Samedi 9 juillet 2022, quelqu’un m’a craché au visage.

J’étais installé à la table des signatures, à l’entrée du nouveau magasin Cultura, parmi 13 auteurs antillais, tous talentueux. J’étais venu avec Steve Gadet, co-auteur du « Dialogue Improbable », ouvrage édité chez Caraïbéditions, que nous présentions à deux. Nombreux étaient les visiteurs qui venaient échanger avec nous et qui repartaient avec une double dédicace. Nombreuses étaient les réactions d’étonnement, d’encouragement, de bienveillance. Nombreux étaient les regards curieux, les sourires, les pouces levés.

Ce livre est la retranscription exacte de sept dialogues parmi une vingtaine que Steve et moi avions entrepris loin des regards, loin des micros, à l’ombre d’un amandier sur un terrain vague de Schoelcher. Nos rencontres discrètes se sont déroulées pendant plusieurs mois, chaque mercredi entre chien et loup.

Nous nous sommes rencontrés sans autre intention que de frotter nos idées et nos points de vue. Il n’était question ni pour lui, ni pour moi, de nous convertir mutuellement. Il n’était question ni pour lui, ni pour moi, de nous convaincre. Seul comptait l’esprit de dialogue, dans le respect de nos différences, dans le respect de nos personnes.

Pendant tous ces mois, j’ai eu plaisir à dialoguer avec quelqu’un qui ne partageait pas mes idées, mais qui respectait ma personne. J’ai eu plaisir à échanger avec un homme ouvert et courageux, loin des clichés que je m’en faisais. J’ai eu plaisir à risquer un dialogue improbable qui nous a mené tous les deux sur les chemins de la nuance.

Ce fut pour moi une expérience humaine exceptionnelle, de celles qui vous transforment. De celles qui ébranlent vos certitudes et font tomber vos vieilles représentations.

Steve n’était pas mon ami. La voie normale qu’imposent nos conventions était de ne pas nous parler. Cette voie, si nous l’avions suivie, nous aurait privé d’une part d’humanité. En franchissant la ligne, comme aime à le dire Steve, nous avons pris le risque de l’enrichissement mutuel.

Au terme de ces dialogues, ni Steve, ni moi n’avons rien perdu de nos intégrités. Mais sans doute avons-nous gagné en nuance. Sans doute avons-nous progressé…

Celui qui m’a craché au visage n’a pas eu le courage de Steve.

Il est parti aussi vite qu’il est apparu, probablement par peur du dialogue. Une peur irraisonnée, absurde, mortifère. Une peur qui le maintient esclave de ses vieilles représentations.

Je le plains.

Emmanuel de Reynal

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