Dans un courrier en date du 22 mai dernier (1), adressé aux présidents des organisations agricoles de la Martinique, le Président du Conseil Exécutif de la CTM, Serge Letchimy, annonce « Un plan stratégique pour l’amélioration de l’autonomie alimentaire de la Martinique », voté à l’unanimité par la Collectivité. Dans le viseur de ce plan, cité en objet,  le POSEI, le dispositif d’aides européennes et nationales au secteur agricole pour toutes les RUP. Et par voie de conséquence,  le secteur de la banane, premier producteur agricole de Martinique, est stigmatisé puisque s’agissant d’une aide à la production et à la tonne produite, il est le plus doté. L’Etat semble lui aussi aller dans le sens d’une réforme structurelle du POSEI. Le Président de Banamart,  le  groupement des planteurs de banane de Martinique, Alexis Gouyé, a voulu s’exprimer à ce sujet en nous communiquant un texte (2) écrit justement  en réaction aux prises de position de Gérard Darmanin qui évoquait  début février, des monopoles “insupportables” à propos de la banane et de la canne en tant que monocultures et aussi « en réaction à la totale méconnaissance des hommes politiques concernant les mécanismes du POSEI. »

A ANTILLA, nous avons tenté de comprendre les enjeux cruciaux pour l’agriculture martiniquaise des réformes envisagées qui pourraient bien affaiblir les filières canne et banane. D’autant que la CTM demande la «  territorialisation de la gestion du POSEI », comme c’est déjà le cas pour le fond FEDER, alors que ces aides sont actuellement attribuées directement à chaque exploitant via leurs groupements…On peut alors imaginer les pertes de trésorerie pour le fonctionnement des groupements et des producteurs et aussi les lourdeurs administratives structurelles d’une gestion locale de cette manne de 115M€ dédiée aux agriculteurs martiniquais… 


Avant parution de cet article nous avons tenté de joindre Mr Letchimy pour plus de précisions. Une fois fait, nous y reviendrons…


Serge Letchimy dans l’objet de son courrier écrit, «  Vers une réforme profonde du POSEI pour plus d’équité dans l’accompagnement des filières agricoles »

S’il est vrai qu’une solution doit être trouvée pour «  accompagner davantage les filières de diversification agroécologiques »,  il n’est pas nécessaire d’opposer les gros aux petits producteurs, en laissant penser que les plus gros captent les aides dont les plus petits sont privés. En réalité, la situation est bien plus complexe et c’est aux mécanismes des fonds visés qu’il faut s’intéresser, notamment la RI, Référence Historique des surfaces, sur laquelle est basée la dotation du POSEI pour chaque producteur,  sans pour autant mettre en péril les structurations déjà en présence qui ont su travailler sur l’ingénierie de leur fonctionnement. (Voir Encadrés)


TÉLÉCHARGEZ ICI LE COURRIER DE SERGE LETCHIMY


Voici ce que dit à ce sujet Alexis Gouyé :

« Pour Serge Letchimy, l’agriculture martiniquaise ne se développe pas parce que la banane capte toutes les aides. Mais c’est faux, le reste ne se développe pas parce que le secteur n’est pas structuré, pas organisé. Le POSEI est une aide à la production, donc au plus on produit, au plus on perçoit d’aide, ce qui est le cas de la banane qui est une filière structurée, organisée qui sait commercialiser son produit. Pour une tonne de banane produite, un planteur perçoit 404,36€ mais c’est pareil pour les autres productions. La banane produit beaucoup et emploie beaucoup, parce qu’elle est organisée. Les Guadeloupéens n’ont aucune opposition de la part de leur collectivité, similaire à celle que nous subissons ici. La CTM mène une véritable croisade pour récupérer la gestion du POSEI  afin d’en faire un outil qu’elle gérerait à sa convenance !

Si c’était le cas il deviendrait assurément un outil d’opportunité politique et éloignerait davantage la filière des centres de décisions que sont Paris et Bruxelles et il serait géré comme le sont déjà les autres fonds européens.

Quant au FEDER, depuis que ce fond est géré  par la CTM nous ne cessons de demander une simplification de l’accès à ces aides pour tous. Un responsable des affaires agricoles à la CTM a affirmé qu’il préférerait voir repartir les fonds du FEDER plutôt que de les attribuer à la banane ! Mais il a oublié les petits producteurs de banane qui en ont besoin et qui sont majoritaires! Voilà où nous en sommes ! »

Alexis Gouyé, Président de Banamart,  le  groupement des planteurs de banane de Martinique

TÉLÉCHARGEZ ICI LE TEXTE D’ALEXIS GOUYÉ


Une culture « essentielle pour l’économie locale »

La filière banane, souvent critiquée pour son impact environnemental et sa domination sur l’agriculture martiniquaise, a beaucoup évolué  ces dernières années en matière environnementale et sociale et s’oriente résolument vers l’agroécologie pour en faire « la banane  la plus propre du monde ». Elle est cependant en grande difficulté. Elle a perdu ses dernières années, la moitié de ses planteurs en raison de l’instabilité de la production (maladies et aléas climatiques), augmentation des charges, ainsi que des règlementations phytosanitaires européennes drastiques auxquelles elle  est soumise face à une concurrence mondiale qui elle ne l’est pas. Mais grâce à la structuration et à l’organisation de ses groupements en Martinique comme en Guadeloupe réunis au sein de l’entité UGPBAN, elle demeure le premier employeur du secteur agricole et surtout le premier exportateur, ce qui garantit à la Martinique et à la Guadeloupe, un prix du fret stable et abordable pour les importations.  Aujourd’hui 40% de ses producteurs se sont engagés dans la diversification des cultures pour répondre aux besoins d’autonomie alimentaire en situation insulaire. Elle compte 307 exploitations dont la majorité sont les « petits planteurs ».

Dédiaboliser la banane et aller vers un modèle agricole local serein et efficace

Le témoignage d’Alain Viviès, producteur de bananes et de fruits, dans le dernier hors série spécial banane d’Antilla, nous éclaire davantage :  « Nous sommes dans une conjoncture très compliquée. Le métier est devenu très difficile et les aides n’ont pas augmenté. Le régime d’aide a été négocié en 2007 à Bruxelles au moment où il y a eu le regroupement Guadeloupe Martinique, c’est le gouvernement français pour des raisons pratiques de distribution qui a décidé de faire transiter et distribuer les aides par le POSEI, structure qui existait déjà, et dont la collectivité territoriale souhaiterait avoir la gestion.

Mais aujourd’hui, nous produisons moins à cause de la cercosporiose avec une baisse de rendement de 20 à 30% ; des charges qui, comme partout dans le monde augmentent, des charges de personnel aussi. Et on entend dire depuis quelques mois que notre aide serait remise en cause par la volonté de la CTM. Là, il y a un trouble dans la tête des planteurs. Il y avait 660 exploitations il y a 20 ans on est 330 aujourd’hui, on n’arrête pas de perdre des planteurs parce que beaucoup ne s’en sortent pas malgré les aides. Et aujourd’hui, comment peut-on penser à réduire ces aides, qui n’ont jamais été augmentées. On en a d’autant plus besoin qu’on est en baisse de production à cause de la disparition des produits phyto, ces aides sont indispensables.

Elles représentent 40% de la recette globale du planteur, il est impensable de pouvoir s’en passer. On dit que la banane a beaucoup d’aide, c’est vrai en raison du volume puisqu’on produit plus de 200 000 tonnes de banane mais la tomate, la laitue, la prune de Cythère, ont les mêmes aides. Je touche le même prix pour la prune que pour la banane à la tonne ! Toutes les productions européennes sont aidées à la tonne de production, il suffit d’aller voir les barèmes. La banane n’est pas plus favorisée à la tonne produite, mais notre structure de production de banane est efficace et sur un petit bout de territoire de 6500 hectares, nous arrivons à produire 200 à 250 000 tonnes avec la Guadeloupe, malgré la baisse de rendement. Donc évidemment, ça fait beaucoup d’aide donnée en volume aux producteurs de banane mais si on produisait 200 000 tonnes de prune de Cythère on nous en donnerait tout autant.

En moyenne, un agriculteur selon son type de production touche entre 300€ et 500€ par tonne produite et pour le bio c’est beaucoup plus, on peut monter à 600€ et 800€la tonne. Les aides sont toujours attribuées à la tonne de production. Par exemple, la Martinique produit environ 400 tonnes d’Ananas par an, multipliées par 404€ d’aide à la tonne, ce n’est pas comparable à 200 000 tonnes de banane multipliées par 404€… Les aides ne sont pas plus favorables à la banane qu’à l’ananas, mais aujourd’hui l’ananas est moins produit que la banane à la Martinique, donc touche moins d’aide.

On ne parle pas des mêmes choses : le prix à la tonne produite et la masse d’argent perçu par une culture en fonction du volume produit, mais chaque agriculteur touche la même chose à la tonne produite. C’est simple de démystifier tout cela, il faut retrouver une sérénité, faire les choses et communiquer de façon honnête parce qu’on croit en l’avenir

Je pense que nous sommes l’un des secteurs qui a évolué le plus favorablement vers l’agriculture raisonnée. Nous sommes, sur beaucoup de points, exemplaires par rapport aux autres filières françaises mais il y a un acharnement local contre la banane pour des raisons disons, …..affectives. »

Ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, ou éviter de régler un problème en en créant un autre…

On l’aura compris, si l’objectif des réformes est d’aller vers un modèle agricole positif pour la Martinique de demain et vers une autonomie alimentaire pour répondre aux enjeux climatiques et économiques, il ne sera pas constructif de déstabiliser un modèle qui continue à fonctionner parce qu’il a entrepris depuis longtemps des réformes structurelles en son sein. Le territoire de la Martinique, comme le reste du monde doit certainement opérer une transition fondamentale de son modèle agricole, fort des erreurs passées,  en étant inventif et audacieux au présent.

Nathalie Laulé


Qu’est-ce que le POSEI

Le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) est l’outil de mise à disposition d’aides européennes et nationales au secteur agricole pour toutes les RUP. Il vise globalement à améliorer la compétitivité économique et technique des filières agricoles ultramarines. Il répond à la faible superficie exploitable, au relief et au climat, facteurs structurels handicapants pour le développement des filières agricoles ultramarines. Doté d’une enveloppe annuelle de 320 millions d’euros environ pour la France, le POSEI est alimenté par les crédits du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA pour environ 280 millions d’euros) et par le budget national.

Le POSEI se décline en deux volets :

  • Les mesures en faveur des productions agricoles locales (MFPAL) regroupent les aides aux filières “traditionnelles” (banane, canne/sucre/rhum) ainsi que les aides à la diversification végétale et à l’alimentation animale.
  • Le régime spécifique d’approvisionnement (RSA) consiste en une aide à l’importation d’intrants nécessaires au bon fonctionnement et développement des filières agricoles (engrais par exemple). Ce volet est le corollaire du premier.

Le POSEI comporte également un volet “actions transversales” qui regroupe le financement d’études, de projets de démonstration, de formations et de mesures d’assistance technique.

Le montant de l’aide est déterminé par la RI, la référence historique propre à chaque exploitation, elle donne un droit à produire calculé en fonction de la surface foncière.


La RI est un droit à produire qui a été mis en place lors de la mise en œuvre du POSEI fin 2006.

Il a été calculé sur la moyenne olympique de production de chaque exploitation sur 5 années en soustrayant la meilleure et la moins bonne entre 2001 et 2005.

Le producteur perçoit la somme de 404,57 € de la tonne produite au même titre que toutes les autres productions végétales qui bénéficient également d’un POSEI.


 

 

 

 

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