Les soucoupes volantes sont certes présentes dans la culture populaire depuis des décennies, mais ce qui est en train de se passer est inédit.

Comme l’a écrit Carl Sagan dans son roman Contact (1985), la prise de conscience d’une vie extraterrestre nous rendrait sensible le «pouvoir de la perspective planétaire».

Dans les semaines et les mois à venir, l’expression «phénomène aérospatial non identifié» (PAN) –qui remplace l’ancien terme fortement connoté «ovni»– risque bien d’entrer dans le vocabulaire courant, alors que le Congrès des États-Unis entame une série d’auditions publiques sans précédent sur le sujet.

Les objets volants non identifiés, ou ovnis, occupent une place de choix dans la culture populaire, mais ont longtemps été relégués à la marge par les scientifiques et les médias. Certains groupes croient que le gouvernement et diverses sociétés sont en possession de technologies et de corps extraterrestres depuis juillet 1947 (ou pour certains, même avant), date à laquelle il a été affirmé qu’une soucoupe volante d’origine extraterrestre s’était écrasée dans la petite ville de Roswell, dans le désert du Nouveau-Mexique.

Les ovnis ont de nouveau fait parler d’eux en 2017 lorsque le New York Times a révélé l’existence d’un programme clandestin du Pentagone consacré à l’étude d’«aéronefs qui semblaient se déplacer à très grande vitesse sans signe visible de propulsion, ou qui planaient sans moyen apparent de portance».

Six ans plus tard, deux des journalistes qui ont travaillé sur ce rapport pour le quotidien américain –Leslie Kean et Ralph Blumenthal– publient un article dans le média américain The Debrief, dans lequel David Grusch, ancien responsable du renseignement, affirme que le gouvernement et diverses entreprises aérospatiales possèdent des objets «d’origine exotique (intelligence non humaine, extraterrestre ou d’origine inconnue)», y compris des avions (ou des bateaux, dans certains cas).

De la fiction à la déclassification

Dans une interview accordée à NewsNation, ce vétéran de l’US Air Force a également affirmé qu’ils avaient trouvé les corps des créatures qui pilotaient ces véhicules. Il a déjà témoigné devant le Congrès lors de séances à huis clos, y compris ce mercredi 26 juillet, lors d’une audition publique devant la Chambre des représentants.

Les ovnis sont certes présents dans la culture populaire depuis des décennies, mais ce qui est en train de se passer est inédit. Depuis le rapport initial de Leslie Kean et Ralph Blumenthal, on ne plaisante plus: pas de musique de X-Files ou d’extraits d’Independence Day au journal télévisé. Cette fois, c’est un ancien haut responsable des services de renseignement qui soutient que la plupart des théories conspirationnistes les plus farfelues concernant les ovnis pourraient être teintées de vérité –et le Capitole prend ses déclarations au sérieux.

La volonté d’enquêter sur les PAN fournit un rare exemple de consensus bipartisan à Washington. Le plus étonnant, c’est qu’en juillet, le chef de la majorité sénatoriale démocrate Chuck Schumer (et le sénateur républicain Mike Rounds) a proposé un amendement à la loi d’autorisation de la défense nationale intitulé «loi sur la divulgation des phénomènes anormaux non identifiés de 2023». Cette proposition est soutenue par le sénateur républicain de Floride Marco Rubio et la sénatrice démocrate de New York Kirsten Gillibrand, qui se sont imposés comme des défenseurs de la divulgation d’informations sur les PAN.

L’amendement proposé exige notamment que les administrations et les entreprises privées qui sont en possession de documents (ou d’éléments) relatifs aux PAN les remettent à une commission de neuf personnes nommée par le président Joe Biden, dans le but de les déclassifier ultérieurement. Rappelant l’intérêt pour le sujet de l’ancien chef de la majorité au Sénat, Harry Reid, le sénateur Chuck Schumer a déclaré: «Depuis des décennies, de nombreux Américains sont fascinés par des objets mystérieux et [à la présence] inexpliquée. […] Le public américain a le droit d’en savoir plus sur les technologies d’origine inconnue, les intelligences non humaines et les phénomènes inexplicables.»

Une situation inédite, un territoire pas totalement inconnu

Comme l’a dit l’astronome Carl Sagan, «les affirmations extraordinaires requièrent des preuves extraordinaires». En l’absence de justificatifs, les affirmations de David Grusch demeurent de simples affirmations, point final. Quant à ce que les auditions devant la Chambre des représentants ou l’amendement de Chuck Schumer pourraient révéler, il convient de réserver son jugement.

Il pourrait s’avérer que la vérité sur les ovnis se situe quelque part entre les ballons espions chinois et les extraterrestres voyageant dans le temps. Il se pourrait qu’il n’y ait rien du tout. Mais le fait que le site web du Sénat présente une législation contenant l’expression «intelligence non humaine» interpelle. Nous sommes indéniablement dans une situation inédite –et, à l’évidence, surréelle. Nous ne sommes toutefois pas complètement en territoire inconnu.

Le moment du premier contact entre les humains et les extraterrestres a enflammé les imaginations des auteurs de science-fiction et des réalisateurs de films et de séries (et, bien sûr, des passionnés d’ovnis convaincus que de tels événements se sont déjà produits). Inhérent à la représentation d’une rencontre entre deux cultures ou espèces radicalement différentes, on trouve le sentiment de désorientation générale, d’anxiété collective et de «choc ontologique» (terme inventé par le philosophe et théologien Paul Tillich pour décrire ce qu’il se passe lorsque le sens de la réalité se trouve totalement remis en question chez un individu).

Dans Le Nuage noir, un brillant roman paru en 1957, l’astronome Fred Hoyle envisage la manière dont une vie radicalement différente aurait pu évoluer, en postulant l’existence d’un nuage de gaz interstellaire sensible dont les motivations sont interprétées à tort comme malveillantes jusqu’à ce que les scientifiques parviennent à franchir des barrières à la communication qui semblaient insurmontables. La nouvelle L’Histoire de ta vie (1998) de Ted Chiang, adaptée au cinéma sous le titre Premier contact (2016), met en scène les tentatives d’un linguiste pour traduire le langage d’êtres extraterrestres qui ne partagent ni notre culture ni notre système biologique.

Il y a aussi la scène iconique du film Star Trek: premier contact (1996), dans laquelle l’équipage de l’USS Enterprise, qui voyage dans le temps, assiste au sommet historique réunissant Zefram Cochrane, l’inventeur du moteur à distorsion, et un groupe de Vulcains en 2063. Tous ces récits ont un point commun: la certitude que si nous découvrons l’existence d’une vie extraterrestre intelligente, rien ne sera plus jamais comme avant.

Soyez prêts…

Comme l’a écrit Carl Sagan dans son roman Contact (1985), la prise de conscience d’une vie extraterrestre nous rendrait sensible le «pouvoir de la perspective planétaire». Comme l’astronome l’a affirmé au journaliste Studs Terkel en 1985, cela «déprovincialiserait» l’humanité. En d’autres termes, nous ferions l’expérience d’un choc ontologique.

Ce dernier serait différent d’une simple découverte ou invention; il n’est même pas synonyme de ce que le philosophe Thomas Kuhn appelle «changement de paradigme», qui se produit lorsque le consensus scientifique est modifié par une nouvelle théorie révolutionnaire. Il s’agit plutôt d’une apocalypse –au sens original du mot grec qui signifie «dévoilement», «révélation»–, au cours de laquelle la nature de la réalité se trouve radicalement modifiée.

À la lumière des informations fournies au Debrief et des mesures prises à Washington en faveur de la divulgation d’informations, il paraît raisonnable de dire que nous devrions nous préparer à la possibilité d’une telle expérience.

Source : newsletter quotidienne de Slate.fr

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