La candidate du Rassemblement national mise sur deux de ses atouts, sa base populaire et son électorat féminin, en miroir des faiblesses du polémiste qui la rattrape.

Par Ivanne Trippenbach et Franck Johannès

Quand la tempête se lève, Marine Le Pen a coutume de dire que « d’un mal peut sortir un bien ». Après un recul spectaculaire dans l’opinion sous l’effet de la percée Zemmour, la candidate du Rassemblement national (RN) campe sur ses bases – son état-major n’imaginait pas un instant que le polémiste la devancerait durablement ni même qu’il serait réellement candidat, ce dont plus personne ne doute. Il a donc fallu « réorienter la campagne » : à l’affiche un peu abstraite Libertés, libertés chéries des premiers jours, succède aujourd’hui un tract Rendre aux Français leur pays, dans une tonalité très zemmourienne.

« La France aux Français était un slogan raciste, soutenait cet été Wallerand de Saint Just, membre du bureau exécutif du mouvement, en référence à l’antienne lepéniste. “Les Français d’abord”, cela veut dire qu’on s’intéresse aux autres ensuite. » Au diable la nuance, Marine Le Pen doit occuper le terrain qu’elle semblait négliger, déjà tournée vers le second tour, alors qu’Eric Zemmour mord avec férocité son électorat pour se qualifier au premier. Il faut désormais à la candidate du RN jouer du contraste avec ce concurrent devenu sérieux pour incarner l’extrême droite. Une difficulté, alors que tous deux esquissent un projet quasi identique sur l’immigration et « l’identité nationale ».

Dès octobre, Marine Le Pen a misé sur ses deux atouts : sa base populaire et son électorat féminin. Au salon de l’élevage de Cournon, près de Clermont-Ferrand, le 7, puis à la Foire de Poussay dans les Vosges, le 23, la candidate à l’Elysée s’est sentie « chez elle ». « Ces visites lui ont mis du baume au cœur », insiste Caroline Parmentier, son attachée presse. Elle y a multiplié les selfies au milieu d’une cohue enthousiaste, qui ne votera pas nécessairement pour elle, mais qui rapporte à la maison une photo de la candidate « vue à la télé ». Alors qu’Eric Zemmour décrit la députée du Pas-de-Calais comme « enfermée dans une sorte de ghetto ouvrier et chômeur », elle renvoie l’essayiste à son « mépris » de classe qui lui rappelle « celui d’Emmanuel Macron ». Dans cette veine, elle accentue son discours sur le pouvoir d’achat, première préoccupation des Français (41 %), loin devant l’immigration (29 %), selon la deuxième vague, en octobre, de l’enquête Ipsos Sopra Steria-Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès pour Le Monde.

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Contraste dans le style

Marine Le Pen a ainsi multiplié les promesses à destination des employés et des ouvriers, afin assure-t-elle, de rendre 200 euros par mois aux ménages : baisse de la TVA à 5,5 % sur le gaz, l’électricité et le fioul, qui sont « des biens de première nécessité » ; plafonnement des contrats d’abonnement au gaz et à l’électricité ; baisse du prix des péages ; suppression de la redevance audiovisuelle ; octroi d’une pleine part fiscale pour le deuxième enfant, et d’une demi-part fiscale aux veufs et veuves – soit, annonce-t-elle, jusqu’à 550 euros par an. La candidate souhaite que les 18-25 ans puissent prendre le train gratuitement aux heures creuses et se fait même fort « d’inciter les entreprises à augmenter les salaires jusqu’à deux fois le smic »…. Eric Zemmour s’accroche, lui, à son « récit » d’une nation en péril : « J’entends depuis quelques jours le nouvel angle d’attaque du RN, selon lequel la question migratoire passerait derrière le pouvoir d’achat, a-t-il réagi dans la revue Causeur. Ce n’est pas mon avis » – il entend néanmoins dégager un 13e mois pour les salariés au smic.

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L’autre point fort de Marine Le Pen sont les femmes, que la misogynie affirmée d’Eric Zemmour peut rebuter. De même qu’elle a transformé la sociologie électorale de l’ex-FN, elle a réussi à résorber son déficit auprès des femmes, alors que celles-ci votaient historiquement moins à l’extrême droite. Eric Zemmour pâtit de ses provocations ouvertement anti-féministes en enregistrant, dans l’enquête d’Ipsos-Sopra Steria, un écart de six points entre ses électorats masculin et féminin. « Il a un problème avec les femmes, manifestement », a insisté Marine Le Pen, lundi 8 novembre sur RMC, en dénonçant « la vision très dégradée » et « l’agressivité » de l’auteur du Premier sexe (Denoël, 2006). « Les femmes ne méritent pas ça, elles méritent d’être respectées, soutenues, défendues. Elles ont toute leur part à prendre dans la vie » du pays, a-t-elle ajouté. Elle reste cependant, comme Zemmour, farouchement opposée aux lois sur la parité.

Le contraste se décline, enfin, dans le style. Marine Le Pen cherche à se présenter comme une femme « normale », gage d’authenticité et de proximité. D’ordinaire méfiante, elle a ouvert sa porte à l’émission populaire « Une ambition intime » de M6, dans laquelle on la découvre tantôt jardinant, les doigts dans la terre, tantôt câline avec ses chats. « On ressemble à toutes les familles », a plaidé la fille de Jean-Marie Le Pen dans son canapé. Bien loin d’Eric Zemmour, qui cite Richelieu pour brosser sa conception de l’homme d’Etat, imperméable aux émotions communes. Il précise d’ailleurs, dans Causeur, qu’avoir « un cœur comme les autres » est « très bien pour la vie privée (…) mais nous souffrons de l’étalage de sensibilité là où elle n’a rien à voir, c’est-à-dire dans le domaine public ».

Marine Le Pen juge de son côté qu’un discours « brutal, excessif, outrancier » comme celui du polémiste « peut plaire à certains, pendant un certain temps ». Et puis, a assuré la candidate le 24 octobre sur LCI, « les Français vont se dire, bon, on a entendu des propos qui nous font plaisir, mais derrière… » Les deux candidats poursuivent en attendant leur course à l’échalote. Marine Le Pen promet d’aligner des mesures concrètes sur l’allègement des charges des entreprises et de publier, secteur par secteur, un programme détaillé. Eric Zemmour se contente de remplir des salles enthousiastes. Et espère que l’annonce, prochaine, de sa candidature, le propulsera plus loin encore sur le territoire de l’ex-présidente du Rassemblement national

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