Conférence-débat mardi 2 Mars à 18h à l’Hôtel de la Batelière

C’est dans la salle comble de l’auditorium de l’hôtel de la Batelière que le Professeur Aimé Charles-Nicolas ouvrait ce mardi 2 mars 2021 le cycle « Vérité & Conciliation » initié par l’association Tous Créoles.Après une longue introduction du président Gérard Dorwling-Carter sur la nécessité de débattre en vérité sur tous les épisodes de notre histoire, le Professeur Charles-Nicolas est entré dans le vif du sujet. Voici le compte-rendu synthétique de son intervention :

L’esclavage a eu des conséquences considérables, tant sur le psychisme des populations antillaises que sur leur économie et leur société toute entière. Il a noué de nouvelles relations entre les personnes et a notamment creusé le fossé entre noirs et blancs.

L’esclavage a toujours existé de par le monde. Son origine se perd dans la nuit des temps et aucune civilisation n’y a échappé. Mais l’esclavage transatlantique est une singularité du fait de l’ampleur de sa traite et de son approche racialisée. Il a joué un rôle décisif dans la hiérarchisation des individus et le développement du racisme, dont il faut déconstruire aujourd’hui le concept.

Le 19eme siècle a en effet inventé les théories racistes, instaurant notamment les idées de supériorité de la race blanche et du mâle. Ces idées se sont développées en se nourrissant d’apports « scientifiques » et législatifs, et ont abouti à de véritables rapports de haine raciale.

L’abolition n’a pas supprimé l’infériorisation dont les populations noires souffrent encore parfois aujourd’hui.

Pendant le siècle qui a suivi l’abolition, l’esclavage a été « oublié ». Un long et lourd silence s’est installé sur plusieurs générations. A force d’oublier et de refouler, on assiste aujourd’hui à un « retour du refoulé ».

L’esclavage est marqué du sceau de la honte. Et cette honte est destructrice. Elle est le poison de l’âme, car l’estime de soi est ce que les personnes ont de plus précieux. L’humiliation imposée dans les habitations est le fer de lance de l’esclavage. Et elle n’est pas restée sans effet psychologique jusqu’à maintenant. Nombre de noirs d’aujourd’hui auraient intégré cette infériorité qui viendrait justifier certains de leurs comportements…

Exemple : les enfants d’esclaves n’étaient pas élevés, mais « dressés ». Il en résulte souvent une forme sévère d’éducation dans les familles noires contemporaines, bien que les choses aient considérablement évolué. Il n’en demeure pas moins que le niveau de maltraitance des enfants est aujourd’hui particulièrement élevé dans nos populations.

L’esclavage aurait façonné des psychismes spécifiques chez les noirs (infériorité) et chez les blancs (supériorité). Certains chercheurs estiment que les psycho-traumatismes viennent marquer l’adn, et peuvent se transmettre aux générations suivantes par épigénétique. Cette transmission est heureusement réversible, notamment grâce au contexte favorable de vie.

Comment pouvons-nous vaincre ces psycho-traumatismes ?

Par un travail individuel : La réparation ne doit pas venir des autres, mais d’abord de soi. L’esclavage mental qui nous habite ne peut être vaincu que par nous-mêmes. Mais nous devons nous appuyer sur un regard bienveillant des institutions qui nous entourent, ainsi que sur une reconnaissance publique des souffrances.

Par un travail collectif : Les commémorations et les discours officiels sont bénéfiques dès lors qu’ils visent à instruire le regret sur ce qui s’est passé. Il faut encourager ces manifestations. Les célébrations de l’abolition sont nécessaires, mais elles doivent être une fête qui célèbre la page tournée, et non le prétexte à ressasser les souffrances du passé. Il n’y a pas lieu de macérer dans l’esclavage pour s’en sortir. Comme le suggérait Fanon, il ne sert à rien de rester esclave de l’esclavage.

Le Professeur Aimé Charles-Nicolas conclut son propos en lançant un tonitruant : « Foutez la paix à vos ancêtres ! », tout en rappelant que la recherche constante de la vérité est de nature à maîtriser les émotions et vaincre les souffrances.

 

 

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