Ce territoire britannique d’outre-mer, dont la terminaison Internet est “.ai”, a récemment commencé à tirer d’énormes revenus grâce à l’essor de l’intelligence artificielle (“AI”, en anglais). Le journal japonais “Asahi Shimbun” a enquêté sur le secret de cette martingale.
Asahi Shimbun
Traduit japonais
Les hôtels 5 étoiles s’y alignent le long de côtes baignées par “les plus belles eaux des Caraïbes”. L’île d’Anguilla, située à environ 2 000 kilomètres au sud-est de Miami [dans le sud-est des États-Unis], attire les touristes en nombre. Peuplée de 15 000 habitants, elle fait à peu près la taille de l’île japonaise d’Izu Oshima [ou l’équivalent de l’île de Ré, soit 85 km2].
Largement dépendante du tourisme, cette destination balnéaire privilégiée des Caraïbes a vu ses ressources financières se tarir pendant la pandémie de Covid-19. Mais récemment, grâce à son nom, ses recettes annuelles ont soudain explosé. Cela a même permis au gouvernement de mettre en place des soins de santé gratuits pour une partie de la population. “C’est un véritable cadeau de Dieu, affirme le Premier ministre, Ellis Webster. Nous devons remercier nos ancêtres d’avoir baptisé cette île Anguilla.”
Cette “poule aux œufs d’or”, c’est le nom de domaine Internet fondé sur le nom de l’île : “.ai”. Son utilisation rapporte des profits considérables.
Les innombrables sites que compte le web aujourd’hui possèdent tous un nom de domaine, correspondant à leur adresse géographique. Au début, on a “http://” et, à la fin de l’adresse Internet, les “.com” ou “.jp” sont appelés “domaines de premier niveau”, ou TLD [abréviation de l’expression anglaise top-level domain]. À partir de la seconde moitié des années 1980, ces codes ont été attribués à tous les pays – par exemple “.jp” pour le Japon, “.us” pour les États-Unis [ou “.fr” pour la France].
“De l’argent gagné sans rien faire”
Anguilla aurait été nommée en raison de sa forme, évoquant une anguille – anguilla, en latin. Colonisée par les Britanniques vers 1650 et restée sous souveraineté anglaise quasiment sans interruption depuis lors, Anguilla n’est pas un État indépendant mais l’un des 14 territoires d’outre-mer qui dépendent du Royaume-Uni. Le “.ai” est le TLD qui lui a été attribué. Le gouvernement en a confié la gestion à l’homme d’affaires Vince Cate, 60 ans. “Pour la plupart des gens, AI évoque l’intelligence artificielle, explique-t-il. C’est la raison pour laquelle l’extension ‘.ai’ est extrêmement convoitée par les entreprises qui travaillent dans ce secteur.”
Longtemps indifférente à cette “poule aux œufs d’or” après son attribution, Anguilla a commencé en 2011 à commercialiser le droit d’utilisation de son TLD. Et puis, à la fin de 2022, les demandes d’enregistrement ont explosé avec le lancement de l’IA conversationnelle ChatGPT.
Selon Vince Cate, à la mi-avril, environ 427 000 entreprises avaient enregistré un nom de domaine en “.ai”. Parmi ces dernières figurent notamment “x.ai”, propriété d’Elon Musk, et “meta.ai”, propriété de Meta, anciennement Facebook. Quelque 2 000 enregistrements proviennent du Japon. Le droit d’utilisation, initialement de 100 dollars pour deux ans, est passé à 140 dollars en raison de l’inflation.
Le montant que le code “.ai” rapporte à Anguilla s’établit à environ 32 millions de dollars [29 millions d’euros] par an, ce qui représente près de 30 % de son budget annuel. Selon des estimations, en 2025 ces revenus devraient atteindre 72 millions de dollars, soit plus du double. Vince Cate s’en frotte les mains : “On compte un nouvel enregistrement chaque minute. Nous gagnons de l’argent jour et nuit sans rien faire et, contrairement au pétrole, nous n’avons pas à craindre que les ressources s’épuisent. L’essor de l’IA devrait encore se poursuivre un certain temps. L’avenir d’Anguilla s’annonce radieux.”
Développer d’autres activités
On estime que 80 % des habitants de l’île travaillent dans l’industrie du tourisme. Pendant la pandémie, le gouvernement a soutenu ceux qui avaient perdu leur source de revenus en leur versant 400 dollars par mois. Une fois le fonds de réserve épuisé, il a demandé au Royaume-Uni une aide financière d’environ 37 millions de dollars.
Lorsqu’un territoire d’outre-mer britannique reçoit une aide financière, la manière dont l’argent est dépensé fait l’objet d’un contrôle strict, comme l’explique le Premier ministre, Ellis Webster. “Je suis certes reconnaissant au Royaume-Uni de nous avoir aidés, confie-t-il. Mais il n’est jamais sain pour un territoire d’outre-mer autonome de dépendre de l’argent de sa métropole. C’est précisément au moment où cette situation me préoccupait que les revenus provenant du ‘.ai’ ont explosé.”
Avec ces nouvelles recettes, le gouvernement prend des mesures pour attirer à Anguilla visiteurs et nouveaux habitants, et ainsi donner un nouveau souffle à l’économie de l’île : gratuité des soins de santé pour les plus de 70 ans, construction de nouvelles écoles ou encore suppression de la taxe foncière. Par ailleurs, la piste de l’aéroport, qui ne peut actuellement accueillir que des avions de taille moyenne, sera prolongée afin de promouvoir l’ouverture de liaisons aériennes plus importantes. Pour diversifier les secteurs d’activité, des capitaux seront également investis dans le secteur de la pêche.
“C’est seulement un hasard si le TLD ‘.ai’ nous a été attribué. Nous ne pouvons nous en contenter, souligne le Premier ministre. Il faudrait accélérer le développement d’Anguilla. C’est la possibilité, pour nous, de réaliser un jour notre indépendance contre la métropole.”
Karube Rihito