ESPER, soit l’acronyme pour « les Entreprises et les Services Publics s’Engagent Résolument » : telle est l’appellation du dispositif national porté par la MILDECA, la ‘’Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues Et les Conduites Addictives’’. En Martinique les entreprises composant le Groupe SEEN ont récemment acté la poursuite de leur engagement dans ce dispositif, en signant chacune la ‘’Charte ESPER’’. Explications.

 Plus précisément, il s’agit là d’un dispositif dont l’un des objectifs est de « mobiliser tous les acteurs du milieu professionnel pour la prévention des conduites addictives, qu’elles soient liées à des consommations ou à des comportements » ; un dispositif ESPER se voulant être le synonyme d’une « démarche d’engagement et de responsabilité pour toute organisation employant du personnel. » Routes, communes, entreprises, industries, port, aéroport (etc.) : les 750 salarié.e.s des entreprises filiales* du Groupe SEEN travaillent au quotidien dans la collecte, le transport et la gestion des déchets générés par les activités humaines en Martinique.

Lilian Fanget (MI)
Lilian Fanget (MI)

Pour Lilian Fanget, le directeur général dudit Groupe, « les situations personnelles parfois complexes et les contraintes de la vie professionnelle sont autant de facteurs susceptibles de constituer, chez nos collaborateurs, un terreau fertile à l’émergence de conduites addictives. » Et d’ajouter : « Ce dispositif ESPER, qui nous a été présenté par l’ANACT* en 2023, nous permet d’amplifier notre engagement en valorisant, d’une part, cet enjeu au niveau national et en nous permettant, d’autre part, de bénéficier des outils et retours d’expérience proposés au niveau du réseau des entreprises signataires. » A écouter le dirigeant à propos du Groupe SEEN, « nous avons toujours été dans la sécurité et nous avons des QHSE (Qualité, Hygiène, Sécurité, Environnement) qui nous apportent encore plus ; on a beaucoup de jeunes qui ont envie de faire des choses, donc le Groupe suit. Toutes ces personnes nous aident à continuer dans ce sens. » Toujours selon le directeur général, des consommations d’alcool et de cannabis ont déjà été identifiées chez des collaborateurs du Groupe. « Pour l’alcool on a trouvé des cures et des moyens d’aider les personnes concernées », indique Lilian Fanget, « on a aussi dû sanctionner parfois, mais notre but n’est pas d’arriver à la sanction. On sait très bien que c’est déjà un problème pour ces personnes, dans leurs vies, donc on les aide. Mais si on n’y arrive pas, on ne peut pas laisser quelqu’un conduire s’il est alcoolisé. » Et Lilian Fanget de conclure en ces termes : « Cette convention nous permettra d’augmenter nos possibilités de lutte contre les addictions, de partager nos connaissances et surtout d’avoir d’autres connaissances, que l’ARACT (déclinaison régionale de l’Agence, ndr) va nous apporter. » A suivre.

Mike Irasque

Au fait de la réalité des conduites addictives dans le « monde » de l’entreprise en Martinique, Nicolas Rafald, psychologue du travail et ‘’chargé de mission’’ à l’ARACT, a développé dans le cadre de cette signature – et via une présentation éclairante – les enjeux et objectifs inhérents au dispositif ESPER. Il a répondu à quelques interrogations.


Nicolas Rafald :

« Aujourd’hui il n’y a pas de chiffres qui allient travail, consommation(s) et Martinique » 

Signature de la charte (MI)
Signature de la charte (MI)

Antilla : Une fois que des pratiques et comportements relevant d’une addiction sont clairement identifiés au sein d’une entreprise partenaire, quel processus est alors mis en place ?

Nicolas Rafald : Nous, à l’ARACT, intervenons en prévention primaire, c’est-à-dire en amont que le risque soit généré. Mais dans la réalité des faits on est souvent contactés pour de la prévention tertiaire, c’est-à-dire quand il y a le ‘’feu’’. Et dans ces cas-là on va orienter vers les CSAPA*, qui font partie d’un maillage comme centres de soins qui accueillent individuellement les populations touchées par de fortes consommations et des addictions. A partir du moment où les individus vont dans les CSAPA et sont inscrits dans une entreprise, notre intérêt est qu’on puisse remonter vers cette entreprise pour les accompagner. Un exemple concret : nous avons un cycle de 4 ateliers thématiques, dont le premier concerne la réglementation, tout simplement. Donc l’avantage ce n’est pas tant la thématique mais les personnes qui sont autour de la table et qui peuvent partager leurs pratiques. C’est comme cela que nous fonctionnons, mais on ne peut pas continuer de fonctionner en silos.

En silos ? C’est-à-dire plus précisément ?

Les individus, les entreprises, mais surtout les politiques de prévention publique et de santé doivent être liées, sans oublier la santé environnementale. Mais actuellement on fonctionne en silos : politiques publiques, politique(s) de santé au travail, politique(s) de santé environnementale. Par exemple quand on prend la question de l’addiction au sucre, qui est spécifiquement territoriale, cela amène à se poser des questions sur la santé publique et sur la santé au travail. Et cela prouve qu’il y a un lien, dans un sens ou dans l’autre.

Y-a-t-il des dominantes dans les addictions identifiées chez les personnels des entreprises engagées dans ce dispositif ESPER ?

Le gros problème c’est qu’on n’a pas de chiffres sur le territoire martiniquais. On a beaucoup de chiffres nationaux : par exemple, le pourcentage de fumeurs de tabac en France hexagonale est bien plus élevé qu’en Martinique. Ici on va fonctionner avec de la suspicion : on sait qu’en général les gens consomment de l’alcool et du cannabis par rapport à nos ‘’références’’ à nous, mais on n’a pas de chiffres. Le 14 mars prochain nous aurons d’ailleurs une ‘’table ronde’’ dont le titre est ‘’Travail, consommation de substances et prévention de la santé’’ pour mobiliser un certain nombre d’acteurs. Et au fur et à mesure qu’on mettra en place des actions telles que celle-ci, on pourra essayer de mener une enquête ou une consultation qui permettra d’avoir les tendances. Et en fonction des sexes aussi, les consommations ne sont pas les mêmes. Vous aurez des femmes qui consommeront peut-être plus de médicaments, car c’est plus discret et caché, et des hommes qui eux consommeront plus d’alcool, ce qui est peut-être lié au virilisme : parce que quand on ne consomme pas d’alcool on est parfois vite traité de makoumè, et on peut être alors mis à l’écart d’un groupe. Donc en termes de socialisation, cela a un impact fort pour les hommes. Ce sont des choses que nous savons car nous vivons sur le territoire, mais aujourd’hui il n’y a pas de chiffres qui allient travail, consommation(s) et Martinique. Donc nous essayons de travailler en ce sens, pour que les acteurs puissent mettre cela en place.

Propos recueillis par Mike Irasque

*Ces entreprises sont : CIVIS, E-Compagnie, Evea, Metaldom, Martinique Recyclage, Seen Environnement, CITRADEL et Seen Maintenance. *ANACT : Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail. *CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie.

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