Après 42 ans d’engagement et près de 31 ans de responsabilités électives, Serge Letchimy a annoncé qu’il ne se représentera pas à la présidence du Parti Progressiste Martiniquais lors du prochain congrès prévu fin novembre 2023. Il explique ici les raisons de sa décision, discute de l’importance de passer le flambeau à la jeune génération, parle des enseignements de figures influentes de l’histoire du parti, et aborde d’autres sujets tels que la vie politique en Martinique et la chute de la conscience politique.

Pourquoi avez-vous décidé de ne pas vous représenter à la présidence du PPM ?

Après 42 ans d’engagement politique intense et 31 ans à assumer des responsabilités électives de manière continue, je considère que la mission que m’avais confié Aimé Césaire est accomplie. J’ai accepté de porter haut les idées et les combats du PPM : la quête de dignité, la lutte contre l’aliénation, l’exigence d’identité, et la bataille pour une différenciation des politiques publiques, pour plus d’autonomie. Aujourd’hui, je souhaite passer le relais suffisamment tôt pour que la nouvelle génération prenne immédiatement ses responsabilités.

Quels sont les grands acquis de votre mandat selon vous ?

J’estime avoir réussi à maintenir le PPM à un très haut niveau malgré les tempêtes politiques. Il y a eu des divisions en interne mais on a tenu bon. J’ai toujours entretenu de bonnes relations avec mes camarades, même en cas de désaccord, car ce qui compte c’est l’exigence éthique et la fidélité aux valeurs du parti. Ma plus belle réussite est d’avoir accompli ma mission et servi avec loyauté le peuple martiniquais.

…l’indépendance intellectuelle, le sens de la mission et défendre la personnalité collective du peuple martiniquais, son identité, sont pour moi des valeurs essentielles.

Comment envisagez-vous le rôle de la prochaine génération dans la poursuite de l’héritage du parti, et avez-vous des idées sur qui pourrait vous succéder ?

Quand j’ai commencé en politique, c’était déjà un paysage difficile, avec des changements significatifs par rapport à l’époque de Camille Darsières, Pierre Aliker, et Aimé Césaire. La nature de l’activisme a évolué, et la conscience politique a diminué en raison de l’influence des réseaux sociaux et des applications de messagerie instantanée. Cependant, je crois au courage, à la détermination et la loyauté de la jeune génération envers le parti. Leur engagement, même face à l’adversité, est inspirant. Bien que la décision finale soit prise par les élections, je crois qu’il y a de jeunes individus et des moins jeunes qui se présenteront pour diriger et maintenir les valeurs et principes du PPM.

Quels conseils leurs donneriez-vous ?

Je leur dirais de rester extrêmement lucides et courageux. Faire de la politique en 2023 exige énormément de bravoure, entre les attaques et les tempêtes médiatiques. Il faut avoir une vision pour le pays et rester fidèle à nos idéaux d’émancipation, sans changer de cap. Je conseille aussi l’unité : le PPM n’appartient à personne, c’est un patrimoine collectif qu’il faut préserver.

Pouvez-vous éclaircir le processus de transition de pouvoir au sein du parti PPM ?

La structure organisationnelle du parti est bien définie avec un statut et un réglement. Un congrès est organisé tous les trois à quatre ans, durant lequel tous les dirigeants du parti, y compris le président, le secrétaire général et le comité national (composé de 30 membres élus par le congrès), sont choisis. Le congrès actuel est prévu pour les 24 et 25 novembre. À la fin de celui-ci de deux jours, il y aura une première élection pour le président du parti, où de nouveaux candidats se présenteront. En même temps, une liste sera formée pour désigner les membres du comité national et le ou la futur secrétaire général. À la conclusion du congrès, une nouvelle équipe émergera, comprenant le comité national, un secrétaire général et un président élu.

Y a-t-il (avait-il) des garde-fous pour éviter la confusion des genres entre vos fonctions politiques et votre rôle au PPM ?

Nous sommes très vigilants pour maintenir une étanchéité entre mes fonctions à la Collectivité Territoriale de Martinique et mon rôle au PPM. Toutes les dépenses et les recettes sont vérifiées. Je fais très attention à ne rien faire d’illégal.

Pourquoi de moins en moins de personnes souhaitent-elles se présenter à des mandats électoraux selon vous ?

Être élu aujourd’hui expose directement la personne, sa famille et ses biens. On recherche l’individu plus que la fonction qu’il occupe en cas de problème. Cette responsabilité personnelle décourage de nombreuses vocations, d’où la désertion du terrain politique. Selon moi, il faudrait mieux distinguer la responsabilité individuelle de celle de l’institution dans l’exercice d’un mandat.

Quelle est votre analyse de l’évolution de la vie politique en Martinique?

J’observe un affaissement des idées et des valeurs politiques, de la conscience collective. On est davantage dans une politique individualiste, de marchandage. Les réseaux sociaux ont aussi contribué à cet effritement idéologique. Aujourd’hui, presque seuls le PPM et son engagement autonomiste se distinguent vraiment. Il faut restaurer la force des idées, de l’éthique politique. Les élus ne doivent pas seulement gérer le quotidien mais penser un projet de société, avoir une vision.

J’ai appris d’Aimé Césaire, l’autonomie intellectuelle, le sentiment d’avoir une mission et la dimension collective de l’engagement politique. »

Quel regard portez-vous sur votre parcours personnel?

J’ai eu la chance incroyable de côtoyer un des plus grands hommes de la terre, Aimé Césaire. Enfant, je le voyais s’arrêter en voiture pour nous saluer alors que l’on jouaient au foot dans les rues de Trénelle – Citron. J’ai appris de lui l’autonomie intellectuelle, l’autonomie de la pensée, et le sentiment d’avoir une mission à accomplir et la dimension collective de l’engagement politique. Ma vie m’a fait ce magnifique cadeau. J’éprouve aussi beaucoup de reconnaissance envers tous les militants et militantes qui m’ont façonné.

Quel sera votre rôle au sein du PPM désormais?

Je souhaite redevenir un militant de base, malgré l’insistance de certains camarades pour que je garde un rôle honorifique. Je me sens bien ainsi, je ne veux plus de responsabilités exécutives. Je continuerai à être un participant actif comme tout autre membre, comme je l’étais il y a 40 ans. J’ai rempli ma mission comme je l’avais envisagé, et maintenant, je suis content de me mettre de côté et de laisser d’autres prendre la barre.

Je resterai disponible pour donner des conseils, mais je laisserai la nouvelle génération diriger le parti comme elle l’entend. Je ne recherche ni honneurs ni traitement spécial.

Vous avez mentionné l’influence de plusieurs figures éminentes, dont Aliker, Darsières et Césaire. Quelles sont quelques-unes des leçons clés que vous avez apprises d’eux ?

Les enseignements de ces personnes, ainsi que d’autres qui ont soutenu la cause, ont été inestimables. Une leçon profonde que j’ai tirée d’eux est l’importance de l’indépendance intellectuelle et du contrôle de ses propres pensées. Sans autonomie dans son esprit, il est impossible de revendiquer plus de responsabilité et d’autonomie de la part des autres. De plus, j’ai appris l’importance d’avoir une mission pour le pays et de rester engagé envers celle-ci jusqu’à son achèvement. Enfin, l’idée d’une personnalité collective et l’existence d’une communauté qui s’incarne en tant que peuple, et conscient de l’essence même de notre existence au sein d’une caraïbe qui nous est propre, et d’une république unie autour de sa diversité.

Ces enseignements ont façonné ma philosophie politique m’ont appris à ne pas faire de compromis douteux. Il ne faut jamais changer de cap.

Propos recueillis par Philippe PIED

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