Le 4 avril dernier, à la Mutualité de Foyal, le Club Presse Martinique invitait la population à une conférence-débat portant sur une problématique qui nous concerne tous : « Quelle politique de santé à la Martinique ? ».

A la table, la modératrice de la manifestation, Louvinia Valat (journaliste à France-Antilles), Jean-Marie Clovis, président du syndicat des infirmiers libéraux, Denise Marie, la célèbre présidente de l’Association des Consommateurs, Ghislaine Joachim-Arnaud, la non moins célèbre secrétaire générale de la CGTM-Santé, et Christian Ursulet, directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Après quelques mots introductifs du président du Club Presse Martinique, Claude Bourgrainville, les communications pouvaient débuter, devant un auditoire attentif. Nous mettrons le focus sur deux interventions.

Le propos de Ghislaine Joachim-Arnaud consista, pour l’essentiel, en un relevé de problématiques hospitalières, et en sa vision de dispositions récentes. La syndicaliste commença par évoquer les difficultés de certains personnels du CHU de Fort-de-France (contractuels intermittents et permanents, heures supplémentaires « non-payées et récupérées »), puis, pour les usagers, les longues durées d’attente de rendez-vous (« de trois à six mois pour la discipline »). GJA dénonça également les « effets pervers » de la tarification à l’activité : « Depuis de nombreuses années on assiste à cette baisse du prix de l’acte, bien que l’activité, le volume d’actes faits dans les établissements hospitaliers, ne fait qu’augmenter. Le volume des actes faits augmente, et malgré tout les hôpitaux ne deviennent pas riches. » Pour l’intervenante, la loi « Hôpital-Patients-Santé-Territoires » (HPST) n’a pas été conçue pour une meilleure prise en compte des soins des usagers. Pire, selon la syndicaliste « l’essence même de la loi c’est d’aller vers une privatisation de l’hôpital public, vers la casse de l’hôpital public. » Après avoir évoqué l’actuelle « pénurie » en professionnels qualifiés (notamment en infirmières diplômées d’Etat), l’intervenante déclara être favorable à une « mutualisation des moyens », en vue d’une plus grande efficacité à l’endroit de la population. Et Ghislaine Joachim-Arnaud de conclure, sans surprise, en ces termes : « Il n’y a que les travailleurs de la santé et la population laborieuse qui peuvent agir de concert, et forcer les autorités locales et françaises à investir dans le secteur public, avec l’argent de nos impôts. On peut trouver une réponse aux problèmes de la santé. C’est une question et un choix politique. »

L’intervention de Christian Ursulet fut caractérisée, de façon quasi continue, par un ton passionné. Une surprise ? « Je pense que si on veut changer la Martinique, il faut avoir le courage de la regarder en face. Ce qui s’est passé, y compris ces dernières années dans le domaine de la santé, les hôpitaux notamment, nous devons nous remettre tous en cause. » Un propos liminaire qui allait donner le ton… Et l’intervenant de déplorer un manque patent de prévision, d’anticipation, et en premier lieu un retard en matière d’équipements (« 100 places pour faire face à la maladie d’Alzheimer, lorsque la population est déjà autour de 6500 à 8000 personnes »). Et de poursuivre : « …des malades simplement ne pouvaient pas sortir de leurs lits pour aller dans des services, des institutions qui sont nécessaires, qui auraient pu être mises en place […] en calculant comment ils restent un, deux, trois jours de trop dans les établissements hospitaliers, ça fait perdre à la collectivité, à vous à moi, à nos cotisations sociales, 15.6 millions par an. » Outre cette carence dénoncée en termes de projection, l’intervenant stigmatisa certains comportements individuels : « L’absence de travail en réseau. Nous sommes les champions en Martinique pour que chacun travaille dans son coin. Chaque chef de service ne regarde pas celui d’à côté […], parce que celui qui fait de la prévention ne s’occupe pas de celui qui fait des soins… »
Une communication de Christian Ursulet également caractérisée, à dessein, par l’indication de montants conséquents : « En France c’est d’abord les soins libéraux, la médecine de ville, qui coûte le plus cher. En Martinique, ce qui pèse le plus dans le budget de la santé, ce sont les hôpitaux. Précisément parce que toute la population a recours aux hôpitaux, car il manque autour les infrastructures qui sont nécessaires. […] ça coûte à la collectivité publique 1 500 euros ou plus par jour, alors que vous pourriez être mieux pris en charge dans une structure adaptée à votre problème, qui coûterait deux fois, trois fois moins cher… ». Toujours dans ce registre de montants – donnant parfois le tournis –, Christian Ursulet indiqua ceci : « […] Vous savez combien de financement, de cotisations, il manque à la Martinique pour assurer le niveau de fonctionnement du soin et de la santé ? Il manque 624, 57 millions d’euros. […] lorsque vous prenez toutes les cotisations, patronales, ouvrières etc., et que vous prenez toute la dépense de la santé, il manque 624,57 millions d’euros… ». Et la passion de monter alors d’un cran : « Si les hôpitaux ne se battaient pas entre eux, pour qu’un malade reste au Lamentin, en attendant un IRM ailleurs […] ; si nous ne perdions pas 6 millions d’euros […], dans un seul service de l’hôpital du Lamentin ; si nous ne perdions 82.000 euros par jour au CHU, faute d’organisation, de fonctionnement correct… ». La description d’un interminable naufrage ? Mais quelles sont les priorités du dirigeant ? Les personnes âgées (« cette bombe à retardement qui va nous éclater à la figure dans quelques années »), celles en situation de handicap (notamment le « poly-handicap »), la création de « maisons médicales de garde » dans certaines communes (afin de désengorger – enfin – les urgences), etc. Si les projet et la détermination sont affichés, l’état des lieux n’en demeure pas moins inquiétant…

Mike Irasque

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