David Milome, fer de lance de la culture Hip Hop à la Martinique depuis plus de trente ans, signe avec MD Company, une chorégraphie remarquable, née du choc Covid et du marasme du monde. Le spectacle « Spectre » parle de la relation humaine dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de notre rapport à la mort et à la peur…Un hommage à ceux qui sont partis.

Danseur, chorégraphe et pédagogue, David Milome est le directeur artistique de la première compagnie de danse Hip Hop de Martinique, MD Company, ainsi que le fondateur de l’association Version Hip Hop, qui est à l’origine du Festival International « Caraïp-Hop », l’un des plus connus dans la Caraïbe.

Dans ce nouveau spectacle, présenté au Festival d’Avignon, à la Chapelle du Verbe incarné (T.O.M.A), en juillet dernier, l’artiste a réuni des danseurs aux identités, aux origines et aux pratiques très diverses, qui confèrent à cette création, avec son propos,  une dimension véritablement universaliste. « Les danseurs sont issus de pays différents, Martinique, Togo, Brésil, République Dominicaine, Uruguay, Alsace… de générations différentes. Nous nous sommes rencontrés à travers les voyages de MD Company,  au feeling. Humainement il y a eu un bel échange entre nous. Ils vivent tous actuellement en Martinique et sont salariés de Version Hip Hop, dans le cadre d’une formation professionnelle que nous avons organisé ». Artistes de Breakdance, de Hip-Hop, de danse contemporaine, de danse classique, tous réunis au plateau dans une chorégraphie précise, à l’énergie puissante qui tient le spectateur émotionnellement en haleine de bout en bout…

Un hommage aux disparus

David Milome parle de sa création ainsi, « Je travaille vraiment à l’inspiration, le spectacle est né de manière spontanée. Il évoque le moment qu’on a vécu avec le Covid, mais en fait, on y parle aussi de la mort dans les génocides, les guerres, que traverse l’humanité. On parle des âmes disparues. C’est un spectacle qui parle de la relation humaine, de belles choses de la vie comme l’amour et l’amitié, le lien fraternel mais aussi de la cassure, de la perte. C’est un hommage aux disparus, un moment de prière…Une pause après crise.  On essaie aussi de montrer les réactions de chacun puisqu’on a vu des gens se déchirer pendant la crise, dans les familles, au travail… Les identités très différentes des danseurs montrent le rapport de chacun avec la mort. » Et le spectacle atteint un paroxysme, lorsque les danseurs apportent sur scène des pierres tombales, gravées de petits hiéroglyphes qui sont en fait des figurines de danseurs barrées d’un trait noir, comme des soldats tombés au combat…Un moment particulièrement émouvant pour ceux qui viennent de la Martinique, car il peut évoquer les longues listes des disparus dans chaque commune, à la même époque l’année dernière…

Cette création a vu le jour dans les rues de Fort de France et a continué sa gestation dans une salle de Sainte Luce, où la compagnie s’est établie. Le spectacle a été joué en Martinique au mois d’avril, dans le cadre du festival Caraïp’Hop et alors qu’on l’imaginerait volontiers sur une scène immense ou dans une rue entière, la chorégraphie a été adaptée pour Avignon et un plateau plus petit ! Et rien ni de l’élan, ni de l’énergie des danseurs ne s’en est trouvé entravé, une véritable performance pour une chorégraphie de cette richesse…Aussi, David Milome se réjouit-il « des bons retours du public et des professionnels », avec de fructueux contacts professionnels qui pourraient amener la compagnie sur d’autres grandes scènes…

De l’action culturelle à la transmission

La dynamique positive dégagée par l’association Version Hip Hop,  agit en profondeur sur le terreau de la jeunesse de Martinique, puisqu’elle encadre depuis des années des ateliers autour de la culture Hip-Hop ainsi que la MD Compagnie Junior ! David Milome s’en félicite : «B.Boy Karlito (alias Karl Perrin, l’un des danseurs du spectacle), faisait partie des juniors, je le connais depuis qu’il a 7 ans, au jourd’hui il en a 18 et il est avec nous sur scène. C’est tout un travail de transmission, un travail de fond, on a de jeunes danseurs qui partent et évoluent dans d’autres compagnies. Dans le courant de l’année, on travaille dans les communes avec des ateliers autour de la culture hi- hop. On pourrait tourner avec ce spectacle en commune avec des ateliers en danse contemporaine, classique, hip-hop…»

Et pourtant…« Nul n’est prophète en son pays »

Tant il est vrai qu’il est plus difficile d’obtenir reconnaissance et écoute de la part de ses compatriotes que parfois des étrangers, le travail de MD Company n’est pas reconnu à la hauteur de sa qualité et David Milome, sans langue de bois, en fait le constat, « artistiquement nous concernant c’est malheureux ! On fait des demandes de salle sans résultat, j’ai proposé ce spectacle à un festival de l’île qui ne nous a jamais répondu. J’ai appris ici à Avignon qu’il y avait eu des rencontres professionnelles en Martinique de l’ONDA (1) auxquelles nous n’avons pas été invités, alors que nous travaillons depuis des années. J’ai vraiment le sentiment que quand on veut être indépendant dans son travail, ça ne plaît pas. Mais je ne suis pas artiste pour être manipulé, je fais ce métier pour être libre. Le pays fonctionne beaucoup trop à l’affinité…Beaucoup de martiniquais me demandent quand sera programmé le spectacle en Martinique, je ne le sais pas. Nous sommes une compagnie professionnelle, on travaille beaucoup et quand on joue ailleurs, c’est bien la Martinique que l’on représente. Il ne faut pas nous ignorer au pays et je ne sais pas si on me respecta vraiment en tant que chorégraphe contrairement à d’autres régions du monde… »

Assurément le public et les professionnels avisés du Festival d’Avignon, ne se sont pas trompés sur la qualité et la beauté du travail de la compagnie martiniquaise puisque jusqu’à la fin des représentations, elle aura fait salle comble, ce qui n’est pas si courant à Avignon !

Nathalie Laulé à Avignon

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