraîne une précarité de la vie.

Plus précisément, sur quelles questions travaille la sociologue que vous êtes ?

Je travaille à la fois sur les questions de relations de genre et sur les questions de famille. Ce qui nous a amené.e.s à travailler sur les questions de violences, de monoparentalité et de précarité. Et sur les questions de la façon dont on fait famille en Martinique. En effet on se marie peu en Martinique, et souvent on ne se marie pas avant d’avoir fait un enfant. Ce qui fait, d’ailleurs, que dans certains cas on ne se marie pas. Et qu’on se retrouve alors dans la situation d’une famille monoparentale.

Propos recueillis par Mike Irasque

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