Un dossier méphitique et empoisonnant

L’article 16 du Code Civil stipule que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Le respect de la dignité humaine impose de permettre à chaque individu de vivre dans des conditions lui garantissant un niveau minimum d’hygiène, de sécurité et de confort intime.


àL’Assemblée nationale, dans une proposition de résolution du 02 juin 2020, tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la gestion de l’eau en Martinique présentée par un groupe de députés dont deux des nôtres, reconnaît que le manquement persistant d’accès à l’eau potable que vit une bonne partie des martiniquais depuis le début de l’année 2020, est susceptible par ses répercussions sur la qualité de la vie, de porter atteinte à la dignité de la personne et à la protection de sa vie privée et familiale.

L’accès à l’eau potable, on sait quoi faire

Les récurrentes périodes de sécheresse et particulièrement la toute récente nou s rappellent, la défectuosité des canalisations timidement renouvelées au cours des soixante dernières années, notamment dans le centre, et à l’origine actuellement d’une perte de plus de 40 % de l’eau transportée, l’insuffisance de réservoirs tampons, la nécessité d’un organe de gestion unique de l’eau, la faible exploitation des potentialités souterraines (nappes phréatiques), une utilisation pas suffisamment harmonieuse du maillage des réseaux, et enfin ce fameux « serpent de mer » de Séguineau dont l’apparition ne peut être évité depuis 2009.

Aujourd’hui, si les avis divergent encore sur les causes réelles des pénuries d’eau, il semble avoir consensus sur les 200 millions qu’il faille trouver pour doter la Martinique d’une organisation égalitaire de l’accès à l’eau, que l’on se trouve au nord, au centre ou au sud. On parle donc d’un plan Marshall de l’eau, à l’heure où les plans de relance et les rebonds économiques en construction prétendent prendre en compte les handicaps structurels du territoire pour les 20, voire 30 prochaines années.

Mais quid de la problématique de l’assainissement !

Les eaux usées domestiques (cuisine, toilettes, douche, machine à laver, etc., issues de votre habitation et de ses dépendances présentent des risques pour la santé et l’environnement et doivent donc être traitées avant d’être rejetées dans l’environnement.

En Martinique, il n’existe pas de « tout à l’égout » mais un réseau de collecte des eaux pluviales (sans traitement) et un réseau distinct des eaux usées. Si vous n’êtes pas connectés au « réseau public de récupération des eaux usées » (assainissement collectif), ces eaux doivent passer dans une « fosse toutes eaux » (aussi appelée fosse septique dans le langage courant), puis par un filtre. Il est important de noter que la fosse toutes eaux n’est pas un dispositif de traitement des eaux usées. Il ne s’agit en fait que d’un prétraitement. Les habitations qui ne sont pas desservies par un réseau public de collecte des eaux usées doivent être équipées d’installation d’assainissement individuel, appelée également « Installation d’assainissement non collectif » (ANC). L’assainissement désigne donc l’ensemble du système de collecte, d’acheminement et de traitement des eaux usées domestiques, pluviales et industrielles avant leur rejet dans lemilieunaturelafindeprotégerlasantéetla salubrité publique ainsi que l’environnement. En Martinique, depuis le 1er janvier 2017, les communautés d’agglomération ont récupéré la compétence assainissement sur l’ensemble de leur territoire, entraînant la dissolution des anciens syndicats (SICSM, SCNA et SCCNO). Un très lourd héritage qu’il leur est aujourd’hui difficile d’assumer.

Un constat accablant et inquiétant

Au sein de ces communautés d’agglomération, de l’observatoire de l’eau des services de l’état, beaucoup de rapports, d’études, de constats, d’audits, précieusement rangés dans les tiroirs, font état d’une situation particulièrement inquiétante concernant la problématique de l’assainissement en Martinique. Deux stations d’épuration sur trois (70 %) ne sont pas aux normes du fait du non renouvellement des arrêtés de déclaration et d’autorisation. Une station sur deux (50 %) pollue en raison de leur vétusté, par surcharge organique ou hydraulique notoire, ou d’absence d’un système efficace de traitement au niveau de l’azote et du phosphore.

90 % des fosses septiques ne sont pas conformes, car non vidangées dans les quatre ans ou ne disposant pas de système de filtre de traitement des eaux usées reçues et plus de la moitié d’entre elles engendrent des pollutions.

Les spécialistes ne manqueront pas de nous rétorquer que la dernière règlementation en matière d’assainissement non collectif date de 2013, et comme 90 % des habitations ont été construites avant 2013, il est normal de constater que 90 % d’entre elles ne sont pas aux normes, mais cela ne change nullement la réalité. Quand on aborde l’état des réseaux d’assainissement, les spécialistes le qualifient de poignant, de déchirant. La vétusté, la perméabilité des canalisations, le raccordement des eaux pluviales des toitures, provoquent couramment des remontées chez lesparticuliersetlerejetdanslesmilieuxnaturels, sources de nuisances à l’environnement du fait de la pollution. Beaucoup de canalisations posées dans les années 70 à 80 réalisées en amiante ou en matériaux poreux s’effritent et créent des effondrements.

Depuis le 30 décembre 2017, la « loi Fesneau » a été adoptée et réorganise la gouvernance de la compétence de la Gestion du Milieu aquatique et Prévention d’Inondation (GeMAPI). Cette compétence obligatoire des E.P.C.I. à fiscalité propre au 1° janvier 2018 n’est pas remise en cause mais elle prévoit des mesures d’assouplissement ce certaines modalités de mise en œuvre. La loi donc permet aux départements et aux Régions qui le souhaitent, donc à la Collectivité Territoriale de Martinique dans notre cas, de poursuivre leurs exercices de la compétence Gestion du Milieu Aquatique et Prévention des inondations, aux côtés des E.P.C.I, au-delà du 01 janvier 2020 et sans limitation dans le temps. Cette loi a en outre créé une nouvelle compétence obligatoire disjointe de l’assainissement, pour les communautés d’agglomérations : « la gestion des eaux pluviales urbaines » depuis le 01 janvier 2020, regroupant la collecte, le transport, le traitement et l’évacuation ».

Les conséquences de cette situation

L’impact du mauvais fonctionnement du système d’assainissement est brutal sur :

– l’environnement, l’écologie en raison des pollutions

– l’humain (odeur, voisinage)

– le milieu (l’anthropisation favorise le développement d’algues et active la destruction de la faune et de la flore aquatique)

– le tourisme et la vie économique à cause de la mauvaise qualité des eaux de baignade

– la santé publique (épidémie, développement de maladies, empoisonnement progressif des sols etc…) Et pourtant, on parle peu ou vraiment en sourdine de la problématique de l’assainissement dans notre pays. Certainement de peur d’effrayer davantage les martiniquais, déjà abandonnés face aux désastres du chlordécone, subissant de plein fouet le retour de la dingue, traumatisés par cette pandémie du COVID 19 et dont certains subissent une desserte d’eau potable assez chaotique.

Au moins 400 millions de plus à trouver

Comme le confirme le comité de bassin en Martinique, plus de la moitié de la population martiniquaise ne bénéficie pas d’équipement d’assainissement collectif et doit donc traiter ses eaux usées à l’aide de systèmes « d’assainissement non-collectifs » (A.N.C). Eu égard aux chiffres témoignant de l’état désastreux de l’assainissement non collectif, seule une véritable prise de conscience de tous (population, élus locaux, administrations, pouvoirs publics, gouvernement) permettra de prendre à bras le corps ce problème dont les répercussions peuvent s’avérer cruciales, voire vitales pour la population, si rien n’est fait.

Une chose est sûre, le coût de l’inaction risque d’être plus onéreux que le coût de l’action. Actuellement les prix des différents types d’installation oscillent entre 8 et 12 000 euros. Des efforts d’accompagnement financiers des collectivités doivent être envisagés dans le cadre de la remise aux normes des installations par les particuliers. Le chantier à réaliser dans le domaine de l’assainissement est colossal. Une estimation du double de celle de l’eau et les chiffres annoncés parlent d’eux-mêmes.

Une seule question aujourd’hui : où trouver ces 400 millions quant on connaît la dégradation persistante des finances publiques locales et les taux d’imposition déjà vertigineux dans la plupart des collectivités.

Dans son plan de relance, l’état français annonce fièrement une inscription budgétaire de 50 millions pour l’ensemble de l’outre mer. Une rapide et simple division nous permet d’envisager une modeste contribution de 5 millions. Comment trouver le reste ?

Fred MIRAM MARTHE ROSE Président de la Circonscription Centre Atlantique

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