Rapport de Monsieur Jean-Louis Debré à Monsieur le premier ministre

Avant-propos introductifs
Saisi de propositions visant à reporter, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, l’échéance prévue pour le renouvellement général des conseils régionaux et départementaux, le Premier ministre m’a confié la mission de lui proposer celle qui serait susceptible de recueillir le plus large soutien politique et, pour ce faire, d’engager une large concertation et de vérifier la manière dont cette décision pourrait s’inscrire dans le cadre de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et des juridictions administratives.
La démocratie repose sur le respect des échéances électorales déterminées par la loi et leur tenue dans les conditions les plus parfaites de liberté, d’équité et de sincérité. Un déplacement de telles échéances ne peut être décidé que d’une « main tremblante », en s’assurant que les motifs qui le justifie sont impérieux, non partisans, et font l’objet d’un diagnostic partagé.
Des circonstances exceptionnellement graves, telles que la France traverse, conduisent légitimement à s’interroger, toutefois, sur la pertinence de maintenir des scrutins à l’échéance de mars 2021, alors que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 a été votée par le Parlement.
En toute hypothèse, il m’apparaît urgent que le Gouvernement fasse connaître dans les plus brefs délais la date à laquelle il envisage de convoquer les électeurs, pour mettre fin à l’incertitude, et replacer les enjeux de politique locale, seuls susceptibles d’intéresser nos concitoyens, au cœur des débats.
Le fil directeur qui a conduit mes travaux, en collaboration avec Liza Bellulo, maître des requêtes au Conseil d’Etat, a été la recherche du plus large accord possible des responsables des formations politiques, conformément au mandat confié par le Premier ministre.
Nous avons, en moins de trois semaines, procédé à plus de soixante auditions: présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, présidents des commissions des lois et des délégations aux collectivités territoriales, présidents des groupes parlementaires, chefs de partis politiques représentés au Parlement, présidents d’associations d’élus, présidents des conseils exécutifs des collectivités pour lesquelles le code électoral contient des dispositions particulières.
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Parallèlement, nous avons interrogé les représentants de la communauté scientifique pour recueillir les informations disponibles sur les perspectives d’évolution de la pandémie de Covid- 19 et d’acquisition d’une immunité, naturelle ou par vaccin.
Ainsi, nous avons tenté de concilier deux logiques. D’une part, la logique démocratique, qui suppose la tenue d’élections selon une périodicité raisonnable, par des termes clairs et fixés à l’avance. D’autre part, les impératifs sanitaires, qui nous imposent de prendre toutes les précautions nécessaires pour la protection des Françaises et des Français.
Aucune des options envisagées n’est exempte de tout inconvénient. Mais il ressort de ces considérations et des consultations effectuées que si la tenue des élections, en elle-même, serait possible en mars 2021, en observant un protocole sanitaire strict, la sincérité des scrutins suppose que la campagne qui les précède se tienne, pour quelques mois, en dehors d’une loi d’état d’urgence sanitaire votée par le Parlement. Ainsi, une décision à très bref délai en faveur d’un report des scrutins au mois de juin 2021 constituerait une option raisonnable, au regard des risques sanitaires comme des enjeux politiques et institutionnels. Cette option ne m’a semblé soulever aucune difficulté majeure au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Enfin, des aménagements visant à assurer la préparation et la tenue des élections dans de bonnes conditions, sont proposés, afin de garantir la sincérité des scrutins et l’expression du suffrage par le plus grand nombre.
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Synthèse des recommandations
1. Annoncer publiquement, dès le début du mois de décembre 2020, la date à laquelle le Gouvernement souhaite convoquer les électrices et les électeurs pour le renouvellement général des conseillers régionaux, départementaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.
2. Fixer cette date à la fin du mois de juin 2021, dans l’objectif de ne déplacer que dans la stricte mesure nécessaire l’échéance antérieurement prévue. Une étude de la situation épidémiologique spécifique de la Guyane serait toutefois nécessaire.
3. Déposer à bref délai un projet de loi au Parlement afin de fixer la nouvelle date des scrutins. Prévoir que le Conseil scientifique Covid-19 remette directement au Parlement un point de situation sur l’évaluation de la situation sanitaire avant la tenue des scrutins. Cette information n’aurait pas le caractère d’une « clause de revoyure automatique ».
4. Aménager les conséquences du report des scrutins sur la conduite des campagnes électorales : majorer le plafond des dépenses de propagande, harmoniser et réduire le délai de paiement du remboursement forfaitaire des dépenses électorales, après leur validation par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Par ailleurs, envisager, après une étude de son coût financier et environnemental, un doublement du format des « professions de foi ».
5. Assurer l’organisation des scrutins dans de bonnes conditions sanitaires et favoriser l’expression du suffrage : tenir compte des demandes d’inscription sur les listes électorales jusqu’au sixième vendredi précédant les scrutins, faciliter le recours aux procurations et informer les électrices et électeurs suffisamment en amont de ces aménagements spécifiques.
6. Faciliter l’accès aux procurations : d’une part, permettre à chaque mandataire de recevoir deux délégations, de la part de tout électeur ; d’autre part, ouvrir le droit à certains électeurs de demander que des officiers de police judiciaire ou leurs délégués se déplacent eux-mêmes pour établir ou retirer leur procuration. Ce droit serait ouvert aux personnes attestant sur l’honneur soit qu’elles sont vulnérables à la maladie de Covid-19, soit qu’il leur est impossible de participer au scrutin en raison de leur santé, d’un handicap, ou de l’assistance qu’elles apportent à une personne malade ou invalide.
7. Envisager le développement du vote par correspondance ou par internet dans des conditions assurant sa fiabilité technique et matérielle, afin d’assurer la sincérité du scrutin. Veiller au respect du caractère personnel et secret de ce vote, notamment vis-à-vis de communautés.
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  1. Reconduire les simplifications d’organisation des scrutins consenties aux communes lors des dernières élections municipales. Envisager, dans la perspective des premiers mois de l’année 2021, des aménagements supplémentaires d’ordre réglementaire.
  2. Prévoir une campagne d’information sur les compétences des collectivités régionales et départementales et leur rôle dans la vie quotidienne des Françaises et des Français.
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Sommaire
I. QUELLE DATE DE SCRUTIN EST-ELLE SUSCEPTIBLE DE RECUEILLIR LE PLUS
LARGE SOUTIEN POLITIQUE ? ……………………………………………………………………………………….. 8 1.1. Le maintien des scrutins au mois de mars 2021 suscite d’importantes objections, en
particulier de la part du Conseil scientifique Covid-19…………………………………………………………….. 9
1.2. Un report des scrutins au mois de juin 2021 serait l’option susceptible de recueillir le plus large assentiment politique …………………………………………………………………………………………………. 11
1.3. Un large soutien s’est dégagé en faveur de la remise au Parlement d’un rapport du Conseil scientifique Covid-19 pour réévaluer la situation sanitaire et la disponibilité de vaccins à l’approche du scrutin …………………………………………………………………………………………………………………………. 14
1.4. La situation épidémiologique spécifique des collectivités d’outre-mer, principalement de la Guyane, devrait faire l’objet d’une étude pour déterminer si elles sont placées dans une situation objectivement différente du point de vue sanitaire…………………………………………………………………. 16
Conclusion de la première partie…………………………………………………………………………………………. 17
II. ANALYSE JURIDIQUE DES DIFFERENTES ECHEANCES ENVISAGEES POUR LE REPORT DES SCRUTINS …………………………………………………………………………………………………. 18
2.1. L’analyse au regard du principe de périodicité du scrutin…………………………………………………. 18 2.1.1. Jurisprudence du Conseil constitutionnel …………………………………………………………………. 18 2.1.2. Application au cas d’espèce …………………………………………………………………………………… 21
2.2. L’analyse au regard du principe de l’égalité des candidats et de la sincérité des scrutins ……… 27 2.3. L’analyse au regard des risques de la concentration des scrutins……………………………………. 30 Conclusion de la deuxième partie………………………………………………………………………………………… 30
III. DES AMENAGEMENTS DE PORTEE LIMITEE POUR PERMETTRE LA PREPARATION ET LA TENUE DES SCRUTINS DANS DE BONNES CONDITIONS………. 31
3.1. La conduite de la campagne électorale…………………………………………………………………………… 31 3.1.1. Les comptes de campagne ……………………………………………………………………………………… 32 3.1.4. L’expression par voie audiovisuelle ………………………………………………………………………… 39
3.2. Les modalités d’organisation des scrutins ………………………………………………………………………. 41 3.2.1. La concomitance des élections régionales et départementales …………………………………….. 42 3.2.2. L’aménagement et l’emplacement des bureaux de vote……………………………………………… 43 3.2.3. L’inscription des électeurs……………………………………………………………………………………… 45 3.2.4. Les procurations, le vote par correspondance et le vote électronique …………………………… 45
Conclusion de la troisième partie ………………………………………………………………………………………… 52 Conclusion générale ……………………………………………………………………………………………………………… 54 Annexes………………………………………………………………………………………………………………………………. 56
Annexe 1 : Lettre de mission………………………………………………………………………………………………. 57 Annexe 2 : Liste des personnes entendues ……………………………………………………………………………. 59 Annexe 3 : Situation épidémique en outre-mer au 10 novembre 2020 ……………………………………… 63
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I. QUELLE DATE DE SCRUTIN EST-ELLE SUSCEPTIBLE DE RECUEILLIR LE PLUS LARGE SOUTIEN POLITIQUE ?
L’application, en l’état, des dispositions de l’article 10 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 20151 ainsi que de celles des articles L. 192, L. 336, L. 364, L. 558-1 et L. 558-5 du code électoral devrait conduire le Premier ministre à convoquer les élections en vue du renouvellement général des conseillers départementaux, régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique au mois de mars 2021.
Toutefois, il est légitime de s’interroger, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, sur la pertinence du maintien de ces scrutins à cette date.
Le maintien des scrutins au mois de mars 2021 suscite d’importantes objections, notamment du Conseil scientifique Covid-192 (1.1). Un report des scrutins en juin 2021 constitue l’option susceptible de recueillir le plus large soutien politique (1.2.). Une évaluation de la situation sanitaire et de la perspective de la disponibilité de vaccins devrait être communiquée au Parlement avant la date alors prévue des scrutins (1.3).
La situation épidémiologique spécifique des collectivités d’outre-mer, principalement de la Guyane, devrait faire l’objet d’une étude pour déterminer si elles sont placées dans une situation objectivement différente du point de vue sanitaire (1.4.).
1 Cette loi a prorogé le mandat des conseillers généraux ainsi que des premiers membres des assemblées de Guyane et de Martinique de mars à décembre 2015. L’article 47 de la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 avait précédemment posé le principe d’un renouvellement intégral des conseils départementaux, prolongé d’un an le mandat des conseillers généraux élus en mars 2008 et réduit de deux ans le mandat de ceux élus en mars 2011, et enfin aligné le rythme de renouvellement de l’Assemblée de Corse sur celui des élections régionales. La loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 avait reporté la première élection de l’assemblée unique de Guyane et de Martinique en mars 2015.
2 Comité institué en application de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique.
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1.1. Le maintien des scrutins au mois de mars 2021 suscite d’importantes objections, en particulier de la part du Conseil scientifique Covid-19
Dans sa note du 26 octobre 2020 intitulée « Une deuxième vague entraînant une situation sanitaire critique », le Conseil scientifique Covid-19 relève « une remontée extrêmement rapide du nombre de nouveaux cas, qui fait suite à une baisse généralisée des températures […] qui a débuté entre le 20 et le 25 septembre selon les régions ». Ce phénomène est également constaté à une échelle pan-européenne. Depuis le 1er octobre 2020, seuls quelques Etats (Chypre, Estonie, Finlande, Grèce, Norvège), demeurent à ce stade épargnés. Même les pays qui avaient jusqu’à présent réussi à limiter la circulation du virus (Allemagne Autriche, Danemark, Portugal…) sont confrontés à une « deuxième vague ». Celle-ci serait appelée à durer jusqu’à la fin de l’année 2020 ou au début de l’année 20213.
Le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, pris à la suite de cet avis, a institué des restrictions, destinées à prévenir la propagation du SARS-CoV-2. Le III de son article 3 interdit les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes4. Le I de son article 4 énumère, de manière limitative, les motifs pour lesquels les personnes peuvent exercer leur liberté de circulation, au nombre desquels ne figurent pas l’information et l’expression sur les enjeux des campagnes électorales.
Ces dispositions affectent d’ores et déjà de manière substantielle la conduite de la campagne électorale engagée le 1er septembre 20205.
Jean-François Delfraissy, immunologue et président du conseil scientifique Covid-19, Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur et membre du même Conseil, sans s’être préalablement concertés, ont estimé, lors de leur audition, le 28 octobre 2020, de façon particulièrement nette et convergente, que la poursuite de la campagne en vue de la tenue des scrutins en mars 2021 était, d’un point de vue sanitaire, « fortement déconseillée », voire « déraisonnable ».
3L’avis évalue la population vulnérable, susceptible de contracter une forme grave de la maladie Covid-19 à 22 millions de personnes : jeunes retraités actifs de plus de 65 ans, sujets plus âgés plus ou moins dépendants vivant à domicile, personnes vivant en établissement pour personnes âgées dépendantes, sujets jeunes avec facteurs de comorbidité (diabète, surpoids, insuffisance rénale, cancer en cours de traitement) et populations en grande précarité.
4 L’avis relevait que les facteurs de risque de propagation du virus étaient désormais bien documentés (lieux fermés, peu ventilés, avec une forte densité, sans port du masque, avec des émissions de gouttelettes par des participants parlant, chantant ou criant).
5Au titre du décompte à rebours de la période de six mois avant la date des scrutins résultant des dispositions des articles L. 52-1 et L. 52-4 à L. 52-8 du code électoral.
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Les professeurs Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, William Dab, directeur d’un laboratoire de recherche au Conservatoire national des arts et métiers, et Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine, partagent cette opinion.
Ces scientifiques estiment que les réunions de travail au sein des partis politiques et les réunions électorales devraient être évitées ; pendant la période de décembre à mars 2021, pour éviter la contamination des militants et des assesseurs, ainsi que, par leur intermédiaire, des électeurs. Le présent rapport abordera ultérieurement l’appréciation de ces risques en cas de report des scrutins à des échéances ultérieures.
Les consultations menées à l’occasion de la mission ont également permis de constater que, de l’avis général des partis politiques, le déroulement normal d’une campagne électorale dans la perspective de scrutins à la mi-mars 2021 était largement compromis.
Certes, il ressort des consultations menées que la modification des dates des scrutins suscite, de manière générale, des oppositions et des réticences. L’enjeu démocratique mérite que de telles règles soient maniées avec la plus grande prudence, « d’une main tremblante ». Une très large majorité des personnalités politiques consultées convient néanmoins que l’enjeu sanitaire peut objectivement être regardé comme un motif d’intérêt général, de nature exceptionnelle et transitoire, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si un protocole sanitaire strict pourrait permettre d’organiser le scrutin lui-même, ce n’est pas le cas pour la conduite de la campagne électorale, en particulier pour les élections départementales. Les personnalités consultées admettent que cette campagne est compromise dans le cadre du confinement et de l’état d’urgence sanitaire.
Les formations politiques pourraient donc se résoudre ou se rallier à un report du scrutin, motivé par les risques sanitaires s’attachant à la poursuite de la campagne électorale pendant une période correspondant à l’état d’urgence sanitaire.
Les personnalités consultées soulignent toutefois qu’une situation d’incertitude qui se prolongerait quant à la date des scrutins serait de nature à nourrir la défiance publique et à renforcer encore une inclination vers l’abstention, de source déjà ancienne et structurelle6. Une telle incertitude pourrait également être un facteur de surcoût important dans l’organisation matérielle des scrutins.
6 Le taux d’abstention au premier tour des élections cantonales s’élevait à 51 % en 1988, 30 % en 1992, 39,7 % en 1998, 34,5 % en 2001, 36 % en 2004, 35 % en 2008, 56 % en 2011, 49,8 % en 2015. Aux élections régionales, il était de 21,9 % en 1992, 42,30 % en 1998, 37,9 % en 2004, 53,7 % en 2010, 50,1 % en 2015.
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Elles invitent donc de manière convergente le Gouvernement à prendre une décision dès le début du mois de décembre 2020 pour mettre fin à une période d’incertitude et fixer la date des scrutins.
Un consensus scientifique et politique se dégageant ainsi quant au report des scrutins prévus en mars 2021, se pose la question de l’échéance à laquelle ceux-ci doivent être différés.
1.2. Un report des scrutins au mois de juin 2021 serait l’option susceptible de recueillir le plus large assentiment politique
Les personnalités consultées ont structuré l’expression de leur position autour de trois différentes options : juin 2021, septembre-octobre 2021 et octobre-novembre 2022. Aucune d’entre elles n’a suggéré d’autre échéance.
Afin d’assurer la transparence et la clarté des débats sur les mérites respectifs de chacune des échéances, et la nature des débats politiques que le choix de chacune d’entre elles est susceptible de susciter, tous les arguments mentionnés au cours des auditions en faveur ou en défaveur de chacune de ces options sont recensés ci-après.
En ce qui concerne un report à la fin du mois de juin 2021
Il ressort nettement des consultations que l’option susceptible de réunir le soutien politique le plus large possible est celle d’un report des scrutins à la fin du mois de juin 2021.
Certes, les personnalités scientifiques consultées ont émis des recommandations sanitaires en cas de décision de fixer les scrutins à cette échéance7. Toutefois, aucun des spécialistes entendus n’a, dans l’hypothèse où un consensus politique se dégagerait en faveur de cette option, déconseillé une telle décision, qu’ils regardent comme raisonnablement guidée par un souci d’équilibre entre les exigences de la vie démocratique et les précautions sanitaires.
La question d’une prise en compte d’une nouvelle dégradation de la situation sanitaire a également été évoquée. Elle fait l’objet de développements ultérieurs.
7 Certaines recommandations sont de portée générale, indépendantes des scrutins, et portent sur la prorogation de mesures sanitaires à l’issue de l’état d’urgence, notamment en matière de télétravail, et de protocole en matière d’enseignement scolaire. D’autres sont spécifiques à la campagne (maîtrise de la densité des personnes réunies dans un même lieu, port du masque, ventilation et aération des lieux de réunion, report, autant que possible, sur les canaux dématérialisés) et à la tenue au scrutin (aménagement d’un vote à distance au bénéfice des personnes vulnérables, protection des assesseurs, prévention des rassemblements à l’extérieur des bureaux de vote, disponibilité de masques et de gel hydro-alcoolique dans les bureaux de vote ; voir sur ce point l’avis du Comité scientifique Covid-19 du 18 mai 2020).
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En ce qui concerne un report à l’automne 2021
Les quelques personnalités politiques ayant exprimé une préférence pour cette échéance soulignent qu’elle correspond au terme théorique d’un mandat de six ans pour une élection qui a eu lieu en décembre 2015.
De nombreuses objections ont toutefois été relevées par les personnalités consultées à l’égard de cette option.
En premier lieu, les personnalités scientifiques interrogées relèvent que cette saison est plus propice à une reprise de l’épidémie. Invités, dans ces circonstances, à apprécier les risques respectifs des échéances de juin 2021 et fin septembre 2021, les trois membres du conseil scientifique Covid-19 consultés ont fortement déconseillé la seconde8. Les autres personnalités scientifiques consultées ont également marqué une nette préférence en faveur de la première option.
En deuxième lieu, il est vrai, comme cela a été largement souligné, que la conduite d’une campagne électorale au cours des mois d’été en atténuerait très fortement la portée.
En troisième lieu, il apparaît qu’un report des scrutins à l’automne 2021 aurait pour conséquence une superposition des comptes de campagne au titre des élections régionales et des élections présidentielles sur une durée de plus de six mois. Le deuxième alinéa du 3 de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, de rang organique, prévoit en effet que le décompte des dépenses électorales des candidats aux élections présidentielles débute un an avant cette élection, soit, en pratique, le 1er avril 2020.
Un dernier inconvénient porte sur la difficulté d’articulation du calendrier électoral avec le calendrier budgétaire des collectivités régionales et départementales. Le budget fait traditionnellement l’objet d’une préparation au cours de l’été, avant la tenue d’un débat d’orientation budgétaire en octobre, pour assurer un vote avant la fin du mois de décembre. La tenue d’un scrutin à l’automne, suivi d’une période de mise en place de la nouvelle assemblée délibérante, perturberait, selon elles, de manière significative la prise de décisions importantes pour la majorité issue des urnes l’année suivant le scrutin.
8 Selon l’ensemble des personnalités scientifiques consultées, les virus respiratoires et pourvus d’une enveloppe lipidique se propagent davantage avec des températures de l’ordre de 8 à 10 degrés Celsius. La contamination est favorisée par le rassemblement de personnes dans des lieux clos et insuffisamment ventilés ou aérés.
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En ce qui concerne un report à l’automne 2022
Les quelques personnalités politiques envisageant de reporter les scrutins à l’échéance de l’automne 2022 avancent deux principales justifications.
La première justification est d’ordre sanitaire. Elle tient à la plus forte probabilité relative, à cet horizon, de l’acquisition d’une immunité collective, par vaccin ou par expérience de la maladie Covid-19.
Les avis scientifiques recueillis n’établissent, malheureusement, aucune certitude en ce sens, même si des espoirs sont nés récemment. Les campagnes de vaccination devraient notamment être menées dans la durée afin de pouvoir s’adresser au plus grand nombre9.
La plupart des personnalités politiques sont fermement opposées au principe de repousser les élections jusqu’à ce qu’un vaccin soit disponible, au motif que la pandémie de Covid-19 ne peut aboutir à « mettre la démocratie sous le boisseau » de manière prolongée.
9 On ne peut que former le vœu que la maladie de Covid-19 soit maîtrisée à l’échéance de l’automne 2022 compte tenu de ses conséquences sanitaires, économiques et sociales. Tous les scientifiques constatent une très forte amélioration de l’efficacité des traitements ; le taux de létalité des patients ayant subi des formes graves de la maladie aurait diminué de moitié en comparaison avec la première vague, grâce à l’expérience acquise. Toutefois, à la date du 10 novembre 2020, aucune des personnalités scientifiques n’était en mesure de garantir que, parmi les vaccins en cours de test (file:///C:/Users/lbellulo/AppData/Local/Microsoft/Windows/INetCache/Content.Outlook/E3OXOZ63/novel- coronavirus-landscape-covid-191cf012d2866d4102b9430ef02369d152.pdf), l’un ou plusieurs d’entre eux seront susceptibles, à l’issue de la phase 3, qui n’est achevée pour aucun d’entre eux, d’être produits à l’échelle industrielle nécessaire, tolérés par les personnes vulnérables, de conférer une immunité d’une durée suffisante, d’être injectés en dehors du milieu hospitalier, compte tenu des exigences de conservation, avec le nombre de doses nécessaires. Ils estiment
(voir
Haute autorité de santé,
Par ailleurs, tous les scientifiques entendus ont émis un doute quant à l’acquisition d’une immunité « naturelle ». Ils estiment que, selon les régions, 5 à 20 % de la population française aurait été exposée au SARS-CoV-2, alors qu’une immunité, en l’absence de vaccin, supposerait que 60 à 70 % de la population ait été exposée à ce virus. L’immunité acquise par les personnes asymptomatiques serait de durée très limitée, de l’ordre de deux à trois mois, celle des autres personnes étant plus
forte, sans exclure de réinfections, avec des symptômes plus légers ou une absence de symptômes.
que les premiers vaccins seront disponibles pour le personnel soignant et les
personnes vulnérables, qui devraient faire l’objet d’une priorité vaccinale, au plus tôt, à la fin de l’année 2021
Avis n° 2020.0035/AC/SEESP du 4 juin 2020 du collège de la Haute Autorité de santé
relatif à la reprise des activités de vaccination dans le contexte de la levée des mesures de confinement dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 ; 28 juillet 2020, stratégie de vaccination contre le COVID 19 – Anticipation des scénarios possibles de vaccination et recommandations préliminaires sur les populations cibles). Les vaccins de troisième génération, susceptibles de conférer l’immunité la plus durable et la plus efficace vis-à-vis des formes graves de la maladie de Covid-19, ne devraient être mis sur le marché que dans le courant de l’année 2022. Une campagne de vaccination se déroulerait, dans l’un et l’autre cas, dans un contexte général de forte défiance des Français vis-à-vis de la vaccination. 40% d’entre eux aurait récemment déclaré, à l’occasion d’un sondage, être opposés à une injection. Se poseront alors de nouveau la question de l’étalement dans le temps de la campagne de
vaccination et de la possibilité de la mener en ambulatoire.
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Elles s’interrogent également sur une certaine forme d’incohérence. Si, malheureusement, aucun vaccin n’était, in fine, disponible pour l’ensemble de la population en avril-mai 2022, les élections présidentielles se tiendraient en tout état de cause, d’une part, parce qu’elles sont au cœur de la vie politique et des institutions, d’autre part, parce qu’aucune révision de l’article 7 de la Constitution, à supposer qu’elle soit engagée, ne réunirait la majorité requise. Le raisonnement serait analogue pour les élections législatives ; la durée du mandat des députés est fixée au niveau de la loi organique10, qui doit être adoptée par l’Assemblée Nationale à la majorité absolue en cas de désaccord du Sénat.
Ainsi, le report des élections locales à l’automne 2022 est largement écarté par nos interlocuteurs.
Une seconde justification a toutefois été formulée pour justifier un report à l’automne 2022. Elle est tirée de l’intérêt d’une stabilité des exécutifs locaux pour assurer la relance des investissements publics, dans le contexte, inédit, d’une croissance négative de plus de 10 % du PIB attendue pour l’année 2020 en comparaison avec l’année précédente.
Sur ce point, les personnalités d’avis opposés relèvent un risque contentieux, compte tenu de l’absence de précédent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, admettant une prorogation de mandat d’une durée aussi longue.
De manière plus générale, et indépendamment du débat sur ces deux arguments, un report à l’échéance de l’automne 2022 suscite de fortes oppositions, d’ordre politique et institutionnel. De nombreuses personnalités politiques s’inquiètent de possibles motifs partisans. Elles estiment également que l’inversion des scrutins locaux et des scrutins nationaux majeurs que sont les élections présidentielles et les élections législatives altèrerait fortement la portée des scrutins locaux.
1.3. Un large soutien s’est dégagé en faveur de la remise au Parlement d’un rapport du Conseil scientifique Covid-19 pour réévaluer la situation sanitaire et la disponibilité de vaccins à l’approche du scrutin
Toutes les personnalités consultées ayant préconisé un report des élections de quelques mois au cours de l’année 2021 se sont interrogées sur la manière de prendre en compte une dégradation de la situation sanitaire à un niveau tel qu’elle serait susceptible de justifier un nouveau report, que ce soit de juin 2021 à l’automne 2021 ou de l’automne 2021 à l’automne 2022.
10 Article LO. 121 du code électoral
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La nature d’une clause de rendez-vous au printemps 2021 pour apprécier l’évolution de la situation sanitaire à la sortie de l’état d’urgence a été largement abordée. Le maintien d’une compétence exclusive du Parlement pour décider d’un éventuel nouveau report semble toutefois devoir être privilégiée pour recueillir l’assentiment le plus étendu.
Le débat s’est structuré autour de l’opportunité de la reconduite de certaines des dispositions du I de l’article 17 de la loi du 22 juin 2020, qui prévoyaient que le second tour des élections municipales puisse être annulé par décret en Conseil des ministres, pris après avis, rendu public, du conseil scientifique Covid-19, jusqu’à la veille du scrutin11.
Certains ont préconisé de les reprendre à l’identique, en permettant ainsi au Gouvernement de prendre la décision d’un nouveau report.
D’autres, nombreux et de sensibilités politiques différentes, ont, au contraire, manifesté une nette opposition à l’égard d’un tel dispositif, qui, selon elles, servirait le dessein d’un report à l’échéance la plus lointaine.
Ces personnalités estiment également que le débat ne se pose pas dans les mêmes termes pour le second tour des élections municipales de mars 2020 et pour les élections régionales et départementales.
S’agissant des élections municipales, il importait que le second tour ne fût pas trop éloigné dans le temps du premier pour préserver l’unité des opérations électorales et, partant, la sincérité du scrutin.
Lorsqu’il s’agit, au contraire, d’organiser les premier et second tours de deux scrutins, cette question ne se pose pas ; aucune « corde de rappel » ne garantit que le report ne soit pas trop éloigné dans le temps. La probabilité que les scrutins soient différés, une, voire deux fois encore. Or, si ces personnalités partagent l’objectif de garantir la sécurité sanitaire de leurs concitoyens, elles craignent également que les scrutins soient reportés à une échéance lointaine, de nature à modifier, selon elles, les équilibres institutionnels.
Les personnalités concernées préconisent donc plutôt une réévaluation de la situation sanitaire ainsi que de la date à laquelle des vaccins seront disponibles pour une large partie de la population selon d’autres modalités. Elles proposent, sur le modèle des dispositions du II de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, que le Conseil scientifique remette un rapport au Parlement au printemps 2021.
11 Voir pour son application, le décret n° 2020-774 du 24 juin 2020 annulant le second tour des élections municipales et communautaires en Guyane, concernant sept communes.
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Si cela s’avérait nécessaire, il reviendrait alors au Gouvernement de déposer un projet de loi au Parlement pour aménager de nouveau les dates de scrutin. Cette décision ne pourrait être prise, selon ces personnalités, que dans le cas d’une détérioration telle de la situation sanitaire qu’elle imposerait de nouvelles mesures de restriction des motifs pour lesquelles les personnes exercent leur liberté de circulation et de fermeture de commerces dits « non essentiels ». Ce dispositif n’aurait, ainsi, pas le caractère d’une « clause de revoyure automatique ».
Ce nouveau report des scrutins ne pourrait ainsi résulter que d’un choix collectif exprimé par les représentants de la Nation.
Ces modalités ne sont pas incompatibles avec un bref délai d’action. Le projet de loi instituant l’état d’urgence avait ainsi été adopté en Conseil des ministres le 18 mars, la loi promulguée cinq jours plus tard.
1.4. La situation épidémiologique spécifique des collectivités d’outre-mer, principalement de la Guyane, devrait faire l’objet d’une étude pour déterminer si elles sont placées dans une situation objectivement différente du point de vue sanitaire
La situation de la Guyane pourrait nécessiter un examen particulier, afin de vérifier l’existence d’une différence objective de situation épidémiologique, en rapport avec l’objet d’une loi qui serait d’aménager la date de scrutins en raison de la situation sanitaire, et compte tenu de son éloignement géographique de la France métropolitaine. En l’état du droit, les articles L. 558-1 et L. 558-1 A prévoient la concomitance du renouvellement des conseillers à l’assemblée de Guyane et de celui des conseillers régionaux.
Le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale, consulté le 10 novembre 2020, a indiqué qu’un nouveau pic épidémique serait susceptible d’être observé en juin, alors que la propagation du virus reste, en novembre 2020, limitée, et devrait, selon lui, demeurer faible jusqu’en mars 2021. Le second tour des élections municipales dans sept communes de Guyane avait déjà, en juin 2020, fait l’objet d’un traitement différent de celui du reste du territoire français, pour des motifs analogues12.
Il serait utile que le Comité scientifique Covid-19 étudie, pour le territoire concerné, les mérites relatifs d’un maintien des scrutins en mars 2021 plutôt que d’un report. Il est relevé à cet égard que les mesures sanitaires concernant ce territoire sont, en raison des risques sanitaires relativement moins élevés qu’en métropole à la date de remise du rapport, moins strictes que sur le territoire métropolitain (couvre-feu de 23 heures à 5 heures du matin, exigence de dépistage en cas de franchissement de frontières). La campagne électorale engagée devrait, ainsi, en termes relatifs, être nettement moins affectée qu’en métropole.
12 Voir note de bas de page 12
16

Le directeur général de la santé, interrogé sur ce point le 10 novembre 2020, a fourni, dans les très brefs délais qui lui était imparti, une analyse de la situation épidémiologique dans les régions et départements d’outre-mer, jointe en annexe, et s’est engagé à étudier de manière plus approfondie l’opportunité d’un traitement spécifique de la Guyane13, en lien avec le ministre des outre-mer.
Conclusion de la première partie
Un report du renouvellement des conseillers régionaux, départementaux et des assemblées territoriales de Guyane et de Martinique à la fin du mois de juin 2021 serait l’option susceptible de recueillir le soutien politique le plus large. Une telle décision se justifierait par des circonstances exceptionnelles.
La situation de la Guyane nécessiterait toutefois un examen spécifique, afin de vérifier si le calendrier épidémiologique propre au territoire de cette collectivité, éloignée de la métropole, constitue une différence de situation objective susceptible de justifier un traitement différent, par exemple en maintenant les scrutins au mois de mars 2021.
La campagne électorale qui précède ces scrutins devrait naturellement se tenir dans le cadre d’un protocole sanitaire adéquat (maîtrise de la densité des personnes réunies dans un même lieu, ventilé et aéré ; port du masque et usage du gel hydro-alcoolique ; utilisation, autant que possible des canaux dématérialisés de propagande).
Le Parlement resterait informé de l’évolution de la situation sanitaire, entre la fin de l’état d’urgence sanitaire et la date des scrutins, selon un mécanisme inspiré des dispositions du II de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020. Il devrait recevoir14 à cet effet un rapport du Conseil scientifique Covid-19, avant la date fixée pour les scrutins.
13 Le régime du renouvellement général des conseillers de l’Assemblée de Martinique est régi par les mêmes dispositions que celles concernant la Guyane. Les conseils régional et départemental de la Guadeloupe et de la Réunion sont soumis au régime de droit commun de la France métropolitaine. Il en va de même pour le conseil départemental de Mayotte. La loi pourrait toutefois aménager une date de scrutins différente, pour autant que cela soit justifié par des différences objectives de situation sanitaire, et que le décalage temporel reste aussi cantonné que possible.
14 Dans sa version issue de la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, l’avant-dernière phrase de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique sera ainsi rédigée : « Dès leur adoption, ces avis sont communiqués simultanément au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat par le président du comité. Ils sont rendus publics sans délai. »
17

II. ANALYSE JURIDIQUE DES DIFFERENTES ECHEANCES ENVISAGEES POUR LE REPORT DES SCRUTINS
Les différentes options envisagées lors des consultations des responsables des formations politiques et des groupes politiques constitués au Parlement peuvent être analysées à l’aune de deux principes à valeur constitutionnelle, la périodicité du scrutin (2.1.) et la sincérité des scrutins (2.2), ainsi que de l’objectif de prévention de la concentration des scrutins (2.3).
2.1. L’analyse au regard du principe de périodicité du scrutin
Le principe de périodicité du scrutin, résultant d’une jurisprudence établie, est au cœur de l’analyse constitutionnelle des différentes options envisagées pour la fixation de la date des scrutins régionaux et départementaux.
2.1.1. Jurisprudence du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a, dès 1988, souligné l’importance de « garanties d’objectivité qui doivent présider à toute consultation électorale »15.
Selon une jurisprudence constante depuis 1990, Le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur16, exerçant la compétence qu’il tire de l’article 34 de la Constitution, détermine la durée du mandat, notamment des conseillers régionaux et départementaux, et peut décider, dans l’intérêt général, une prorogation ou une cessation anticipée du mandat en cours, sous réserve de se conformer aux principes constitutionnels.
15 Décision n° 87-233 DC du 5 janvier 1988, Loi relative aux élections cantonales, cons. 5. Il a alors accueilli un grief d’incompétence négative de la loi, qui n’encadrait pas suffisamment le délai de convocation d’élections cantonales partielles par l’autorité administrative.
16 Le législateur organique s’agissant des élections parlementaires ainsi que des membres des assemblées délibérantes des collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte.
18

Ceux-ci impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable17.
Ce dernier principe est au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit au sens de l’article 61-1 de la Constitution18, et, par suite, invocable à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité19.
Les motifs d’intérêt général admissibles
Le regroupement de scrutins, la mise en cohérence de termes de mandats, dans le cadre de réformes de l’organisation territoriale, concomitantes ou à venir, ont été regardés comme un motif d’intérêt général susceptible de justifier l’aménagement de la durée d’un mandat électoral.
Dans la grande majorité de ses décisions, le Conseil constitutionnel a précisé que le report devait alors présenter un caractère exceptionnel et transitoire ou, du moins, un caractère exceptionnel.
17 Décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Loi modifiant les modes d’élection de l’Assemblée territoriale et du Conseil du gouvernement du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et définissant les règles générales de l’aide technique et financière contractuelle de l’État, cons. 9 ; décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, cons. 8 ; décision n° 93-331 DC du 13 janvier 1994, Loi rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux, cons 7 ; décision n° 94-341 DC du 6 juillet 1994, Loi relative à la date du renouvellement des conseillers municipaux, cons. 5 ; décision n° 96-372 DC du 6 février 1996, Loi organique relative à la date du renouvellement des membres de l’assemblée territoriale de la Polynésie française, cons. 3 ; décision n° 2001-444 DC du 9 mai 2001, Loi organique modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale, cons. 3 ; décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat, cons. 5 ; décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, cons. 12 ; décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, Loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons 60 ; décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013, Loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, considérant 4 ; décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, cons. 69 ; décision n° 2020- 802 DC du 30 juillet 2020, cons. 8 ; décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres [Modification du calendrier des élections municipales], considérant 18.
18 Il trouve également un écho à l’article 3 du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Voir les travaux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise) du Conseil de l’Europe, en particulier le rapport sur la fixation de la date des élections du 8 novembre 2017, qui concerne le Parlement (CDL-AD(2007)037, étude n° 4206/2007) et le code de bonne conduite en matière électorale du 28 juillet 2016 (CDL-AD(2002)023rev2-cor, avis n° 190/2002).
19 Solution implicite. Décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, cons. 18.
19

Le contrôle du Conseil constitutionnel sur le motif d’intérêt général en cause est alors limité à celui de l’erreur manifeste d’appréciation ; il n’y a pas lieu de rechercher si l’objectif en cause pourrait être atteint par d’autres voies. Il suffit que les modalités retenues par la loi ne soient pas manifestement inappropriées à cet objectif20.
L’ampleur des reports
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur de multiples configurations de cessation anticipée, réduction ou prorogation de mandats à venir ou de mandats en cours en raison de réformes de l’organisation territoriale.
S’agissant d’une prorogation de mandats en cours21, le Conseil constitutionnel a admis une durée pouvant aller jusqu’à une année supplémentaire.
Il a précisé dans deux des quatre décisions en cause que le report était « limité à un an »22 ou « tout au plus d’un an »23. Cette même durée a été acceptée dans le cadre d’une réforme à venir24.
Sans que cette jurisprudence ne fixe de manière absolue et en toutes circonstances un plafond à l’ampleur de la prorogation d’un mandat en cours, cette durée a néanmoins acquis la force d’une référence jurisprudentielle dans le cadre de réformes de l’organisation territoriale de portée générale.
20 Décision n° 93-331 DC préc., cons. 4 ; décision n° 94-341 DC, cons. 5 ; décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux, cons. 13 ; décision n° 2013-667 DC préc., cons. 61 ; déc. n° 2013-687 DC préc., cons. 70.
21 Décision n° 90-280 DC préc., cons. 10, s’agissant d’une réforme à caractère exceptionnel et transitoire, consistant à passer d’un renouvellement par moitié des conseillers généraux tous les trois ans à un renouvellement intégral tous les six ans, et à aligner les élections cantonales et régionales en deux étapes, en 1992, puis en 1998 ; à cette fin, est prorogé d’un an le mandat des conseillers généraux de la série renouvelée en 1985, qui expirera ainsi en 1992 ; décision n° 2013-667 DC préc , cons 62, s’agissant de la prorogation d’un an du mandat des conseillers généraux, des conseillers régionaux et des membres de l’Assemblée de Corse afin que ces élections aient lieu en mars 2015 afin d’éviter une trop grande concentration des scrutins en 2014 et mettre en œuvre une réforme de portée plus générale ; décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013, Loi organique relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, cons. 30, s’agissant du report de mars 2014 à mars 2015 de l’expiration du mandat des conseillers généraux élus à Mayotte en mars 2011 ; décision n° 2013-671 DC précitée, cons. 7, s’agissant du report « d’au maximum une année » de l’expiration du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger élus au titre de la série B (Europe, Asie, Levant) dont le renouvellement était prévu en juin 2013, afin de permettre l’application sans délai de la réforme générale, en cours d’adoption, de la représentation des Français établis hors de France et d’éviter qu’il soit porté atteinte à la sincérité du suffrage en organisant l’élection de ces membres concomitamment à l’adoption de cette réforme.
22 Décision n° 2013-667 DC.
23 Décision n° 2013-671 DC.
24Décision n° 93-331 DC préc., cons. 8. La durée du mandat des conseillers généraux à élire en 1994 a été allongée de six à sept ans dans le cadre du rétablissement du régime de renouvellement des conseillers généraux par moitié pour les trois ans et d’un regroupement des élections régionales et cantonales en 2001.
20

D’autres motifs ont été invoqués et admis : l’inversion de l’ordre des élections présidentielles et législatives25, une meilleure organisation de l’élection présidentielle de 199526, la préoccupation d’éviter la concomitance du renouvellement général de l’assemblée du territoire de la Polynésie et la mise en œuvre d’une réforme27. Le Conseil constitutionnel a systématiquement précisé que le report des scrutins devait demeurer exceptionnel et transitoire. La prorogation a alors été d’ampleur beaucoup plus limitée, tout au plus de trois mois28.
2.1.2. Application au cas d’espèce
Les motifs d’intérêt général invoqués par les personnalités consultées
Les motifs admis par le Conseil constitutionnel ont, jusqu’alors, été d’ordre institutionnel.
Pour autant, un motif d’intérêt général de santé publique, dans le contexte où la pandémie de Covid-19 affecte de façon très significative la conduite de la campagne électorale29, serait sans doute regardé par le Conseil constitutionnel comme susceptible de justifier l’allongement d’un mandat en cours.
Le Conseil constitutionnel a, en effet, déjà admis le report de l’organisation du second tour des élections municipales de juin 2020 pour éviter que le scrutin « et la campagne qui le précède ne contribuent à la propagation de l’épidémie, dans un contexte sanitaire ayant donné lieu à des mesures de confinement »30. Il a qualifié ce motif d’impérieux. L’ajout de cet adjectif se justifiait par un contrôle renforcé, non seulement, comme dans la jurisprudence précédemment citée, au regard du principe de périodicité du scrutin, mais aussi, en l’espèce, au regard du principe d’unité des opérations électorales, puisqu’il s’agissait d’apprécier le report d’un second tour de scrutin alors que le premier avait déjà eu lieu.
Le pouvoir d’appréciation du Parlement serait assez large sur l’invocation, à nouveau, d’un motif d’intérêt général tiré de la prévention de la propagation du SARS-CoV-2.
25 Décision n° 2001-444 DC du 9 mai 2001, Loi organique modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale, cons. 4 et 5.
26 Décision n° 94-341 DC, cons. 7.
27 Décision n° 96-372 DC, préc.
28 Décision n° 2001-444 DC, cons. 5 (onze semaines) ; Décision n° 94-341 DC, cons. 7 (trois mois) ; Décision n° 96-372 DC préc., cons. 1 (deux mois). Si une durée plus longue, de cinq mois, a été admise, il s’agissait de proroger les mandats des futurs conseillers territoriaux dans un but d’intérêt général, de clarté et de loyauté de l’élection, dans le cadre d’une réforme tendant à remédier à l’instabilité électorale et à appliquer immédiatement une nouvelle réforme, ce qui est nettement différent (décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, cons. 14 à 16.
29 Au sens commun, et non la campagne électorale officielle au sens des articles R. 26 et R. 182 du code électoral. 30 Décision n° 2020-849 QPC, précitée, cons. 21 et 22.
21

En revanche, aucun motif tiré de la bonne conduite d’une politique publique n’a été, à lui seul et indépendamment d’une évolution institutionnelle, admis à ce jour.
Le raisonnement pourrait, en outre, être inversé : s’il importe de mener à bien des politiques publiques dans la durée, il pourrait tout autant être soutenu qu’il serait urgent et conforme aux principes de périodicité et de sincérité des scrutins de renouveler les exécutifs à une date la plus proche des échéances normales, en leur permettant de proposer un budget à une nouvelle assemblée.
A supposer néanmoins qu’un tel motif soit admis, à la faveur d’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, il imposerait de traiter de la même manière les élections départementales et les élections régionales.
En effet, les départements portent des politiques publiques en matière d’assistance aux personnes vulnérables, de prévention sanitaire et de lutte contre la pauvreté qui sont tout autant nécessaires, pour limiter, autant que possible, les effets de la pandémie et prévenir sa propagation, que celui des régions dans le cadre de la relance des investissements publics et du soutien à l’économie locale.
L’ampleur des reports
Si les motifs des décisions du Conseil constitutionnel sont assez concis, il peut raisonnablement être soutenu que l’ampleur de la prorogation d’un mandat en cours doit demeurer en rapport avec la considération d’intérêt public invoquée, puisque les reports doivent demeurer « exceptionnels et transitoires ».
A cet égard, même un motif tiré de préoccupations sanitaires ne peut conduire à reporter indéfiniment tout scrutin. Un report d’une ampleur excessive pourrait, dès lors, contrevenir non seulement au principe de périodicité du scrutin, mais aussi à l’expression du suffrage, également mentionné dans la jurisprudence récente31.
31 La décision n° 2020-849 QPC, précitée, relative au report du second tour des élections municipales de juin 2020, a mis en balance, au considérant 21, d’une part, l’atteinte au principe d’unité des opérations électorales justifiée des considérations sanitaires, et, d’autre part, la préservation de l’expression du suffrage, lors de ce second tour.
22

Il est en effet dans l’intérêt de la libre expression du suffrage et conforme au principe de périodicité du scrutin, auquel il ne peut être porté atteinte que par des reports exceptionnels et transitoires, d’autoriser un débat sur les politiques publiques de santé et les politiques d’assistance aux personnes vulnérables des départements et aux politiques économiques des régions qui en découlent.
Se pose, enfin, la question de la référence temporelle à l’aune de laquelle l’ampleur du report doit être appréciée.
S’agissant de la prorogation de mandats en cours, la référence qui découle de la jurisprudence est, en raison des principes de clarté et de loyauté de l’élection, celle du terme connu par les électeurs et les candidats à la date du scrutin32.
Les dates d’élection des conseillers départementaux, régionaux et de l’Assemblée de Corse étant différentes, il convient d’examiner l’ampleur du report pour chacun d’entre eux.
Les conseillers départementaux élus en mars 2015 savaient qu’ils bénéficieraient d’un mandat d’une durée traditionnelle de six ans33. Dès lors, proroger les mandats en cours jusqu’au mois de juin 2021 ou à l’automne de cette même année ne soulève pas de difficulté. En revanche, un report du scrutin à l’automne 2022 reviendrait à allonger leur mandat d’un quart et d’une durée de plus de dix-huit mois. Cette durée supplémentaire est supérieure de moitié à la tolérance jurisprudentielle traditionnelle.
Les conseillers régionaux et les conseillers des assemblées de Corse, Guyane et Martinique élus en décembre 201534, avaient connaissance, à cette date, de la circonstance que leur mandat prendrait fin en mars 202135. Une prorogation de leur mandat jusqu’au mois de juin ou à l’automne 2021 serait susceptible de réunir les conditions d’un report exceptionnel et transitoire au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
32 Voir, au sujet de la réduction de mandats non encore engagés, dans le cadre d’une réforme organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2010-603 DC précitée, p. 9. Voir également la décision précitée n° 2013-687 DC, cons. 73 et 74 ainsi que le commentaire aux cahiers de la décision précitée n° 2010-603 DC, distinguant l’analyse des modifications des termes de mandats en cours, plus stricte, au regard des principes de clarté et de loyauté de l’élection, que celle de mandats à venir.
33 Le Sénat s’était opposé, lors des débats sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, devenue la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015, au report de leur élection en décembre 2015.
34 L’objectif du législateur était d’assurer la coïncidence de la prise de fonctions avec l’entrée en vigueur de la nouvelle organisation régionale.
35 Il ressort des travaux parlementaires que l’objectif était d’assurer, pour l’avenir, la coïncidence des élections régionales et départementales.
23

En revanche, un allongement de leur mandat jusqu’à l’automne 2022 représenterait, en termes relatifs, 30 % de la durée effective de leur mandat, et, en termes absolus, une prorogation, là encore, de plus de dix-huit mois. Cette situation présenterait donc, de même, des risques contentieux36.
Au regard de l’ampleur du report, cette conclusion serait inchangée en se référant à une durée « normale de mandat » de six ans, conformément aux termes de l’article L. 335 du code électoral37.
Il pourrait certes, être également tenu compte de ce que l’échéance normale du mandat des conseillers régionaux aurait été, en l’absence d’intervention de la loi du 16 janvier 2015, en décembre 2021, et non en mars 2021.
Mais cela supposerait une certaine évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a, jusqu’alors, apprécié chacune des lois prévoyant un report ou un aménagement de la durée du mandat qui lui sont déférées ou dont la constitutionnalité est contestée au regard de ses mérites propres, c’est-à-dire des objectifs d’intérêt général énoncés dans les travaux préparatoires de chacune des lois.
Ainsi, le considérant 7 de la décision n° 2010-603 DC souligne que la loi déférée ne saurait contraindre le législateur pour l’avenir ; l’analyse ne serait différente que dans la mesure où la loi mettrait en œuvre des prescriptions constitutionnelles ou organiques. Selon un raisonnement proche, le Conseil a eu l’occasion, par le passé, de souligner que le contrôle de conformité d’une loi à la Constitution ne peut être fondé sur la comparaison des dispositions de deux lois successives, mais est fonction de la confrontation de la loi contestée avec les exigences constitutionnelles38.
Dans la seule circonstance où le Conseil constitutionnel a examiné la combinaison d’une loi qui lui était déférée avec une loi antérieure, il s’agissait d’apprécier la justification et l’ampleur de deux reports successifs, pour vérifier que, par leur cumul, ces prorogations ne contrevenaient pas au principe de périodicité du scrutin39.
36 A supposer que la loi ne soit pas déférée au Conseil constitutionnel avant sa promulgation par le Président de la République, le Premier ministre ou soixante députés et sénateurs, une question prioritaire de constitutionnalité sera inévitablement soulevée à l’occasion d’une protestation électorale.
37 Une durée de six ans du mandat des conseillers régionaux ne correspond d’ailleurs à aucune tradition ininterrompue ; leur mandat a varié de cinq à six ans.
38 Décision nos 86-216 DC du 3 septembre 1986, Loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, cons. 14 ; 89-261 DC du 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, cons. 15 ; 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 2.
39Décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013, Loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, cons. 7.
24

Il a alors admis, certes, de manière inédite, une prorogation cumulée de deux ans. Mais la rédaction des motifs de la décision prend soin de rappeler les justifications de chacun des reports, pris séparément, avant d’examiner leur effet cumulé au regard du principe de périodicité du scrutin et d’écarter le grief soulevé.
Ces motifs étaient, par surcroît, exceptionnels ; le second report était justifié par la prévention d’une atteinte à la sincérité du suffrage en organisant l’élection de membres concomitamment à l’adoption d’une réforme institutionnelle. Les travaux préparatoires au Sénat soulignaient que le respect de l’échéance aurait conduit à élire des membres dont le mandat prendrait fin «quelques mois plus tard», qualifiant cette situation d’«absurde», «illisible pour les électeurs », « incompréhensible pour les candidats ». Ceux de l’Assemblée Nationale relevaient que les missions et la composition de la nouvelle Assemblée des Français de l’étranger seraient fortement renouvelées.
Le raisonnement qui a conduit à admettre deux allongements successifs d’un mandat, dont le cumul aboutit à une prorogation d’une durée supérieure à un an, semble, par conséquent, avoir vocation à demeurer cantonné à des circonstances très particulières.
Il ne serait pas aisé de le transposer au cas d’espèce pour considérer que la prorogation des conseillers régionaux ne serait pas de dix-huit mois, mais seulement de dix mois. La logique justifiant chacun des deux aménagements successifs du mandat des conseillers régionaux serait en effet étrangère l’une à l’autre.
En 2015, il s’agissait d’assurer la coïncidence des échéances du renouvellement général des conseils régionaux et départementaux, en raccourcissant, à cet effet, le mandat de conseillers régionaux qui seraient prochainement élus de huit mois au regard de la durée de principe de six ans qui serait, pour l’avenir, celle des conseillers régionaux.
En 2020-2021, si la loi prorogeait le mandat de ces mêmes conseillers régionaux de dix-huit mois, les motifs seraient d’une toute autre nature, liés à des considérations de santé publique ou de relance économique.
Il ne serait donc pas évident, pour apprécier l’effet cumulé de ces deux lois, de défalquer de la prorogation de mandat de dix-huit mois du mandat en cours, résultant de la loi qui serait déférée, une durée de huit mois, qui n’a jamais affecté en aucune manière ces mandats. Le raccourcissement de huit mois du mandat des conseillers régionaux a en effet été décidé avant leur élection, et seulement au regard d’une durée théorique normale de six ans.
25

Il est ainsi à craindre qu’on ne puisse, dans de telles circonstances, apprécier globalement ce « coup d’accordéon » constitué de deux phases non homogènes, consistant en une phase de raccourcissement de mandat à venir, pour assurer la concomitance de scrutins régionaux et départementaux, puis d’un allongement de mandats en cours, pour des raisons liées à la crise sanitaire, des seuls conseillers régionaux.
A supposer même qu’un tel raisonnement soit adopté pour considérer que la prorogation du mandat des conseillers régionaux serait, au total, inférieure à un an, l’appréciation de l’ampleur de ce report dépendrait en tout état de cause de la nature et de la portée du motif d’intérêt général invoqué.
Il resterait nécessaire d’examiner la cohérence de la prorogation du mandat avec le motif d’intérêt général qui la justifie, ce qui renvoie aux considérations qui précèdent.
Il peut être relevé à cet égard que l’avis du Conseil scientifique Covid-19 en date du 26 octobre 2020 observe que, si la pandémie Covid-19 va « durer dans le temps », la circulation du virus sera atténuée à certaines périodes, anticipant une « sortie de 2ème vague ». Ce qui signifie qu’il serait possible, d’un point de vue sanitaire, et à la date d’élaboration du présent rapport, d’organiser les scrutins à la sortie de cette « 2ème vague », plutôt que de le reporter d’emblée à l’automne 2022.
En revanche, si des reports successifs étaient décidés, en décembre 2020, puis en mai 2021, en raison d’une détérioration telle de la situation sanitaire, telle qu’un nouveau confinement, qu’elle imposerait un nouveau report, le contrôle du Conseil constitutionnel porterait, en fonction des circonstances invoquées à cette date, sur l’existence ou non d’une erreur manifeste d’appréciation, sur l’ampleur du report à compter de juin 2021, et sans doute, alors, sur les reports cumulés, selon les principes retenus dans la décision n° 2013-671 DC.
Les conseillers de l’Assemblée de Corse élus en décembre 2015 ont été renouvelés en décembre 2017 en raison de la mise en place, au 1er janvier 2018, de la collectivité unique de Corse, remplaçant les deux anciens départements et la collectivité territoriale de Corse. L’ampleur relative du report serait donc, dans leur cas, importante. Toutefois, il convient de prendre en compte la circonstance que le législateur a souhaité aligner les renouvellements généraux de cette assemblée sur ceux des conseils régionaux, et que la durée de la prorogation serait, en valeur absolue, évidemment identique à celle de ces derniers. Le président du conseil exécutif de la collectivité unique de Corse, qui a été entendu, a approuvé le principe de cet alignement.
Le renouvellement des conseillers des collectivités de Guyane et de Martinique suit le même régime que celui des conseillers régionaux. Les présidents des conseils exécutifs, qui ont été consultés, n’ont pas demandé de traitement distinct des reports les concernant. Une question demeure toutefois, déjà relevée, sur l’existence d’une situation épidémiologique particulière en Guyane.
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2.2. L’analyse au regard du principe de l’égalité des candidats et de la sincérité des scrutins
La campagne électorale pour les élections régionales et départementales a été ouverte, au sens des dispositions des articles L. 52-1 et suivants du code électoral40, le 1er septembre 2020.
Au regard de la situation sanitaire et des restrictions déjà mentionnées aux réunions publiques, au démarchage, et à la distribution de tracts imprimés, tous les partis politiques consultés ont indiqué avoir réorienté leur communication traditionnelle, au moins jusqu’à la sortie de l’état d’urgence sanitaire, voire, au-delà, en fonction des restrictions décidées par les pouvoirs publics, vers d’autres canaux de propagande électorale.
Les partis recourent ainsi davantage aux canaux dématérialisés (par voie de courrier postal, téléphonique, dans le respect des dispositions des articles L. 49-1et L. 50-1 du code électoral, radiophonique, audiovisuelle et électronique, ou par des diffusions via les réseaux sociaux).
Certes, les modes de communication dématérialisés avec les électeurs se prêtent relativement moins bien à une élection aux enjeux locaux41, qu’à une élection majeure aux enjeux nationaux.
Mais, d’une part, ces restrictions affectent, en droit, tous les partis politiques.
D’autre part, les partis politiques ne se voient pas privés de tout mode de propagande, même en période d’urgence sanitaire. En outre, à l’issue de l’état d’urgence sanitaire, qui s’achèvera, sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, le 16 février 2021, des restrictions moins importantes devraient peser sur la campagne électorale.
Au 13 novembre 2020, le dernier avis du Conseil scientifique Covid-19, en date du 16 octobre, estimait qu’une sortie de seconde vague pouvait être espérée à la fin de l’année 2020 ou au début de l’année 2021.
40 Ce qui est à distinguer de la campagne dite « officielle » au sens des dispositions de l’article L. 49 A du code électoral
41 Et, en termes relatifs, moins adaptés aux élections départementales qu’aux élections régionales
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Le report des scrutins en juin 2021 offrirait aux candidats une période supplémentaire de trois mois pendant laquelle il leur serait possible de tenir des réunions publiques en plein air et d’échanger avec les électeurs sur la voie publique, dans le respect des exigences sanitaires, afin de compléter la campagne électorale déjà engagée.
Aucun des partis politiques consultés n’a, au demeurant, soutenu que les restrictions sanitaires seraient de nature à les priver de toute possibilité de conduire une campagne électorale si les scrutins étaient reportés en juin 2021 ou à une échéance ultérieure42.
Dans ces conditions, les restrictions de portée générale résultant des circonstances sanitaires ne semblent pas, à elles seules, et par elles-mêmes, de nature à entacher un scrutin d’insincérité, en particulier si une période de quelques mois l’a précédé, hors de toute mesure de confinement général.
Il reviendrait, en revanche, au juge de l’élection d’apprécier au cas par cas, dans le cadre de son contrôle concret, si, dans une région ou dans un département donnés, dans lequel serait constaté un faible écart de voix entre le contestataire et la liste ou le candidat proclamé élu, les restrictions en cause ont, dans des circonstances particulières de temps et de lieu, particulièrement affecté une liste ou un candidat, et pu favoriser des manœuvres.
Ce raisonnement s’inspire de celui qui a été tenu par le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi d’une demande de report des élections régionales des 6 et 13 décembre 2015, alors qu’avait été déclaré l’état d’urgence en vertu d’une loi du 20 novembre 201543.
Il découle également de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat en matière de sincérité du scrutin en cas de catastrophes naturelles44, mais également dans le cas d’un faible niveau d’abstention, dans des circonstances moins exceptionnelles45.
42 Un des partis consultés a indiqué que le scrutin ne pourrait se tenir en mars pour ce motif. Il n’a pas souhaité marquer une préférence pour une échéance calendaire plutôt qu’une autre, souhaitant attendre de disposer du rapport du Conseil scientifique Covid-19 qui serait remis au printemps (voir section 1.2) pour se déterminer.
43 CE 1er déc. 2015, n° 394888.
44 Au sujet d’un cyclone à La Réunion (Conseil constitutionnel, n° 73-603/741 AN du 27 juin 1973), d’un tremblement de terre à Futuna (Conseil constitutionnel, décision n°93-1279 AN du 1er juillet 1993), ou encore d’une tempête de neige dans le Cantal (Conseil constitutionnel, décision n° 80-892/893/894 AN du 19 janvier 1981, AN Cantal, 1ère circ.).
45 Une forte abstention n’est pas, en tant que telle, un motif d’annulation d’opérations électorales (Conseil constitutionnel, décision n° 8-2571 AN du 9 mars 1999, Alpes Maritimes ; CE, 17 décembre 2014, Elections municipales de Saint-Rémy-sur-Avre, n° 381500 ; CE, 22 juillet 2015, Elections municipales de Montmagny, n° 385989). Mais le juge électoral examine si les circonstances de l’espèce ont été de nature à donner lieu à des manœuvres (décision précitée concernant Saint-Rémy-sur-Avre) ou ont affecté le principe d’égalité entre les candidats (décisions précitées concernant Futuna et le Cantal).
28

C’est dans ce courant jurisprudentiel que se sont inscrites les décisions rendues à l’occasion de la contestation des résultats des dernières élections municipales, dans le contexte spécifique de la pandémie de Covid-19.
Dans ces circonstances, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a écarté, de manière générale, le grief tiré de l’insincérité du scrutin, tout en renvoyant au juge de l’élection le soin de vérifier, au cas par cas, « si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin »46.
Le Conseil d’Etat a, pour sa part, jugé que le législateur n’avait, ni par l’article L. 262 du code électoral, ni par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l’issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu’une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Il en a déduit que le niveau de l’abstention n’était ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, s’il n’a pas altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité47.
Ce raisonnement peut être transposé aux élections régionales, mais aussi aux élections départementales, dès lors que seule l’élection au premier tour impose de réunir un seuil minimal de suffrages en proportion du nombre d’électeurs inscrits48.
Ainsi, la seule circonstance qu’un scrutin ne soit pas précédé d’une campagne électorale donnant lieu à des réunions publiques n’entache pas nécessairement celui-ci d’insincérité.
A ce jour, seules deux annulations ont été prononcées par des tribunaux administratifs, dans des circonstances particulières49. Le Conseil d’Etat statuera sur l’appel du ministre de l’Intérieur dans ces deux instances.
Dès lors, le report des scrutins à une échéance ultérieure à celle de mars 2021 ne serait pas de nature à accroître le risque contentieux au regard du principe de sincérité du scrutin.
Les réflexions qui précèdent, purement juridiques, relatives à la régularité des scrutins, n’excluent naturellement pas, bien au contraire, des suggestions de nature politique visant à favoriser l’expression du suffrage par le plus grand nombre, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, telles que formulées à la section 3.2.4 du présent rapport.
46Conseil Constitutionnel, décision n°2020-849 QPC, considérant 25.
47 CE, 15 juillet 2020, Elections municipales de Saint-Sulpice sur Risle, n° 440055, aux T
48 Articles L. 193 et L. 210-1 du code électoral
49 TA Nantes, 9 juillet 2020, Elections municipales de Maleville, n° 2004764 ; TA Grenoble, 15 septembre 2020, Elections municipales de la Balme-Sillingy, n° 2001840
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S’agissant des mérites comparés des échéances de juin ou de l’automne 2021, les membres consultés du Conseil scientifique Covid-19 ont affiché une claire préférence pour la première. Les partis politiques inclinent dans le même sens.
S’agissant de l’automne 2022, il est délicat d’apprécier, au regard de ce principe, les mérites d’un report à une échéance ultérieure, puisqu’il s’agirait alors d’anticiper les conditions de conduite de la campagne électorale et d’organisation des scrutins à une date relativement éloignée.
2.3. L’analyse au regard des risques de la concentration des scrutins
Une dernière considération d’ordre constitutionnel peut être formulée au sujet des trois hypothèses de report en termes de concentration des scrutins.
Dans sa décision n° 2005-22 ELEC du 7 juillet 2005, le Conseil constitutionnel avait formulé des observations tendant à éviter la concentration, au cours de l’année 2007, de cinq élections. Il avait relevé qu’une telle concentration de scrutins sollicitait à l’excès le corps électoral au cours de la même période et faisait peser sur les pouvoirs publics, notamment la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques une charge trop lourde eu égard aux moyens matériels, et surtout humains, indispensables. C’est dans le prolongement de cette décision que le Gouvernement a aménagé le calendrier de ces scrutins.
Des considérations analogues pourraient être formulées à l’égard de l’hypothèse d’un renvoi direct ou indirect des scrutins régionaux, départementaux et territoriaux à l’automne 2022, à l’issue des élections présidentielles et législatives.
En revanche, le maintien des scrutins régionaux et départementaux en 2021 ne met pas en cause la logique de scrutins décentralisés avant la succession d’échéances électorales nationales en 2022 et évite de solliciter à l’excès le corps électoral.
Il peut au demeurant être relevé que le Parlement devrait, au moment de fixer le terme du mandat des conseillers régionaux et départementaux qui seront prochainement élus, anticiper le risque de concentration des scrutins en 2027. Cette question, qui dépasse l’objet de la mission confiée par le Premier ministre, n’est pas analysée dans le présent rapport.
Conclusion de la deuxième partie
Au regard de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, la décision de reporter les scrutins à la fin du mois de juin 2021 présente des risques contentieux moins élevés qu’à l’échéance de l’automne 2022.
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III. DES AMENAGEMENTS DE PORTEE LIMITEE POUR PERMETTRE LA PREPARATION ET LA TENUE DES SCRUTINS DANS DE BONNES CONDITIONS
Les consultations ont permis de recueillir les préoccupations des responsables des formations politiques dans le cadre de la préparation et de la tenue d’un éventuel double scrutin, dont nombre sont légitimes ainsi que susceptibles d’être mises en œuvre à bref délai et de recueillir un consensus.
Certains aménagements dans la conduite de la campagne électorale (3.1.), et dans l’organisation des scrutins (3.2.) sont à cet effet recommandés.
Ils sont de portée modeste et en nombre limité. Il importe, en effet, de conserver un équilibre entre, d’une part, la nécessaire adaptation des dispositions en vigueur aux circonstances exceptionnelles de la pandémie de Covid-19, et, d’autre part, le principe de stabilité du régime électoral l’année précédant l’élection50, entré en vigueur il y a à peine quelques mois, le 30 juin 202051.
Une rénovation plus profonde des modalités de l’élection se prête à une réflexion dans un temps moins contraint, permettant de vérifier la disponibilité sur le marché des solutions techniques, de recueillir des enseignements d’expériences menées dans d’autres Etats, et de s’inscrire dans une très large concertation.
3.1. La conduite de la campagne électorale
Les observations émises lors des consultations portent sur les comptes de campagne et la propagande électorale.
50 Il est prévu à l’article L. 567-1 A du code électoral, ainsi rédigé : « Il ne peut être procédé à une modification du régime électoral ou du périmètre des circonscriptions dans l’année qui précède le premier tour d’un scrutin. ». Ces dispositions ont été créées par les articles 13 et 15 de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, issue d’une proposition de loi de M. Alain Richard et des membres du groupe La République En Marche du Sénat. Si l’on se réfère au considérant 16 de la décision n° 2013-673 DC du 18 juillet 2013, Loi relative à la représentation des Français établis hors de France, la notion de régime électoral inclut les modalités de vote, notamment le vote par correspondance et par anticipation.
51 La loi peut certes toujours amender la loi, mais ce principe découle aussi de ceux énoncés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission de Venise) du Conseil de l’Europe dans une déclaration interprétative du 20 décembre 2005 sur la stabilité électorale (CDL-AD(2005)043). Elle a ainsi acquis la force d’une importante référence politique.
31

3.1.1. Les comptes de campagne
Deux séries de préoccupations doivent être examinées en ce qui concerne les comptes de campagne. La première porte sur le chevauchement des périodes de campagne électorale au titre des élections présidentielles et des scrutins régionaux et départementaux au sens des dispositions des articles L. 52-1 et suivants du code électoral. La seconde concerne les aménagements découlant d’un report des scrutins.
3.1.1.1. Le chevauchement éventuel des périodes de campagne électorale au titre des élections présidentielles et des scrutins locaux
Comme déjà relevé, le deuxième alinéa du 3 de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 prévoit que le décompte des dépenses électorales des candidats aux élections présidentielles débute un an avant cette élection. Il s’ensuit que les candidats aux élections présidentielles devront enregistrer leurs dépenses et recettes dans leurs comptes de campagne à compter du 1er avril 2021. La période de superposition de ces comptes, pour les candidats aux deux séries d’élections, est de deux mois et demi dans le cas d’un report des scrutins régionaux et départementaux au mois de juin 2021. Cette durée est beaucoup plus limitée que celle qui résulterait d’un report à l’automne 2021. Elle serait, dans cette hypothèse, de six mois et demi sur une durée totale de douze mois.
Deux options sont envisageables pour traiter cette difficulté.
La première serait, à droit constant, de s’inspirer des règles jurisprudentielles gouvernant la détermination du caractère électoral d’une dépense (voir infra) pour assurer la ventilation entre les comptes de campagne au titre des élections régionales et ceux au titre de l’élection présidentielle, pendant une période, somme toute, de portée limitée au regard de la durée totale de la campagne. Il reviendrait aux candidats, pendant cette période, de durée somme toute limitée, de veiller à enregistrer les dépenses afférentes au titre de l’une ou l’autre de ces campagnes52, sous le contrôle de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCNFP). Cette ventilation devrait tenir compte de la nature de la communication politique en cause, selon les thèmes abordés, en lien ou non avec les compétences des régions ou des départements, et son audience, nationale ou plus locale. Pour assurer sa bonne mise en œuvre, il serait souhaitable que la CCNFP puisse élaborer un guide pédagogique, sur le modèle de ceux qu’elle a déjà publiés, voire élabore des lignes directrices, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir53.
52 Voir notamment, sur ce point, la jurisprudence citée en note de bas de page 66 qui regarde un document de propagande comme ayant un caractère partiellement électoral, à concurrence de 20,5%. Un raisonnement de même nature pourrait être opéré pour regarder une communication comme relevant partiellement de l’élection régionale et partiellement de l’élection présidentielle.
53 Voir CE, sect., 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, n° 418142, à publier au Recueil.
32

La question resterait toutefois ouverte de savoir si le Conseil constitutionnel regarderait une dépense comme se rapportant à l’élection présidentielle à une date à laquelle ce candidat ne s’est pas encore déclaré comme tel.
La seconde option serait de modifier la loi organique afin de réduire la durée de la campagne au titre des prochaines élections présidentielles. Aucune des personnalités consultées n’a émis de recommandation en ce sens. Cette option n’est donc pas privilégiée par le présent rapport, dont l’objet est de recueillir et analyser les propositions des responsables politiques en ce qui concerne l’organisation de la campagne et des scrutins locaux. L’analyse pourrait toutefois différente si, en tout état de cause, un toilettage de la loi organique devait, comme cela a été fréquemment le cas par le passé, être soumis au Parlement pour étendre les modifications du code électoral intervenues depuis 2017 aux élections présidentielles et tirer les conséquences des observations du Conseil constitutionnel. La prévention d’un tel chevauchement serait prudente et garantirait la sécurité juridique des comptes de campagne et, dans une moindre mesure, la sincérité des scrutins. Le risque de confusion de l’électeur semble néanmoins faible, tant les dates des scrutins régionaux et présidentiels demeureraient éloignés dans le temps, et tant est unique la place de l’élection présidentielle dans le calendrier électoral. La jurisprudence ne concerne à ce jour que le chevauchement des campagnes dites « officielles » des élections municipales et régionales, au sens des dispositions actuelles de l’article L. 49 A du code électoral54. Ce type de chevauchement présente un risque significativement plus élevé de confusion dans l’esprit des électeurs. D’une part, il s’agit alors de deux scrutins très proches dans le temps et de nature locale. D’autre part, il correspond à l’envoi à domicile des documents de propagande officielle, en particulier des circulaires, dites « professions de foi », et des bulletins de vote.
3.1.1.2. Les aménagements découlant du report des scrutins
Deux circonstances justifient une majoration du niveau du plafond des dépenses susceptibles de donner lieu à remboursement sur le fondement des dispositions de l’article L. 52-11 du code électoral en cas de report des scrutins ; d’une part, l’allongement de fait de la durée de la campagne qui en résulterait, d’autre part, le caractère relativement plus onéreux des canaux dématérialisés.
Des considérations analogues ont déjà conduit, dans le cadre du report du second tour des élections municipales du 22 mars au 28 juin 2020, à augmenter de 20 % ce plafond55.
54 La jurisprudence est très peu nourrie sur ce point, le calendrier électoral étant en principe construit pour éviter de tels chevauchements. On relève cependant une décision concernant le chevauchement de la campagne électorale au sens strict, c’est-à-dire au sens de l’article L. 47 A du code électoral, entre les élections municipales et régionales, sur deux journées, écartant un grief d’insincérité des scrutins (CE, 22 novembre 1985, n°s 49059 49060 49061 49062, aux tables du recueil Lebon).
55 Voir le 6° du paragraphe XII de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 et l’article 7 du décret n° 2020-643 du 27 mai 2020 relatif au report du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon de 2020 et à l’adaptation du décret du 9 juillet 1990 à l’état d’urgence sanitaire.
33

Afin de traiter symétriquement les dépenses et les recettes, et eu égard à l’exigence de présentation de comptes de campagne en équilibre réel, il serait logique de maintenir l’inscription dans les comptes de campagne des recettes perçues depuis le 1er septembre 2020, notamment des dons. Le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCNFP) a adressé des observations écrites en ce sens à la mission.
Quelques personnalités consultées, issues de différentes formations politiques, ont également recommandé, eu égard aux difficultés croissantes d’accès des partis et des candidats aux emprunts bancaires, de proroger la durée maximale des prêts56 et de diminuer de façon notable le délai qui sépare la validation des comptes de campagne par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CCNFP) et le paiement effectif des sommes dues au titre des dispositions du remboursement forfaitaire prévu par les dispositions de l’article L. 52-11-1 du code électoral. Il serait nécessaire de diminuer et harmoniser le délai entre la date de la décision et sa notification ainsi que la durée de la procédure d’ordonnancement des paiements afférents.
3.1.2. La propagande électorale
Plusieurs formations politiques consultées, de sensibilités variées, ont, d’une part, invité à assouplir, par voie législative, le recours aux communications électroniques et aux réseaux sociaux, et, d’autre part, émis des préoccupations quant à l’application des dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral, pour une durée excédant significativement une période de six mois avant le scrutin. Quelques personnalités consultées se sont, en outre, exprimées sur le format de circulaire, dite « profession de foi ».
3.1.3.1. L’utilisation d’internet et des réseaux sociaux
La prospection directe, notamment par courriel ou sur les réseaux sociaux, est autorisée sous certaines conditions par l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques57, sous le contrôle de la Commission Nationale Informatique et Libertés
56 Voir, sur ce point, l’article 8 du décret n° 2020-643 précité. 57 «E
st interdite la prospection directe au moyen d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou d’un courrier
électronique utilisant, sous quelque forme que ce soit, les coordonnées d’une personne physique qui n’a pas exprimé son consentement préalable à recevoir des prospections directes par ce moyen./Pour l’application du présent article, on entend par consentement toute manifestation de volonté libre, spécifique et informée par laquelle une personne accepte que des données à caractère personnel la concernant soient utilisées à fin de prospection directe./Constitue une prospection directe l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services./Toutefois, la prospection directe par courrier électronique est autorisée si les coordonnées du destinataire ont été recueillies directement auprès de lui, dans le respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à l’occasion d’une vente ou d’une prestation de services, si la prospection directe concerne des produits ou services analogues fournis par la même personne physique ou morale, et si le destinataire se voit offrir, de manière expresse et dénuée d’ambiguïté, la possibilité de s’opposer, sans frais, hormis ceux liés à la transmission du refus, et de manière simple, à l’utilisation de ses coordonnées lorsque celles-ci sont recueillies et chaque fois qu’un courrier électronique de prospection lui est
34

(CNIL)58, sous réserve qu’elle n’ait pas lieu la veille ou le jour du scrutin59, conformément à l’article L. 49 du code électoral.
Les partis politiques peuvent, sous ces conditions, adresser des courriers imprimés, des courriels et des messages sur les réseaux sociaux aux électeurs.
En revanche, les dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral, telles qu’interprétées par la jurisprudence, interdisent toute démarche de référencement commercial60 ; seules sont autorisées la constitution de sites internet et leur consultation volontaire, par une démarche active et personnelle des électeurs61. Il en va sans doute de même de la diffusion de messages sur des réseaux sociaux ; seuls peuvent en principe être autorisés ceux dont les électeurs prennent connaissance du fait de leurs abonnements ou de leur intérêt spontanément exprimé.
Certains partis politiques estiment que ces restrictions aux modes de communication avec les électeurs méritent un certain assouplissement. Cela suppose toutefois d’être mûrement et finement pesé.
adressé./Dans tous les cas, il est interdit d’émettre, à des fins de prospection directe, des messages au moyen d’automates d’appel, télécopieurs et courriers électroniques, sans indiquer de coordonnées valables auxquelles le destinataire puisse utilement transmettre une demande tendant à obtenir que ces communications cessent sans frais autres que ceux liés à la transmission de celle-ci. Il est également interdit de dissimuler l’identité de la personne pour le compte de laquelle la communication est émise et de mentionner un objet sans rapport avec la prestation ou le service proposé./ […]/Les infractions aux dispositions du présent article sont recherchées et constatées dans les conditions fixées par les premier, troisième et quatrième alinéas de l’article L. 450-1 et les
articles L. 450-2, L. 450-3, L. 450-4, L. 450-7, L. 450-8, L. 470-1, et L. 470-5 du code de commerce./[…] ».
58 Voir notamment la délibération n° 2012-020 du 26 janvier 2012 portant recommandation relative à la mise en œuvre par les partis ou groupements à caractère politique, élus ou candidats à des fonctions électives de fichiers dans le cadre de leurs activités politiques
59 Des opérations électorales ont ainsi été annulées en présence d’un faible écart de voix en raison, d’une part, de la distribution d’un tract la veille du scrutin, mais aussi, le même jour, de la diffusion d’
(CE, 25 févier. 2015, Elections municipales de Voisins-le- Bretonneux [Yvelines], n° 385686, aux Tables sur un autre point). Voir également la décision n° 2017-5092 AN
du 18 décembre 2017, Loiret (4ème circ.).
60Le référencement commercial d’un site à finalité électorale sur un moteur de recherche sur internet revêt le caractère d’un procédé de publicité commerciale interdit par les dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral (CE, 13 février 2009, Elections municipales de Fuveau, n° 317637, aux Tables p. 766 ; Cons. const. 8 déc. 2017, AN Alpes-Maritimes, 3e circ., no 2017-5026 AN; Cons. const. 18 janv. 2013, AN Hauts-de-Seine, 6e circ., no 2012- 4592 AN).
61 Un site internet spécialement réalisé en vue d’une élection relève du premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral, mais dès lors que les électeurs choisissent librement d’y accéder, la connexion volontaire enlève au procédé tout caractère de publicité commerciale (CE, 8 juillet 2002, Elections municipales de Rodez, n° 239220, aux Tables; 20 mars 2009, Elections municipales de Longjumeau, n° 322186). L’utilisation gratuite d’internet ou des réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter, dont l’existence même n’est possible que grâce à la publicité, est autorisée. En revanche, depuis le 1er septembre 2019, il est interdit aux candidats aux élections municipales de recourir à tout moyen de sponsorisation commerciale des différents réseaux sociaux (CE, 25 février 2015, Elections municipales de Palavas-les-Flots, n° 382904).
électorale diffusé la veille du scrutin sur une page ” Facebook “, ouverte à la consultation publique, ce qui a permis
un message de propagande
d’en connaître le nombre exact de destinataires
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Les dispositions des articles L. 48-1, L. 49 et L. 52-1 ont vocation à interdire toute publicité commerciale dans le respect d’un principe de neutralité technologique. Pourquoi serait-il fait une exception pour internet et les réseaux sociaux, en autorisant le paiement pour le référencement ou le ciblage, alors que la publicité commerciale resterait interdite dans la presse quotidienne régionale et sur les antennes radiophonies et audiovisuelles ?
En l’absence de positions détaillées sur ces questions complexes, qui n’étaient pas au cœur de la mission, et de consensus susceptible d’être dégagé dans le temps imparti, aucune recommandation n’est reprise en ce sens ; les enjeux sont toutefois signalés dans la perspective d’un débat parlementaire.
3.1.3.2. L’expression des actuels titulaires de mandats
Le report des élections régionales et départementales aurait une incidence directe sur la durée de la campagne électorale au sens des articles L. 52-1 et suivants du code électoral. Celle-ci a, au regard de l’échéance actuellement fixée par la loi en mars 2021, débuté le 1er septembre 2020.
Les dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral sont construites sur un principe d’interdiction de la propagande électorale, immédiatement tempéré par une large dérogation permettant l’expression des partis politiques et le soutien, notamment financier, de ceux-ci à leurs candidats, et d’une dérogation plus étroite, autorisant les bilans de mandats, pour autant qu’ils restent neutres.
De manière générale, l’expression politique est autorisée, sous réserve, d’une part, qu’elle n’offre pas un avantage au titulaire actuel du mandat, par la mobilisation de moyens publics62, et, d’autre part, que soient enregistrées, par un tiers, les dépenses électorales, sous le contrôle de la CCNFP.
Dans ce même esprit, et de manière indépendante, le deuxième alinéa de l’article L. 52-8 du même code prohibe le financement des campagnes électorales par les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques. Ce financement peut être direct (dons, subventions) ou indirect (fourniture de biens, services ou autres avantages à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués).
Ces dispositions s’appliquent notamment à la mise à disposition, au bénéfice des titulaires actuels de mandats, de moyens de la collectivité publique dont ils sont membres ou qu’ils dirigent.
62 CE, Ass., 4 juillet 2011, Elections régionales d’Ile-de-France, n° 338033, Rec. p. 317.
36

Les dispositions précitées, qui restreignent l’expression de la communication politique, visent à garantir l’égalité des candidats et la sincérité du scrutin, exigences de nature constitutionnelle.
Leur méconnaissance est sanctionnée par le juge électoral, qui peut annuler un scrutin en cas de manœuvres avérées et de faible écart de voix63, ainsi que par le juge pénal64.
La tenue de réunions publiques par les titulaires de mandats en période de campagne65 ou l’émission de bulletins ou courriers à destination des électeurs fait, ainsi, l’objet d’une vigilance particulière.
Pour apprécier si une communication revêt un caractère électoral, devant, par conséquent, donner lieu à un enregistrement des dépenses afférentes dans les comptes de campagne, et à un contrôle de l’existence de manœuvres, le juge de l’élection procède à une série de vérifications. Il apprécie la nature de cette expression, si elle a pour objet, dans son contexte, par son contenu et au regard des dates choisies, par sa fréquence, d’influencer les électeurs, si elle est, au regard de l’écart de voix entre les candidats, de nature à influencer le scrutin, et si elle a donné lieu à une mobilisation des moyens publics en dehors des périodes de congés.
Une réunion n’est pas regardée comme revêtant un caractère électoral si elle présente un caractère récurrent, s’inscrit dans une tradition ininterrompue ou dans le fonctionnement normal des services. De même, il n’est pas interdit de distribuer des documents informatifs, publiés selon une périodicité habituelle, rédigés en des termes mesurés et neutres, ne faisant pas allusion à l’élection ; ils ne revêtent pas le caractère de propagande électorale66. S’ils ne réunissent pas ces conditions, les dépenses afférentes doivent être enregistrées dans les comptes de campagne.
La communication en cause est, par ailleurs, susceptible d’être regardée comme une manœuvre si elle a exercé une influence sur les électeurs, en présence d’un faible écart de voix.
63 Des opérations électorales ont ainsi été annulées en raison de ce que les candidats avaient diffusé des documents électoraux financés en partie par une association intermédiaire agréée par l’Etat, et avaient utilisé les locaux de cette association pour les besoins de leur campagne (CE, sect., 10 juin 1996, Elections cantonales de Toulon, n° 162481, rec ; 18 avril 1996, Elections municipales de Marchiennes, n° 174098, aux Tables). Toutefois, la seule perception d’un avantage n’entraîne pas nécessairement le rejet du compte de campagne, et, partant, l’inéligibilité du candidat, ou l’invalidation des opérations électorales. Le juge électoral apprécie au cas par cas l’ampleur de l’irrégularité et la manière dont elle est susceptible d’avoir porté atteinte à l’égalité entre les candidats (Ass., 18 décembre 1992, Sulzer, n° 135650, Rec. p. 453). Une irrégularité vénielle ne conduit pas à l’annulation, mais seulement à une réformation du compte de campagne (CE, sect., 29 déc. 1995, Elections cantonales de la côte radieuse, n° 162669, Rec. p. 470).
64 Voir les articles L. 215, L. 246, L. 356, L. 377, L. 558-28 du code électoral.
65 Au sens de l’article 52-1 du code électoral, et non uniquement de la campagne dite officielle, beaucoup plus courte, de l’article R. 39 du même code.
66 Voir, par exemple, au sein d’une jurisprudence très nourrie du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, CE, 10 juin 2015, no 387896, aux Tables, qualifiant un bilan partiellement promotionnel à concurrence de 20,5%.
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Un report de la date des scrutins au-delà de mars 2021 conduit, mécaniquement, en pratique, à allonger la période de vigilance des titulaires de mandats candidats à leur réélection en matière de réunions publiques. Un report en juin 2021 allonge ainsi la durée de cette période de six à neuf mois ; un report à l’automne 2021 de six mois à plus d’un an ; à l’automne 2022, de six mois à plus de deux ans.
Si, certes, les dispositions des articles L. 52-1 du code électoral maintiennent la sincérité de la campagne et l’égalité entre les candidats, sur une période décisive avant un scrutin, certaines personnalités politiques consultées ont estimé que leur application prolongée, sur une période d’un an à plus de deux ans, serait susceptible d’aboutir à un excès inverse.
Certes, le juge de l’élection apprécierait également l’éloignement plus ou moins grand de la date des scrutins, mais une certaine insécurité juridique demeurerait. Le Conseil constitutionnel a toutefois observé, dans son bilan des élections législatives de 2017, que les frontières entre bilan de mandat et communication politique étaient parfois ténues67.
Les deux suggestions émises pour remédier à ces difficultés ont été étudiées.
Valider rétroactivement des communications ou dépenses à caractère électoral68 serait délicat au regard du principe d’égalité entre les candidats.
Une autre proposition, similaire, consisterait à distinguer trois périodes : une première phase de restriction de la communication politique, du 1er septembre 2020 à l’entrée en vigueur d’une loi reportant les scrutins et aménageant les effets de ce report, une deuxième phase, allant de cette date au 1er avril, pendant laquelle ne s’appliqueraient pas les dispositions des articles L. 48-1, L. 50-1, L. 52-1, L. 52-8, puis une troisième et dernière phase de trois mois avant les scrutins, pendant laquelle les interdictions résultant de ces mêmes dispositions redeviendraient applicables. Elle soulève la même objection.
Ces difficultés politiques seraient en tout état de cause résolues si un report des élections était opéré au mois de juin 2021, sans nouveau report à une échéance ultérieure. Aucune recommandation particulière n’a donc été, in fine, émise sur ces questions.
67 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-28 ELEC du 21 février 2019, Observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017, p. 9.
68 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-709 DC précitée, cons. 34.
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3.1.3.3 Format de la propagande électorale
Sur la question, plus circonscrite, des documents diffusés par les commissions de propagande électorale, quelques personnalités politiques ont fait valoir la nécessité de doubler le volume maximal des « professions de foi », afin de mieux éclairer des électeurs largement privés de l’information par voie de démarchage et distribution de tracts sur la voie publique.
Cette suggestion a été retenue parmi les recommandations, étant rappelé que ces questions relèvent du pouvoir réglementaire69. Il reviendra au Gouvernement d’en évaluer le coût pour les finances publiques et l’impact environnemental. Sur le premier point, le ministère de l’Intérieur a estimé que le coût serait de l’ordre de 50 à 100 millions d’euros et pourrait aboutir à majorer de 48% le coût global de l’organisation des élections70.
3.1.4. L’expression par voie audiovisuelle
Plusieurs partis politiques ont formulé le souhait, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, voire de manière plus pérenne, que soit développé le temps d’antenne consacré aux élections régionales.
Trois voies peuvent être explorées dans cette perspective.
La première viserait à d’élargir le champ d’application géographique des dispositions législatives propres à la Corse, la Guyane et la Martinique71, mettant à la disposition de l’ensemble des partis politiques les antennes du service public de télévision pour une durée de trois heures (le même dispositif étant prévu pour la radio). La réalisation des documents audiovisuels est prise en charge par l’Etat72. Il reviendra au Parlement d’évaluer le rapport entre les bénéfices, pour l’information des électeurs, d’une telle réforme, et son coût pour les finances publiques et les éditeurs de services concernés.
69 Voir l’article R. 29 du code électoral.
70 Le surcoût serait de 46,1 millions d’euros pour les élections départementales, et de 52,4 millions d’euros pour les élections régionales
71 Voir les articles L. 375 (Corse) et L. 558-25 (Guyane et Martinique) du code électoral. Une égale répartition du temps de parole est prévue entre les candidats. Des dispositions spécifiques sont également prévues pour l’élection au conseil départemental de Mayotte (article L. 462).
72 Leur coût pour France Télévisions est, selon le CSA, pour les quatre collectivités, de l’ordre de 1,6 million d’euros hors taxes. Cette prise en charge est prévue par l’article 47 du cahier des charges de France Télévisions et l’article 14 du cahier des missions et des charges de Radio France
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La deuxième s’inspirerait des dispositions des II à V de l’article L. 167-1 du code électoral et des III et V de l’article 19 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, applicables, respectivement, aux élections législatives et européennes, pour les étendre aux élections régionales et aux antennes régionales d’une société nationale de programme. Il s’agirait d’une réforme de grande ampleur.
Elle impliquerait notamment de déterminer par la même occasion si s’applique une règle d’égalité ou d’équité du temps de parole, et dans quelle mesure ces règles seraient ou non susceptibles de freiner l’émergence de nouvelles formations politiques ou l’expression de candidats ne se prévalant de l’appartenance d’aucune formation politique mais contribuant à la vie démocratique locale73. Pour autant, des règles de prévention des abus seraient nécessaires, afin de prévenir la constitution de candidatures dans le seul but d’avoir accès aux antennes. Une telle réforme, regardée comme complexe par le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, entendu par la mission, supposerait une concertation préalable avec les éditeurs concernés qui dépassait le cadre de la mission.
Une troisième voie consisterait à inviter les éditeurs de services audiovisuels disposant d’antennes locales à organiser des émissions politiques consacrées aux élections régionales74 lorsqu’ils sont liés par une convention avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel, chargé, en application des dispositions du troisième alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent.
Aucune recommandation n’est émise dans un sens particulier, le Gouvernement et le Parlement disposant à cet égard d’une large marge d’appréciation.
En toute hypothèse, il est rappelé qu’en l’état du droit, la communication audiovisuelle sur les élections régionales est libre75, sous réserve des dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral76 qui prohibent le recours à des moyens publics77 en faveur d’un candidat déterminé, de celles de l’article L. 52-1 qui interdisent le publicité commerciale, des dispositions relatives à la manipulation de l’information78, et, enfin, du respect, par les éditeurs de services liés par une convention, d’un accès équitable des candidats aux antennes et du respect du pluralisme
73 Voir notamment, Conseil constitutionnel, Décision n° 2017-651 QPC du 31 mai 2017, Association En marche ! [Durée des émissions de la campagne électorale en vue des élections législatives]
74 Une telle mesure ne relève pas de la loi, ni même du décret. En effet, les cahiers des charges fixent des objectifs de manière relativement large et souple en ce qui concerne le pluralisme politique et l’information sur les enjeux électoraux
75 Conseil constitutionnel, 5 juillet 1978, décision n° 78-839 AN, Martinique 1ere
76CE, sect. 7 mai 1993, Elections régionales de La Réunion, n°s 135815, 135926, 135927, 135928, 135951, au Recueil.
77 Par exemple dans le cas d’une radio municipale, financée par des fonds publics communaux, l’appui ouvert donné par celle-ci à la liste formée pour l’essentiel des membres de l’ancien conseil municipal porte atteinte à la sincérité du scrutin et justifie l’annulation de l’élection, compte tenu du faible écart de voix séparant les candidats (CE, 25 juin 1984, Élections municipales de Cosne-sur-Loire).
78 Lois n°s 2018-1201 et 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information
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politique, sous le contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)79. Néanmoins, les éditeurs de services audiovisuels publics ne doivent pas désavantager gravement un candidat à la veille de l’échéance80.
Les éditeurs privés ayant conclu une convention avec le CSA sont, pour leur part, tenus de rester dans les limites de la polémique électorale, de respecter le droit de réponse et la règle du traitement équitable81.
Le CSA adoptera une recommandation en ce sens pour les scrutins à venir, sur le fondement des articles 13, 15 et 16 de la loi du 30 septembre 1986, en demandant aux éditeurs de décompter les temps de parole des listes de candidats, des partis et groupements politiques et de leurs soutiens relevés dans leurs programmes. Il fixera, à cette occasion, le délai de décompte, généralement de six semaines avant la date du scrutin.
Si l’équité n’est pas respectée, le coût des émissions ayant le caractère de propagande politique en faveur d’un candidat doit être intégré dans le compte de campagne. En outre, le juge de l’élection, en cas de faible écart de voix, contrôle l’existence de manœuvres susceptibles de justifier l’annulation des opérations82.
3.2. Les modalités d’organisation des scrutins
Les modalités du scrutin elles-mêmes doivent faire l’objet d’une attention particulière pour assurer leur bonne organisation, dans le respect des exigences sanitaires.
La tenue concomitante, le cas échéant, de deux scrutins (3.2.1.) constituera une lourde charge pour les communes, en particulier dans le cadre d’un strict protocole sanitaire qui devra, naturellement, être reconduit pour assurer la protection des membres du bureau de vote, des agents mobilisés et des électeurs qui se rendent à l’isoloir83.
79 Voir notamment la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale
80 Conseil constitutionnel, 3 décembre 1981, décision n° 81-955, AN Seine-et-Marne 4ème ; 6 février 1998, décision n° 97-2230, AN Yvelines 11ème
81 Voir, notamment CE, 15 février 2002, Elections de l’assemblée de Polynésie française, n°s 233945 234131, Rec. p. 40
82 En apportant, par des émissions diffusées chaque jour pendant toute la durée de la campagne électorale, un soutien massif et exclusif à une liste, une radio locale a méconnu les obligations qui s’imposaient à elle en application d’une recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel et, par le ton et le contenu de certaines de ces émissions, les limites de la polémique électorale ont été dépassées. Ces irrégularités, ainsi que la transgression de l’interdiction édictée par l’article L. 52-1 du code électoral, ont été de nature, compte tenu de l’audience de cette radio locale et du faible écart de voix, à altérer la sincérité du scrutin (CE, sect., 7 mai 1993, Élections régionales de la Réunion, no 135815, Rec. p. 146).
83Voir, notamment les décrets n° 2020-742 et 2020-743 des 17 juin 2020 prévoyant, respectivement, des dispositions spécifiques en vue du second tour du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon prévu le 28 juin 2020 et
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Les espaces devront être aménagés au mieux (3.2.2.). Il conviendra enfin de veiller à la bonne inscription des électeurs au bénéfice d’un éventuel report des scrutins (3.2.3.).
D’autres dispositions, notamment législatives, seront nécessaires pour encourager, autant que possible, la participation. L’abstention a des sources multiples, anciennes et structurelles. Elle est traditionnellement élevée dans les scrutins locaux. Ce rapport n’est pas le lieu pour l’analyser. Mais au moins faut-il éviter que des motifs supplémentaires, directement liés au contexte de la pandémie de Covid-19, ne s’y surajoutent. Une réflexion a donc été menée sur le vote par procuration, le vote par correspondance et le vote électronique (3.2.4).
3.2.1. La concomitance des élections régionales et départementales
Les personnalités politiques consultées ont émis des avis nuancés sur la question de la concomitance des élections régionales et départementales.
Une partie d’entre elles s’est essentiellement inquiétée des contraintes matérielles pesant sur les communes. Interrogée sur ce point, l’Association des maires de France (AMF) a indiqué que, si le découplage des scrutins avait fait l’objet de débats, une préférence s’était dégagée pour la concomitance des scrutins compte tenu, d’une part, de la difficulté de recrutement des assesseurs et scrutateurs, d’autre part, des difficultés déjà mentionnées d’organiser un des scrutins à l’automne 2021, et de déterminer lequel des deux se tiendrait en premier. L’AMF a in fine considéré qu’organiser successivement des scrutins en juin et septembre 2021 serait plus complexe que de les organiser en une seule échéance. Elle ne s’est pas prononcée sur un report éventuel à l’automne 2022. Il a déjà été relevé qu’un report à cette échéance concentrerait encore davantage les scrutins.
D’autres personnalités se sont montrées sceptiques quant à l’intérêt politique et institutionnel de la concomitance des élections régionales et départementales. Celle-ci répond à un vœu du législateur de 2010, réitéré en 2015.
L’examen des motifs d’une nouvelle dissociation, pour des motifs autres que la situation sanitaire, mérite en soi un débat politique qui dépasse l’objet de la mission confiée par le Premier ministre et a vocation à se tenir au Parlement. Il ne s’agit pas seulement des scrutins qui devaient être organisés en mars 2021, mais d’une question plus vaste concernant l’ensemble du calendrier électoral, notamment pour prévenir une trop forte concentration des scrutins à venir en 2027.
adaptant certaines dispositions du code électoral, ainsi que prescrivant les mesures sanitaires exceptionnelles nécessaires pour l’organisation des élections organisées le 28 juin 2020 ; circulaire du 9 mars 2020 du ministre de l’intérieur relative à l’organisation des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 en situation d’épidémie de coronavirus covid-19 ; avis du conseil scientifique Covid-19 des 18 mai 2020 et 26 octobre 2020. Le professeur Lacombe recommande, en outre, de mettre en place des vitres de plexiglas autour des assesseurs le jour des scrutins.
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Les personnalités les plus réservées quant à l’intérêt d’un double scrutin ont néanmoins insisté, au regard d’échéances plus immédiates, sur l’intérêt de ne pas « ajouter du désordre au désordre ».
Elles se sont également interrogées, indépendamment des motifs politiques susceptibles de justifier l’alignement ou la concomitance des scrutins, sur la cohérence, d’un point de vue sanitaire, à multiplier les scrutins plutôt qu’à les regrouper.
Dans l’ensemble, force est de conclure que le découplage des scrutins reportés serait davantage de nature à susciter un vif débat entre formations politiques que le maintien de leur concomitance. Aucune recommandation n’a donc été retenue sur ce point.
3.2.2. L’aménagement et l’emplacement des bureaux de vote
Pour les scrutins régionaux et départementaux, il est d’ores et déjà prévu, en cas de maintien de la concomitance des scrutins, de constituer 70 042 périmètres de bureaux de vote, soit un nombre très proche de celui arrêté pour les élections municipales de mars et juin 2020. Interrogé sur ce point, le bureau des élections du ministère de l’Intérieur estime que l’immense majorité des bureaux de vote sera commune aux scrutins régionaux et départementaux, et séparée en deux parties distinctes, afin d’éviter toute confusion dans l’esprit des électeurs.
A l’occasion du double scrutin des élections municipales et communautaires de mars et juin 2020, le ministère de l’Intérieur avait énoncé, dans une circulaire84, les conditions dans lesquelles une certaine souplesse pouvait être observée dans l’organisation des bureaux de vote (disposition des salles, assesseurs communs lorsque les listes sont communes), dans le respect des garanties constitutionnelles et légales.
Il est vrai que la charge de l’organisation des scrutins régionaux et départementaux sera plus lourde que celle des scrutins municipaux et communautaires car l’espace nécessaire pour le scrutin régional est important compte tenu du nombre élevé de listes, de l’ordre de la douzaine ou de la quinzaine dans chaque région. Pour les mêmes raisons, il sera nécessaire de recruter un nombre plus important d’assesseurs et de scrutateurs85.
84 Ministre de l’Intérieur, 16 janvier 2020, organisation matérielle et déroulement des élections municipales et des élections métropolitaines des 15 et 22 mars 2020, INTA2000663J.
85 En comparaison avec les régionales, le nombre de candidats, en binôme, aux élections départementales, est plus limité.
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Le ministère de l’Intérieur envisage des simplifications, par voie réglementaire, notamment pour le calendrier d’impression, de routage et de distribution des plis de propagande. Il serait souhaitable qu’il réfléchisse, d’ores et déjà, aux dispositions réglementaires complémentaires qui permettraient d’alléger autant que possible la charge des communes et d’éviter les risques contentieux découlant de l’incomplétude des bureaux de vote.
Enfin, l’emplacement des bureaux de vote mérite une réflexion particulière.
Lors des élections municipales de mars 2020, les préfets avaient modifié, dans le cadre de l’application de l’article R. 40 du code électoral, l’emplacement d’un certain nombre de bureaux de vote afin qu’ils soient hébergés dans des lieux plus à même de garantir la sécurité sanitaire des électeurs (présence d’un point d’eau, espaces plus grands pour garantir l’espacement d’un mètre entre les électeurs, etc.).
Des mesures de précaution et d’information des électeurs supplémentaires pourraient être intégrées en fonction de la meilleure connaissance acquise depuis lors sur les modalités de propagation du SAR-CoV-2, ainsi que sur les succès, dans d’autres pays, déjà instruits par une confrontation précédente avec un coronavirus86, dans l’organisation d’importantes échéances électorales en dépit d’un contexte de pandémie.
En outre, une concertation devrait s’engager entre le préfet et les maires pour déterminer si des emplacements supplémentaires de bureaux de vote pourraient être prévus dans les lieux accueillant des personnes vulnérables.
En Allemagne, la section 62 de la Bundeswahlordnung (code électoral fédéral) prévoit l’emplacement de bureaux de vote à proximité notamment des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes. Ces dispositions envisagent même l’établissement de bureaux mobiles.
Cette piste, d’apparence séduisante, a été écartée après réflexion au regard de ses inconvénients. Un bureau mobile ne serait ouvert que pour quelques heures, ce qui serait susceptible de restreindre le droit de vote des personnes qui y seraient inscrites.
Elles ne pourraient se rendre dans un autre bureau en cas d’empêchement ponctuel car une double inscription, dans un bureau de vote traditionnel et dans un bureau de vote classique, serait malaisée à organiser à courte échéance et présenterait des risques d’erreur, voire de fraude. En outre, cela supposerait le déplacement des urnes, qui est, en principe, proscrit pour limiter les risques d’introduction de bulletins.
86 Voir la très intéressante étude concernant la Corée du Sud de l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA) : Antonion Spinelli, Managing Elections under the Covid-19 Pandemic, A Technical Paper 2/2020 (April 2020), téléchargeable sur0)https://www.idea.int/sites/default/files/publications/managing-elections- during-pandemic-republic-korea-crucial-test.pdf.
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L’implantation de bureaux de vote supplémentaires doit être décidée à l’issue d’un bilan coût/bénéfices de solutions alternatives, notamment la facilitation de l’établissement et du recueil des procurations, dans des conditions garantissant la sincérité du scrutin et le secret du vote. La constitution d’un bureau de vote – voire d’un double bureau de vote – suppose en effet de mobiliser des assesseurs et des scrutateurs sur une journée entière. Le bureau des élections du ministère de l’Intérieur préconise, à cet égard, de n’implanter un bureau de vote que si 100 électeurs au moins peuvent y être inscrits.
3.2.3. L’inscription des électeurs
Une formation politique a exprimé, de manière particulièrement marquée, la demande que soit assurée, au bénéfice d’un report éventuel des scrutins, la bonne inscription des électeurs qui se présenteraient après le 31 décembre 2020.
Il conviendra en effet de veiller à ce que les mairies appliquent les dispositions des articles L. 11, L. 17 et L. 18 du code électoral permettant, à un électeur qui présenterait sa demande d’inscription le sixième vendredi précédant le scrutin de participer à ce dernier, sous réserve, bien entendu, qu’il remplisse les conditions légales.
3.2.4. Les procurations, le vote par correspondance et le vote électronique
Le vote personnel et secret de l’électeur, marqué par la solennité du passage à l’isoloir et du dépôt dans l’urne, demeure une référence pour la totalité des personnalités politiques consultées.
Aucune d’entre elles n’a émis le souhait de transposer le modèle suisse, dans lequel 90 % du vote est traditionnellement émis par correspondance, ni même de suivre l’exemple bavarois en cas de pic épidémique ou de confinement. En raison du contexte de la pandémie de Covid-19, le second tour des élections de ce Land s’est tenu exclusivement par correspondance en avril 202087.
87 Voir International Institute for Democracy and Electoral Assistance (IDEA), Rebecca Wagner, Responding to COVID-19 with 100 per cent Postal Voting: Local Elections in Bavaria, Germany, septembre 2020, téléchargeable sur https://www.idea.int/sites/default/files/responding-to-covid-19-with-postal-voting-local-elections-in- bavaria.pdf.
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Le vote par procuration ou, le cas échéant, le vote par correspondance ou par voie électronique sont plutôt regardés, à l’unanimité des personnalités consultées, comme subsidiaires et complémentaires. Il est seulement relevé que l’intérêt de développer ces modes de vote est renforcé par le contexte de la pandémie de Covid-19, particulièrement pour les personnes vulnérables. Les personnalités ayant exprimé le vœu de modifier le code électoral dans cette perspective reconnaissent la nécessité d’en vérifier préalablement la fiabilité.
Il convient de remettre en perspective l’articulation du vote par correspondance et du vote par procuration.
Le vote par correspondance a précédé l’institution du vote par procuration. Mais, à la suite de manœuvres de grande ampleur, la loi n° 75-1329 du 31 décembre 1975 en a interdit la pratique dans le cadre des élections politiques. Il lui a substitué le vote par procuration, qui présente deux avantages ; d’une part, il permet de s’assurer de l’identité tant du mandat que du mandataire, en présence ou sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, d’autre part, en termes politiques et institutionnels, il participe à l’unité des opérations électorales. Si le bulletin est glissé dans l’urne par une autre personne que l’électeur, elle lui reste liée par un lien de confiance personnel et exclusif, et cette autre personne participe au scrutin, en même temps que l’ensemble des autres électeurs.
Certes, les garanties qui s’attachent au vote par procuration, en termes de secret du vote (qui reste absolu sauf à l’égard d’une seule et unique personne, le mandataire) et de sincérité du scrutin s’accompagnent des inconvénients qui en résultent nécessairement.
Ainsi, l’établissement d’une procuration impose une double formalité, relativement lourde, pour le mandat et le mandataire, qui doivent chacun se présenter aux fins de contrôle de leur identité. Une motivation forte et personnelle reste donc nécessaire de la part des deux parties, ce qui limite naturellement le recours à cette forme de vote.
Comment apprécier, en comparaison, la réintroduction du vote anticipé par correspondance, par voie postale ?
Il présente un avantage sur le vote par procuration, qui est de permettre, en particulier à nos concitoyens les plus âgés, de préserver le secret absolu de leur vote.
Toutefois, dans des pays voisins qui le pratiquent, avec des taux plus ou moins élevés des suffrages exprimés (18 % au Royaume-Uni aux dernières élections législatives, 28 % en Allemagne, 90 % en Suisse), la procédure reste complexe.
Il reste nécessaire, pour l’électeur, de demander le matériel de vote, par voie postale, téléphonique ou électronique, d’attendre son acheminement, d’utiliser correctement les trois enveloppes fournies (la première pour contenir le bulletin, la deuxième pour transmettre une
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pièce d’identité ou un autre mécanisme de vérification ou d’authentification de l’identité, tel un QR code, la troisième pour l’acheminement) et de les adresser en temps utile pour que le dépouillement soit effectué par le bureau de vote, généralement en se déplaçant au bureau de poste local. Le circuit administratif comporte de nombreux points de vigilance et reste assez lourd88.
Là où le vote par correspondance, par voie de courrier ou par un dispositif électronique, a été, de manière ponctuelle, réintroduit en France, à partir de 2003 (ordres professionnels, élections professionnelles89 vote aux élections présidentielles et législatives des Français de l’étranger90), de nombreux écueils ont été relevés.
En ce qui concerne les seules élections politiques concernées, celle des députés représentant les Français de l’étranger, le bilan n’est guère favorable. Dans son référé n° S2016-3241 du 24 octobre 2016 sur l’organisation des élections pour les Français établis hors de France91, la Cour des Comptes a recommandé de supprimer le vote par correspondance sous pli fermé après avoir démontré que son coût, à la fois financier et environnemental, était extrêmement élevé pour une participation minime.
Le coût de l’organisation en 2017 du vote par correspondance pour l’élection des députés représentant les Français de l’étranger s’élève à 998 763 euros pour 120 000 électeurs ayant activé l’option du vote par correspondance, et pour au total moins de 30 000 votes par correspondance pris en compte sur l’ensemble des deux tours (18 019 votes par correspondance validés au premier tour, 10 606 au second tour)92. Le ministère de l’Intérieur évalue le coût de son extension à l’ensemble du territoire national à 272 millions d’euros93.
88 Voir le guide de 38 pages : The Electoral Commission, Part D, Absent voting, UK Parliamentary elections in Great Britain : guidance for (Acting) Returning officers, November 2018.
89 Décret n°2017-1811 du 28 décembre 2017 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé et de certains établissements sociaux et médico-sociaux ; décret n°2014-793 du 9 juillet 2014 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique territoriale ; décret n°2011-595 du 26 mai 2011 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du vote électronique par internet pour l’élection des représentants du personnel au sein des instances de représentation du personnel de la fonction publique de l’Etat. 90 Il avait été maintenu à l’étranger pour les élections des Conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Cette modalité a toutefois été supprimée lors de la refonte de la représentation des Français de l’étranger avec la loi du 22 juillet 2013 (élection des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires, voir, sur ce point la décision du Conseil constitutionnel n°2013-673 DC, précitée, cons. 9 à 15). L’ordonnance n° 2009- 936 du 29 juillet 2009 a en revanche autorisé le vote par correspondance sous pli fermé pour l’élection des 11 députés représentant les Français de l’étranger. Cette modalité de vote a été mise en œuvre pour l’élection législative de 2012 et de 2017. Le vote par correspondance sous pli fermé a également été utilisé pour l’élection législative partielle en avril 2018 dans la 5ème circonscription (Espagne, Portugal, Monaco, Andorre).
91 https://www.ccomptes.fr/fr/documents/33968
92 80 % de ces coûts correspondent aux frais de conditionnement, 20 % aux coûts postaux.
93 55 millions d’euros correspondant à la production, à la mise sous pli et à l’acheminement de l’enveloppe de propagande augmentée du matériel de vote, 217 M€ pour celui lié à l’envoi du pli de vote par l’électeur en lettre recommandée avec accusé de réception, afin que l’électeur puisse prouver qu’il a bien adressé ses trois enveloppes aux autorités compétentes. A défaut, aucune contestation ne pourrait être formée.
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Surtout, les suffrages exprimés ne peuvent être entièrement pris en compte. Les sources d’irrégularité de bulletins94 sont en effet multiples (absence de justificatif d’identité, insertion du justificatif d’identité dans l’enveloppe de scrutin au lieu de l’enveloppe d’expédition, absence de concordance entre la signature figurant sur le justificatif d’identité et celle portée sur l’enveloppe d’identification…). Il en résulte un taux élevé de votes ne donnant pas lieu à émargement. Cette situation est source de contestations et de contentieux électoraux.
Ainsi, lors des élections législatives de 2017 des députés représentant les Français de l’étranger, plus de 24 % de bulletins, tant au premier qu’au second tour, n’ont pu faire l’objet d’un émargement. Ce taux élevé de votes non pris en compte et d’irrégularités est l’un des motifs qui a conduit le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n°2017-5052 AN du 2 février 2018, à décider de l’annulation de l’élection législative de 2017 dans la 5ème circonscription législative (Espagne, Portugal, Monaco, Andorre).
En outre, en l’état du droit, les électeurs qui choisissent de voter par correspondance mais dont le vote par correspondance ne sera pas pris en compte du fait d’une erreur de leur part n’en seront pas informés, sauf vérification par un tiers des listes d’émargement le jour du scrutin.
Quant au vote électronique, il suppose d’abord de relever un défi technique. Les risques d’introduction frauduleuse dans les systèmes d’information sont, en effet, largement relevés par des autorités indépendantes.
La délibération de la CNIL du 25 avril 201995 insiste ainsi sur l’importance des niveaux de validation de secret et d’anonymat du vote. Son introduction est rédigée en ces termes : «
Devant l’extension continue du vote par Internet à tous types d’élections, la commission
souhaite rappeler que le vote par correspondance électronique, notamment via Internet, présente des difficultés accrues au regard des principes susmentionnés pour les personnes chargées d’organiser le scrutin et celles chargées d’en vérifier le déroulement, principalement à cause de l’opacité et de la technicité importante des solutions mises en œuvre, ainsi que de la très grande difficulté de s’assurer de l’identité et de la liberté de choix de la personne effectuant les opérations de vote à distance. Au cours des travaux que la commission a menés depuis 2003 et compte tenu des menaces qui pèsent sur ces dispositifs, elle a, en effet, pu constater que les systèmes de vote existants ne fournissaient pas encore toutes les garanties exigées par les textes légaux. Dès lors et en particulier, compte tenu des éléments précités, la commission reste réservée quant à l’utilisation de dispositifs de vote par correspondance électronique,
notamment via Internet, pour des élections politiques ».
94 La modalité de vote par correspondance sous pli fermé est complexe : conformément aux articles R. 176-4-1, 1er alinéa, R. 176-4-2, R. 176-4-3 du code électoral, le bulletin de vote doit être introduit dans une enveloppe de scrutin, elle-même placée dans une enveloppe d’identification qui doit être complétée, cachetée, signée et être accompagnée d’un justificatif d’identité, elle-même adressée dans une enveloppe d’expédition.
95 Délibération n° 2019-053 du 25 avril 2019 portant adoption d’une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote par correspondance électronique, notamment via Internet
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La Commission souligne : « Le niveau de risque que présente le déroulement d’un vote varie en fonction du type de scrutin, des évènements redoutés et des menaces qui pèsent sur le traitement. Ainsi, la commission recommande que la solution utilisée pour le scrutin tienne compte de l’importance du niveau de risque de l’élection ainsi que des éventuels bénéfices pour les parties prenantes de recourir à un système de vote par correspondance électronique et que la solution choisie réponde à tous les objectifs de sécurité fixés au regard de ce niveau de risque. » Enfin, la Commission « déconseille d’utiliser un dispositif de vote par correspondance électronique, notamment via Internet, dans l’hypothèse où les sources de menace peuvent
disposer à la fois de ressources importantes et d’une motivation forte. ».
S’agissant des élections législatives de juin 2017, le système de vote par internet qui avait été développé au bénéfice des Français de l’étranger96 n’a pu être homologué en raison d’une architecture informatique considérée par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) comme insuffisamment robuste, dans un contexte de menaces cybernétiques très élevées. En conséquence, le gouvernement a décidé de ne pas mettre en
œuvre le vote par internet lors de ce scrutin.
Néanmoins, depuis lors, le temps a été mis à profit pour concevoir un système d’information plus fiable. La direction des Français de l’étranger du ministère de l’Europe et des affaires étrangères indique qu’à l’issue d’une phase de conception de plus de dix-huit mois, une plateforme de vote a été testée auprès de 12 000 électeurs volontaires, en juillet puis en novembre 2019. Les résultats de ces tests, les audits de sécurité réalisés sur l’architecture de la solution de vote, menés selon les préconisations de l’ANSSI, ont permis d’obtenir une homologation en janvier 2020. Il sera donc possible de disposer d’un retour d‘expérience à l’issue des élections consulaires reportées97. En revanche, la conception d’un système informatique à l’échelle nationale nécessiterait un nouvel appel d’offres et une nouvelle phase
de tests.
Une nuance s’impose toutefois sur le plan politique, en cas de développement à plus grande échelle sur l’ensemble du territoire national. Nombre de personnalités politiques consultées
relèvent que les populations pour lesquelles le vote électronique présenterait le plus d’intérêt, soit les personnes dépendantes, ayant des difficultés à se déplacer, ou qui présentent une vulnérabilité sont précisément celles qui seraient les plus exposées à des pressions de la part de personnes qui les assisteraient dans la manipulation d’un ordinateur personnel ou d’un dispositif de vote à distance. Le secret du vote au sein des familles, des communautés, ou des cercles d’intérêt, constitue, par ailleurs, un acquis précieux qu’il faudrait éviter de fragiliser.
Ainsi, que ce soit pour le vote par correspondance ou le vote électronique, une acclimatation progressive est nécessaire. Si la Bavière a pu aisément basculer, en avril 2020, vers le vote à distance, c’est que sa pratique du vote par correspondance était établie depuis 1957.
96
97 Voir l’ordonnance n° 2020-307 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des mandats de conseillers consulaires et des délégués consulaires et aux modalités d’organisation du scrutin
sur le fondement des dispositions de l’article L. 330-13 du code électoral et de l’article 22 de la loi n° 2013-
659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France
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L’introduction de ces nouvelles formes de vote, en France, en temps de pandémie de Covid-19, dans un délai contraint, et en l’absence d’expérience antérieure ou de solution technologique disponible et fiable à court terme, risquerait, paradoxalement, de leur nuire à long terme.
C’est évidemment le cas pour le vote électronique, qui concentre les difficultés. Il ne pourrait être introduit qu’après une réflexion aboutie sur les conditions de sa sécurisation.
Cette même préoccupation vaut pour le vote par correspondance par voie postale, même s’il semble techniquement plus facile à maîtriser à plus bref délai. En effet, il serait nécessaire que les électeurs se manifestent en temps utile avant le premier tour du scrutin98. Mais c’est sur le second tour que se concentrent les difficultés, car une semaine seulement, en l’état du droit, le sépare du premier. La réception des bulletins par les électeurs, la manipulation des trois enveloppes et leur réception en temps utile par le bureau de vote, en tenant compte des précautions de manipulation qu’impose la crise sanitaire soulèvent des enjeux particuliers en terme de fiabilité d’acheminement, en particulier à une période plus délicate pour la gestion des services postaux.
Elle suppose également une bonne gestion des émargements des électeurs exerçant l’option du vote par correspondance. Il convient de prévenir tout double vote, par correspondance et dans l’isoloir, tout en évitant de priver de son droit de participer au scrutin une personne qui n’aurait pas reçu le matériel de correspondance en temps utile. L’électeur devrait informer le maire de sa commune d’inscription de son choix, qui serait alors enregistré sur le Répertoire électoral unique, géré par l’Institut national de la statistique et des études économiques.
Cela supposerait que ce répertoire soit enrichi, de manière à pouvoir restituer, une mention sur la liste d’émargement, afin que les préfectures puissent adresser le matériel de vote avec la propagande électorale, et que les présidents des bureaux de vote et assesseurs puissent s’assurer de l’absence de double vote le jour du scrutin. La faisabilité technique de cette adaptation dans les délais requis devrait être expertisée.
Il reviendrait en outre au législateur de déterminer si un choix exprimé en faveur du vote par correspondance est irrévocable, ou si l’électeur peut, dans certains cas, se rendre à l’isoloir, par exemple, s’il n’avait pas reçu le matériel de vote par voie postale en temps utile. Selon l’ampleur de la flexibilité consentie, les conséquences sur de délai de communication des résultats de l’élection sont plus ou moins importantes99.
98 Faute de droit d’option, il serait nécessaire d’adresser à chaque électeur 188 millions d’enveloppes et notices, dans le pli de propagande, qui contient déjà circulaires et bulletins de vote. Selon le bureau des élections du ministère de l’Intérieur, le délai de fabrication de ces enveloppes compte tenu des quantités en jeu serait de 3 mois minimum. Ces enveloppes devraient être mises à disposition des préfectures au moins 4 semaines avant le scrutin. Sauf à disposer d’un stock d’enveloppes stratégiques, cela introduirait une forte contrainte opérationnelle dans un processus qui offre peu de souplesse.
99 Si le contrôle des enveloppes d’identification est effectué après la fermeture du bureau de vote, les opérations de dépouillement sont significativement retardées (dispositif en vigueur dans plusieurs Etats fédérés des Etats- Unis). Si le contrôle des enveloppes d’identification est effectué au fil de l’eau, ainsi que l’émargement et le vote, et que l’électeur se présente avant que son enveloppe ne soit contrôlée, il vote à l’urne et son enveloppe sera
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Enfin, se pose la question de l’identité du service devant ouvrir les enveloppes de correspondance pour en extraire les bulletins de vote sous pli. Cette tâche doit – elle revenir au tribunal judiciaire, à la préfecture, ou à la mairie, devant alors les placer dans des urnes et les remettre au président du bureau de vote ? Outre les enjeux de limitation de manipulation de bulletins, cette question comporte également des enjeux logistiques et sanitaires.
Si une décision politique était néanmoins prise en ce sens, en assumant ces risques, pour des opérations électorales susceptibles d’avoir lieu dans quelques mois au cours de l’année 2021, il serait opportun, d’une part, d’envisager de séparer les deux tours de scrutins de deux semaines, et non d’une, et, d’autre part, de vérifier que des solutions techniques suffisamment fiables sont susceptibles d’être proposées par des prestataires dans des délais aussi brefs. Une procédure de pré-négociation serait nécessaire, que ce soit pour le vote par correspondance ou pour le vote électronique. L’engagement de telles discussions, concomitantes ou préalables à une décision politique, dépasse évidemment l’objet de la mission.
Il semble donc plus prudent, à ce stade des réflexions et des éléments transmis par le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, de préconiser de se borner à reconduire, en les précisant, les facilitations d’exercice du vote par procuration prévues par les II et III de l’article 1er de la loi du 22 juin 2020.
Il s’agit, d’une part, d’autoriser, à titre exceptionnel, de confier deux procurations à un seul et même mandataire. Il est rappelé à cet égard que, depuis le 30 juin 2020, date d’entrée en vigueur de l’article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, l’article L. 71 du code électoral prévoit que tout électeur peut, sur sa demande, exercer son droit de vote par procuration. Il n’est donc plus nécessaire d’avancer un motif.
D’autre part, il convient de prendre en compte, en cette période exceptionnelle, les difficultés particulières d’expression sur scrutin.
Il est donc recommandé que les autorités compétentes100se déplacent pour établir ou retirer les procurations de certaines catégories de personnes. Il pourrait s’agit des électeurs qui attestent sur l’honneur qu’en raison de leur état de santé, d’un handicap, de l’assistance qu’elles portent à une personne malade ou dépendante, ou de leur placement en quarantaine, elles ne peuvent se rendre au bureau de vote. Ce droit pourrait également être reconnu aux personnes présentant un facteur de vulnérabilité à la maladie Covid-19101.
annulée. S’il arrive après, l’accès à l’urne lui serait refusé, selon l’exemple retenu pour les personnes détenues en vertu des dispositions de l’article L. 80 du code électoral. Ce dispositif présente néanmoins des risques d’erreur s’il est étendu à 47 millions d’électeurs potentiels.
100Voir le dernier alinéa de l’article R. 72 du code électoral. Il s’agit de personnes agréées par le tribunal judiciaire, agissant sous le contrôle d’un officier de police judiciaire
101Dans le cadre du recours au télétravail. Voir les articles 1er des décrets n° 2020-521 du 5 mai 2020 et 2020- 1365 du 10 novembre 2020 définissant les critères permettant d’identifier les salariés vulnérables présentant un
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Il reviendra à l’autorité administrative d’informer les personnes concernées suffisamment en amont de cette possibilité, de s’assurer qu’un vivier suffisant sera disponible pour répondre à la demande, et de planifier les interventions des agents concernés dans des lieux accueillant du public à proximité du domicile des personnes concernées ainsi que dans les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes.
Il serait également utile qu’un dispositif de suivi et de récolement soit prévu en amont, afin de permettre l’évaluation de la mise en œuvre de ces dispositions102.
Ces propositions de facilitation du vote par procuration recueillent l’unanimité des personnalités politiques consultées.
Quelques personnalités politiques interrogées ont en outre recommandé que ne soient pas présentés à l’agrément du tribunal judiciaire, en tant que délégués des officiers de police judiciaire, les directeurs d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
Conclusion de la troisième partie
Nous recommandons, pour faciliter la conduite de la campagne électorale, certaines dispositions spécifiques, en particulier une majoration du plafond des dépenses électorales prévu par l’article L. 52-11 du code électoral. La CCNFP est par ailleurs invitée à réduire et harmoniser le délai de règlement afférent.
Il pourrait être envisagé, après évaluation de son coût financier et environnemental, envisager d’accroître le format des « professions de foi ».
Il importe par ailleurs que les citoyens perçoivent les bénéfices de l’institution du répertoire électoral unique, qui permet désormais de s’inscrire jusqu’au sixième vendredi précédant le scrutin.
risque de développer une forme grave d’infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre de l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020
102 Aucun bilan n’a pu, pour ces motifs, être communiqué à la mission en ce qui concerne le second tour des élections municipales.
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Le Gouvernement devrait engager une campagne d’information sur les compétences des collectivités régionales et départementales pour la vie quotidienne des Françaises et des Français, mais aussi communiquer sur les modalités mises en œuvre pour faciliter la participation aux scrutins.
Deux aménagements spécifiques sont recommandés. D’une part, chaque mandataire pourrait disposer de deux procurations, de la part de tout électeur. D’autre part, les personnes attestant sur l’honneur soit qu’elles sont vulnérables au Covid-19, soit qu’il leur est impossible de participer au scrutin en raison de leur santé, d’un handicap, ou de l’assistance qu’elles apportent à une personne malade ou invalide, pourraient demander que des officiers de police judiciaire ou leurs délégués se déplacent eux-mêmes pour établir ou retirer leur procuration.
Le vote par correspondance ou par internet ne devrait être mis en œuvre, pour les prochains scrutins, que si les conditions de sa fiabilité technique et matérielle sont suffisantes pour assurer la sincérité du scrutin. Il convient, en outre, de veiller au respect du caractère personnel et secret du vote, en particulier vis-à-vis de communautés.
Enfin, les personnalités consultées se sont exprimées sur la charge matérielle de l’organisation des scrutins, dans plus de 72 000 périmètres de bureaux de vote, ainsi que sur l’intérêt de leur découplage ou de leur concomitance. La mission conclut que le découplage des scrutins reportés serait davantage de nature à susciter un vif débat entre formations politiques que le maintien de leur concomitance. Toutefois, il importe que le ministère de l’Intérieur approfondisse les possibilités de simplifications supplémentaires d’ordre réglementaire.
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Conclusion générale
Un report du renouvellement des conseillers régionaux, départementaux et des assemblées territoriales de Guyane et de Martinique à la fin du mois de juin 2021 serait l’option susceptible de recueillir le soutien politique le plus large. Une telle décision se justifierait par des circonstances exceptionnelles. Elle présenterait des risques contentieux moins élevés qu’un report à l’échéance de l’automne 2022.
La situation de la Guyane nécessiterait toutefois un examen spécifique, afin de vérifier si le calendrier épidémiologique propre au territoire de cette collectivité, éloignée de la métropole, constitue une différence de situation objective susceptible de justifier un traitement différent, par exemple en maintenant les scrutins au mois de mars 2021.
La campagne électorale qui précède ces scrutins devrait naturellement se tenir dans le cadre d’un protocole sanitaire adéquat (maîtrise de la densité des personnes réunies dans un même lieu, ventilé et aéré, port du masque et usage du gel hydro-alcoolique, utilisation, autant que possible des canaux dématérialisés de propagande).
Le Parlement resterait informé de l’évolution de la situation sanitaire, entre la fin de l’état d’urgence sanitaire et la date des scrutins, selon un mécanisme inspiré des dispositions du II de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020. Il devrait recevoir103 à cet effet un rapport du Conseil scientifique Covid-19, avant la date fixée pour les scrutins. Ce dispositif n’aurait toutefois pas le caractère d’une « clause de revoyure automatique ».
Nous recommandons, pour faciliter la conduite de la campagne électorale, certaines dispositions spécifiques en particulier une majoration du plafond des dépenses de propagande prévu par l’article L. 52-11 de ce code. La CCNFP est par ailleurs invitée à réduire et harmoniser le délai de paiement afférents après validation des comptes de campagne.
Le pouvoir réglementaire pourrait en outre, après l’évaluation de son coût financier et environnemental, envisager d’accroître le format des « professions de foi ».
Il importe par ailleurs que les citoyens perçoivent les bénéfices de l’institution du répertoire électoral unique, qui permet désormais de s’inscrire jusqu’au sixième vendredi précédant le scrutin.
103 Dans sa version issue de la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, soumise au contrôle du Conseil constitutionnel, l’avant-dernière phrase de l’article L. 3131-19 du code de la santé publique sera ainsi rédigée : « Dès leur adoption, ces avis sont communiqués simultanément au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat par le président du comité. Ils sont rendus publics sans délai. »
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En ce qui concerne le scrutin lui-même, deux aménagements spécifiques sont recommandés. D’une part, chaque mandataire pourrait disposer de deux procurations, de la part de tout électeur. D’autre part, les personnes attestant sur l’honneur soit qu’elles sont vulnérables au Covid-19, soit qu’il leur est impossible de participer au scrutin en raison de leur santé, d’un handicap, ou de l’assistance qu’elles apportent à une personne malade ou infirme, pourraient demander que des officiers de police judiciaire ou leurs délégués se déplacent eux-mêmes pour établir ou retirer leur procuration.
Le vote par correspondance ou par internet ne devrait être mis en œuvre, pour les prochains scrutins, que si les conditions de sa fiabilité technique et matérielle sont suffisantes pour assurer la sincérité du scrutin. Il convient, en outre, de veiller au respect du caractère personnel et secret du vote, en particulier vis-à-vis des communautés ou des cercles d’intérêt.
En outre, les personnalités consultées se sont exprimées sur la charge matérielle de l’organisation des scrutins, dans plus de 72 000 périmètres de bureaux de vote, ainsi que sur l’intérêt de leur découplage ou de leur concomitance. La mission conclut que le découplage des scrutins reportés serait davantage de nature à susciter un vif débat entre formations politiques que le maintien de leur concomitance. Toutefois, il importe que le ministère de l’Intérieur approfondisse les possibilités de simplifications supplémentaires d’ordre réglementaire.
La mission invite, enfin, le Gouvernement à engager une campagne d’information sur les compétences des collectivités régionales et départementales mises en œuvre dans la vie quotidienne des Françaises et des français et les facilités mises en œuvre pour la participation aux scrutins reportés.
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Annexes
1.- Lettre de mission
2.- Liste des personnalités entendues
3. – Fiche relative à la situation épidémiologique en outre-mer (source : Direction générale de la santé)
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Annexe 1 : Lettre de mission
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Annexe 2 : Liste des personnes entendues
I – PARLEMENT
1.1. Présidents
M. Gérard LARCHER M Richard FERRAND
1.2. Présidents des commissions des lois M. Yaël BRAUN-PIVET
M. François-Noël BUFFET
Président du Sénat
Président de l’Assemblée Nationale
Présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée Nationale
Président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat
1.3. Présidents des délégations aux collectivités territoriales et à la décentralisation
M. Jean-René CAZENEUVE Président (Assemblée Nationale) Mme Françoise GATEL Présidente (Sénat)
II – PRESIDENTS DES GROUPES PARLEMENTAIRES 2.1. Assemblée Nationale
M. Damien M. Olivier
M. Christophe M. André
M. Jean-Christophe M. Patrick
M. Bertrand Mme Valérie
ABAD BECHT CASTANER CHASSAIGNE LAGARDE MIGNOLA
PANCHER RABAULT
Groupe Les Républicains
Groupe Agir Ensemble
Groupe La République en Marche
Groupe La Gauche démocrate et républicaine Groupe UDI & Indépendants
Groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés
Groupe Libertés et Territoires
Groupe Socialistes et apparentés
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2.2. Sénat Mme Eliane
M. Guillaume M. Patrick
M. Claude
M. Hervé M. François
M. Jean-Claude M. Bruno
ASSASSI
GONTARD KANNER MALHURET
MARSEILLE PATRIAT
REQUIER RETAILLEAU
Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Ecologiste
Groupe Ecologiste – Solidarité et Territoires Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain Groupe Les Indépendants – République et Territoires
Groupe Union Centriste
Groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants
Groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen
Groupe Les Républicains
Secrétaire général du Mouvement Démocrate Secrétaire national d’Europe Ecologie – Les Verts Déléguée nationale chargée des élections,
La France insoumise
Porte-parole du Parti communiste français Premier secrétaire du Parti Socialiste Président de l’Alliance Centriste
Délégué général de La République En Marche Président des Républicains
Président du Parti Radical de Gauche Présidente du Rassemblement National Porte-parole de Génération.s
Président des Centristes
Coordinateur de La France insoumise
Trésorier de Génération.s
Secrétaire nationale adjointe
d’Europe Ecologie – Les Verts
Président de Agir, la Droite constructive Secrétaire national du Parti Communiste Français Délégué national chargé des élections,
La France insoumise
Président de l’Association des Régions de France Président de l’Assemblée des Départements
de France
Président de l’Association des Maires de France
III – PARTIS POLITIQUES
M. Jean-Noël M. Julien Mme Martine
M. Ian
M. Olivier M. Philippe M. Stanislas M. Christian M. Guillaume Mme Marine M. Benjamin M. Hervé
M. Adrien
M. Bastien Mme Sandra
M. Franck M. Fabien M. Paul
BARROT BAYOU BILLARD
BROSSAT FAURE FOLLIOT GUERINI JACOB LACROIX
LE PEN LUCAS MORIN QUATENNENS RECHER REGOL
RIESTER ROUSSEL VANNIER
IV – ASSOCIATIONS D’ELUS M. Renaud MUSELIER
M. Dominique BUSSEREAU M. François BAROIN
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V – COLLECTIVITES TERRITORIALES FAISANT L’OBJET DE DISPOSITIONS PARTICULIERES DANS LE CODE ELECTORAL
M. Rodolphe ALEXANDRE M. Alfred MARIE-JEANNE M. Gilles SIMEONI
Président de la Collectivité Territoriale
de Guyane
Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Unique de Martinique
Président du Conseil Exécutif de la Collectivité de Corse
VI – PERSONNALITES SCIENTIFIQUES
M. Eric
M. William
M. Jean-François M. Daniel
M. Arnaud
Mme Karine
M. Jérôme
CAUMES DAB
DELFRAISSY BENAMOUZIG FONTANET LACOMBE SALOMON
Professeur, Chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital la Pitié-Salpêtrière à Paris
Professeur titulaire de la chaire Hygiène et Sécurité du Conservatoire National des Arts et Métiers
Président du Conseil Scientifique Covid-19, immunologue
Membre du Conseil Scientifique Covid-19, sociologue
Membre du Conseil Scientifique Covid-19, épidémiologiste
Professeure, Cheffe du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Antoine à Paris Directeur Général de la Santé au ministère des Solidarités et de la Santé
VII – PERSONNALITES POLITIQUES ENTENDUES A LEUR DEMANDE OU AYANT ADRESSE DES CONTRIBUTIONS ECRITES
M. Gustave
M. Paul
M. Jean-François M. Nicolas
Mme Valérie M. Olivier
M. Jean-Philippe
ALIROL MOLAC GALLIARD LACROIX
PECRESSE RICHEFOU
VACHIA
Président de Régions et Peuples Solidaires Député, Régions et Peuples Solidaires
Président du conseil départemental de l’Aveyron Président du conseil départemental
de la Haute-Marne
Présidente du conseil régional d’Ile-de-France Président du conseil départemental
de la Mayenne
Président de la commission nationale des comptes de campagne et des financements publics
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VIII – AUTORITES ADMINISTRATIVES
M. M.
M.
Roch-Olivier Olivier
François
MAISTRE JACOB
PESNEAU
Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel Secrétaire général adjoint, directeur de la Modernisation et de l’administration territoriale du Ministère de l’Intérieur
Chef de service, adjoint au directeur de la modernisation et de l’administration territoriale du Ministère de l’Intérieur
Mme Corinne
PEREIRA DA SILVA Cheffe du service les Français à l’étranger au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
Mme Pascale PIN Cheffe du Bureau des élections et des études politiques du Ministère de l’Intérieur
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Annexe 3 : Situation épidémique en outre-mer au 10 novembre 2020
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