Toxicomanie, troubles psychiatriques et insertion : les ambitions de l’ATTRAIT

A l’initiative du député européen Max Orville, un colloque intitulé ‘’Les Outre-mer des solutions’’ s’est déroulé la semaine dernière sous nos cieux (alors pluvieux). Un colloque dont l’un des objectifs était d’informer une délégation européenne « sur ce qui se fait déjà dans les Région Ultra-Périphérique (RUP) afin de formuler des propositions concrètes et finançables, sur les thèmes de l’emploi, de la transition écologique, de l’éducation et des addictions. » Concernant cette dernière réalité, ladite délégation a ainsi interrogé Aimé Charles-Nicolas, professeur émérite de psychiatrie et d’addictologie, sur ce qu’il pourrait proposer afin d’améliorer la thérapeutique des consommateurs-trices de drogue(s). Président de l’ATTRAIT*, le Pr Charles-Nicolas leur a donc présenté le projet d’une structure qualifiée d’innovante : une unité thérapeutique expérimentale spécifique de traitement de personnes comorbides et de réinsertion de toxicomanes. Les explications successives d’Aimé Charles-Nicolas et de Max Orville. Entretiens.
Aimé Charles-Nicolas :
« Il s’agit d’une même équipe, doublement compétente, dans un même lieu, et qui mène à son terme le processus de guérison »
Antilla : En quoi consiste ce projet porté par l’ATTRAIT ?
Aimé Charles-Nicolas : Pour rester dans l’intitulé de ce colloque, nous proposons une ‘’solution’’ à des problèmes importants qui impactent la sécurité publique et la vie des familles, c’est-à-dire le problème des comorbides : ces personnes qui ont à la fois une pathologie psychiatrique et des addictions. Et souvent ces comorbides ont découragé les équipes, multiplié les rechutes, etc. Une fois qu’ils ont été traités dans l’hôpital psychiatrique et qu’ils l’ont quitté, ces comorbides rechutent très vite après leur sortie en prenant des drogues ; des prises de drogues qui entraînent des rechutes, des pathologies psychiatriques, des troubles du comportement, des délires etc. Ces personnes sont donc réhospitalisées, puis elles montent en âge : 25, 30, 40 ans… . Notre projet est une unité thérapeutique spécifique pour ces personnes comorbides ; des personnes dont nous savons nous occuper jusqu’au terme de leur prise en charge, c’est-à-dire jusqu’à la réinsertion. Et on a déjà fait l’expérience : de 2017 à 2021 nous avons fait l’expérimentation, sur 25 patients, avec une équipe ayant à la fois les compétences de psychiatrie et d’addictologie. Nous avons également mis en place, dans un même lieu, cette prise en charge intensive, donc si possible tous les jours. Et j’y reviens, nous menons la prise en charge du patient ou de la patiente jusqu’à son terme. Il y a donc quatre critères importants : une même équipe, doublement compétente, dans un même lieu, et qui mène à son terme le processus de guérison, donc jusqu’à ce que la personne ait un travail, qu’elle ait retrouvé sa famille, qu’elle soit insérée ou réinsérée dans la société.
A quelles autorités décisionnaires ce projet sera-t-il soumis ? L’Etat et le Parlement européen ?
C’est d’abord un projet européen, indépendant de l’Etat français. Mais comme c’est un projet expérimental et que nous ne connaissons pas encore la durée de l’expérience, il faudra que l’Etat prenne la suite et assure la pérennisation du projet.
Finalement qu’est-ce qui différencie le projet actuel du projet déjà expérimenté et que vous décrivez comme efficace ? Une demande de davantage de moyens ?
Cette expérimentation, entre 2017 et 2021, a été réalisée avec l’argent de la réserve parlementaire de M. Alfred Marie-Jeanne et avec l’argent de la Fondation Alain et Marie-Thérèse Ho Hio Hen. Cet argent étant fini, nous proposons ce projet qui saisit l’opportunité de cette visite de la délégation européenne, et qui sera, peut-être dans 3-4 ans, repris par l’Etat et l’ARS (Agence Régionale de Santé).
De manière très objective, êtes-vous optimiste quant aux suites données à ce projet de l’ATTRAIT ?
De manière très objective, je pense que ce projet bénéficiera du feu vert du Parlement européen, qui fera un peu pression sur l’Etat. Pour pouvoir mettre en place cette nouvelle structure il nous faut l’autorisation de l’ARS, qui, je suppose, consentira à l’autoriser pendant le temps de l’expérimentation.
Propos recueillis par Mike Irasque
Max Orville :
« Suite à mon ‘’Avis emploi’’, la Commission européenne a donc souhaité s’y atteler et a sollicité des projets-pilotes… »
Antilla : Pouvez-vous rappeler votre engagement dans ce projet ?
Max Orville : Ce projet de l’ATTRAIT fait suite à mon ‘’Avis sur l’emploi dans les outre-mer’’, avis dans lequel je présentais notamment la question des toxicomanies. Cet ‘’Avis emploi’’ a interpellé la Commission européenne car cela représente 83 millions de personnes touchées dans l’Union Européenne (UE) mais pour lesquelles on n’avait pas été suffisamment loin pour combattre cette problématique. J’ai aussi soulevé le fait que dans nos ‘’Région-Ultra-Périphérique’’ (RUP) cela touchait 15 à 20% de nos jeunes, et que c’était donc un facteur-clé de manque d’intégration et d’insertion sociales par le travail. Suite à mon ‘’Avis emploi’’, la Commission européenne a donc souhaité s’y atteler et a sollicité des projets-pilotes, expérimentaux – dont celui de l’ATTRAIT, que j’ai porté et que je défends – mais aussi des projets émanant de toute l’UE sur ces questions.
Vous connaissiez déjà le travail mené par l’ATTRAIT ?
Absolument. Dans une autre vie j’ai été le président de l’ATTRAIT, donc je connaissais cela. Ce projet m’a paru une initiative innovante, donc je l’ai porté en ‘’commission emploi’’ au nom du groupe (Renew Europe, ndr). Et la commission m’ayant donné crédit, ce projet est donc étudié en ce moment et disposerait d’un budget conséquent, de l’ordre de 2,5 millions d’euros. Ce serait donc un projet expérimental, pour voir si nous installons cette unité thérapeutique de soins en Martinique. J’ajoute que ce n’est pas un projet structurel, c’est-à-dire que ce ne sont pas des fonds européens gérés par la CTM mais par la Commission européenne, car cela fait partie de programmes européens dits ‘’horizontaux’’.
Savez-vous combien d’années pourrait ou devrait durer cette expérimentation ?
En général, c’est de l’ordre de 5 ans.
Et si, à l’issue, cette expérimentation est jugée positivement, que se passera-t-il ?
Dans ce cas-là cette unité de soins sera pérennisée. Mais si la Commission européenne valide le projet, avant d’attribuer elle (la Commission) demandera tous les critères pour en bénéficier. Ce projet est une unité de soins thérapeutiques et de réinsertion ; ça veut dire que nous lions cela au travail.
Propos recueillis par Mike Irasque
*ATTRAIT : Association pour la Tolérance, le Traitement, la Réinsertion, l’Aide et l’Information des Toxicomanes et de leurs familles. Crédits photos : Guilhem.
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