Un jeune Afro-Américain tué par deux Blancs, une justice locale accusée d’étouffer l’affaire et des manifestations dans la communauté noire. Peu de choses ont changé aux États-Unis.

Un euphémisme lorsqu’on sait que deux procureur·es en charge de l’affaire se sont tour à tour récusé·es, en raison de potentiels conflits d’intérêts (Gregory McMichael a servi dans la police du Comté de Glynn, et comme enquêteur au bureau du procureur de Brunswick) et que le troisième a fait appel au Georgia bureau of investigation (GBI) pour mener l’enquête.

Euphémisme aussi car les ressemblances avec l’affaire Trayvon Martin sont glaçantes: à chaque fois un jeune Noir attaqué par un Blanc armé qui le suspectait de mauvaises intentions.La culture des arrestations civiles

Le soir du 20 février 2012, Trayvon Martin, lycéen de 17 ans, rend visite à son père dans la résidence de Twin Lakes, en Floride, lorsque George Zimmerman, un gardien, le repère et le suit sous prétexte qu’il le trouve «louche». Une altercation s’ensuit, et Trayvon Martin est tué par balle. Lors de son procès, son assaillant plaide la légitime défense avant d’être acquitté en 2013, provoquant un scandale et des manifestations dans tout le pays. Barack Obama déclare: «J’aurais pu être à sa place il y a trente-cinq ans.»

Sept ans plus tard, Ahmaud Arbery, 25 ans, pratique son jogging dans le quartier aisé de Satilla Shores, en périphérie de Brunswick, lorsque deux hommes armés dans un pick-up blanc l’interceptent sur la route. S’ensuit une brève altercation physique lors de laquelle trois coups de feu sont tirés. Mortellement touché, Ahmaud Arbery s’effondre à terre. Une fois de plus, la légitime défense est invoquée par les assaillants.

Invraisemblable? Pas tant que ça. Pendant des décennies aux États-Unis, la légitime défense impliquait un «devoir de retraite». Mais depuis 2005, et l’adoption progressive des Stand your grounds laws dans vingt-cinq États américains, le concept de légitime défense est devenu très permissif. En vigueur en Floride comme en Géorgie, ces lois autorisent désormais les victimes d’agressions à se défendre quitte à utiliser la force mortelle, sans risquer de condamnation. Depuis l’acquittement de George Zimmerman en 2013, ces lois sont régulièrement accusées de cautionner les violences raciales.

«Les premières forces de police étaient organisées de façon à chasser les esclaves qui s’enfuyaient. Les affaires Trayvon Martin et Ahmaud Arbery n’en sont que des versions modernes.». Mark Brodin, professeur à la faculté de droit de Boston

C’est justement pour cette raison que le premier procureur chargé de l’affaire a choisi de ne pas arrêter les McMichael. Courant avril, un de ses courriers motivant son choix a fuité dans la presse: il s’appuie notamment sur la loi sur les arrestations par des personnes privées: «Si l’infraction est un crime et que le délinquant s’échappe ou tente de s’échapper, une personne privée peut l’arrêter pour des motifs raisonnables et probables de suspicion.» Une suspicion qui coûte chère dans un pays fraîchement sorti de la ségrégation raciale.

Dans une tribune publiée sur le Washington Post, Dana Mulhauser, membre du bureau du procureur de St-Louis, s’est d’ailleurs émue de ces zones grises juridiques «qui autorisent les civils à jouer aux détectives amateurs avec des armes à la main». Interrogé, Page Pate, avocat pénaliste au barreau d’Atlanta confirme: «Cette loi a été conçue uniquement pour permettre aux commerçants de retenir un individu suspecté de vol à l’étalage jusqu’à ce que la police arrive. Surtout pas pour autoriser un individu à commettre une agression.»

Bien qu’étranges du point de vue de la France, les arrestations civiles ont une explication culturelle aux États-Unis. «Les Américains se sont inspirés de la police anglaise qui prend en charge une prérogative appartenant aux citoyens», explique Didier Combeau, politologue spécialiste des États-Unis. D’où l’apparition de zones grises juridiques comme le vigilantisme ou les neighbourhood watch dont faisait partie l’assassin de Trayvon Martin. Dans le cas d’Ahmaud Arbery, la frontière est d’autant plus ténue que Gregory McMichael est un ancien officier de police du comté de Glynn.

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