Publié sur Le Temps.



Une nouvelle forme de paiement, par reconnaissance faciale, a fait son apparition en Chine, où les codes QR ont déjà rendu les pièces et les billets obsolètes. Reportage du Temps à Shenzhen


Le père de famille s’approche du terminal blanc à l’entrée du KFC. Il tapote sur l’écran pour choisir son menu – un thé à bulles et un panier de poulet frit – et clique sur le bouton “Payer”. Son visage, filmé par une caméra située au sommet du moniteur, apparaît alors à l’écran pour être analysé. L’opération dure à peine deux secondes, à l’issue desquelles il confirme le paiement avec son numéro de portable. La commande est payée. Il n’a plus qu’à aller la récupérer au comptoir.

Cette nouvelle forme de paiement, par reconnaissance faciale a fait son apparition en Chine à la fin de 2018. Dans ce pays qui ne compte pas moins de 200 millions de caméras de surveillance, la technologie est déjà utilisée pour repérer des criminels, surveiller l’entrée des campus et même éviter les vols de papier toilette. Au Xinjiang, une province à majorité musulmane de l’ouest du pays, elle a permis la mise en place d’un État de surveillance totale.

La chaîne KFC l’a adoptée pour effectuer des paiements dans certains de ses restaurants, comme celui-ci, situé dans un centre commercial huppé de Shenzhen et qui ressemble davantage à un café design qu’à un fast-food. L’enseigne 7-Eleven l’a également introduite dans plus de 1 000 supérettes. Tout comme les boulangeries WeDomé et les supermarchés CP Lotus.

Les projets pilotes se multiplient

Pour effectuer un paiement, il suffit de lier une photo de son visage à son porte-monnaie virtuel. Lorsqu’on se présente devant l’une des caméras intelligentes équipant les terminaux de paiement, celle-ci analyse la distance entre certains éléments du visage – appelés “points nodaux” – comme les yeux, le front, le menton ou les deux extrémités de la mâchoire pour en tirer une valeur unique à chaque être humain. Cette “signature faciale” est ensuite comparée à celle de la photo préenregistrée. Si les deux correspondent, le paiement est avalisé et le compte débité.

Ces derniers mois, des projets pilotes de paiement par reconnaissance faciale ont également été lancés dans le métro de Shenzhen, de Guangzhou et de Pékin. La barrière électronique qui marque l’entrée de la station Futian, à Shenzhen, est surmontée d’une tablette. Lorsqu’un passager s’approche, son visage apparaît brièvement à l’écran, puis la borne s’ouvre pour le laisser passer. L’opération est fluide, ne nécessitant aucune intervention de la part de l’usager.

Certains hôtels, dont ceux de la chaîne Marriott, ont pour leur part commencé à tester le check-in par reconnaissance faciale. Et plus de 20 000 automates à billets permettent de retirer de l’argent en présentant son visage à une caméra.

Une marge d’erreur quasi inexistante

Le segment est dominé par Alibaba et Tencent, les deux géants chinois de l’Internet. Le premier a commencé à déployer ses terminaux Dragonfly en décembre 2018. Le second a lancé les siens, appelés “Frog Pro”, en août 2019. “Ces deux firmes ont pour avantage de proposer des porte-monnaie virtuels qui sont déjà largement utilisés par la population chinoise pour payer avec des codes QR”, relève Edith Yeung, une experte du secteur de la tech chinoise.

À cela s’ajoute un écosystème de start-up, comme Megvii, SenseTime et Yitu, qui fournissent les logiciels et les algorithmes de reconnaissance faciale. “La technologie a énormément progressé ces dernières années, souligne-t-elle. Elle permet désormais de reconnaître un visage avec une marge d’erreur presque inexistante, ce qui est évidemment crucial lorsqu’on parle de paiements.”

Encore un marché de niche

Mais reste à savoir si la technologie va décoller. Les paiements par code QR ont plus ou moins remplacé l’argent liquide en Chine en l’espace de cinq ans. Il est désormais devenu difficile de payer certains taxis ou cafés en argent comptant, car ils n’ont plus de fonds de caisse.

“Les paiements par reconnaissance faciale vont encore simplifier la tâche des consommateurs, qui n’auront même plus besoin de sortir leur téléphone pour payer leurs courses”, détaille Philip Wiggenraad, un spécialiste du commerce chinois pour le consultant Tofugear. Les commerces pourront de leur côté effectuer des économies de main-d’œuvre s’ils déploient ce nouveau système aux côtés de caisses automatisées, selon lui.

Pour l’heure, les paiements faciaux représentent toutefois un marché de niche. “Moins de 10 % des usagers de WeChat Pay et d’Alipay ont activé le système”, fait remarquer Edith Yeung. Pour observer un paiement par reconnaissance faciale dans le KFC de Shenzhen, il a fallu attendre près d’une heure, car la majorité des clients se servaient des terminaux pour payer avec un code QR.

Scrupules, craintes et résistances

Certains consommateurs craignent que leur signature faciale ne soit hackée et ne serve à effectuer des achats à leur insu ou à les rançonner. Une crainte largement infondée, selon les experts. “Un mot de passe ou un téléphone peuvent être perdus ou volés, pas un visage”, note Philip Wiggenraad. Les caméras de reconnaissance faciale, qui effectuent une analyse en 3D, ne peuvent pas être activées avec une simple photo, précise-t-il.

Dans ce pays habituellement peu effarouché par les atteintes à la vie privée, la reconnaissance faciale commence à faire apparaître des résistances. En novembre, dans le Zhejiang, un professeur d’université a intenté un procès contre un zoo après que ce dernier a introduit un système de reconnaissance faciale à l’entrée du parc. Les données faciales utilisées pour effectuer des paiements sont conservées par Alibaba et Tencent, mais ces firmes ont l’obligation de les fournir au gouvernement en cas de menace contre la sécurité nationale, selon une loi introduite en 2017. “Le risque, c’est de voir l’État les utiliser pour surveiller et traquer des dissidents politiques ou pour faire du profilage ethnique”, pense Adam Ni, un expert de la Chine à l’université Macquarie de Sydney.

Mais le principal obstacle à une adoption à large échelle pourrait être la vanité du consommateur. Un sondage du portail Sina a montré que 60 % des usagers se trouvaient moches sur les terminaux de reconnaissance faciale. Depuis, Alibaba a introduit un filtre de beauté sur les siens

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