C’est le titre du recueil de poèmes de toute une vie, de la martiniquaise Marie-Agnès Suivant paru aux Éditions Baudelaire.  Un« Instantané poétique inspiré de ces moments de la vie quotidienne», de sa vie tout simplement, dans une écriture sensible et nostalgique. Ce recueil vient d’être récompensé par la Société des Poètes Français qui lui a décerné le Diplôme d’Honneur 2022 avec les félicitations du jury…  L’occasion de rencontrer cette poétesse au cœur pur.

C’est un parcours poétique atypique que celui de Marie-Agnès Suivant , car rien dans son entourage familial, ni dans ses choix d’orientation professionnelle ne l’inclinait vers la littérature, encore moins vers  la poésie. Mais n’est-ce pas le propre du poète que de se faire témoin et d’interpréter la vie et les sentiments de l’humanité, de traduire les émotions par l’amour du verbe ? « Ma famille, mon quartier « l’autre bord », la vie en bord de mer m’ont inspirée. Nous n’étions pas riche, mais nous avions le partage, l’écoute, les histoires, et, les histoires des adultes sont fascinantes pour les enfants surtout quand on n’a pas le droit de poser des questions. Je me souviens de mes interrogations.», raconte l’écrivaine.

Issue d’une famille monoparentale, Marie-Agnès Suivant a été élevée par sa maman avec ses trois frères et ses trois sœurs, dans un quartier traditionnel et animé de bord de mer. Son enfance, son entourage familial et social déclenchent en elle une passion pour les mots et pour dire. Elle se souvient, « Ma mère nous parlait créole mais nous devions répondre en français. Je n’ai pas eu le choix de m’engager dans un parcours littéraire, d’en faire mon métier, même si mes professeurs voyaient ma capacité d’aller plus loin.  J’allais à la bibliothèque de la commune qui était encore en construction, pour prendre des livres. Je me promenais toujours avec un carnet et un stylo pour écrire, des livres, les autres de mon âge disaient « I ké fè métrès, iké fè professè ». La poésie me transportait, je n’étais plus en salle de classe.  J’avais le sentiment que là était ma voie, ça faisait partie de moi. En classe primaire, j’ai eu un déclic pour la poésie, l’amour de la poésie, grâce à mes professeurs. Je me souviens encore de leurs noms. Elle me mettait dans un état second, j’avais une sorte d’empathie pour les auteurs qui me permettait de les comprendre et de comprendre leurs textes, leurs émotions. J’ai écrit mon premier poème à l’âge de 12 ou 13 ans et je n’ai pas arrêté d’écrire jusqu’à ce qu’ en 2017, mes textes soient édités dans ce recueil aux Éditions Baudelaire. Ce fût un long travail mais je voulais que ce soit vraiment unique, vraiment original. Je dois continuer à me battre pour ce recueil et j’ai encore beaucoup d’autres textes prêts. »

Cette «ballade mélancolique» en dit long sur l’état d’enfance qui prend la vie toute entière dans ses bras, dans l’instant présent, dans le pur des émotions. La poétesse dit qu’elle était déjà mélancolique dans l’enfance , « Quand on parle de mélancolie, il se fait une pause, un temps de réflexion. On peut penser que c’est de la tristesse mais c’est plutôt un regard posé sur le passé avec une sensibilité douce. Souvent les choses du passé évoquent la mélancolie même si c’étaient des choses belles ou positives. Très tôt je me posais beaucoup de questions, en fait je m’isolais dans ma bulle. Et on me disait toujours «arrête de rêver» mais j’avais envie de répondre: je vous entends mais je reste dans ma bulle . Qu’est-ce que le terme rêver pouvait représenter pour les adultes, était-il négatif pour eux? Le mot est facile à employer vis-à-vis d’un enfant, «arrête de rêver», on le réveille sans brutalité, en utilisant ce mot doux «rêver», mais on l’en empêche en utilisant un mot brutal «arrête», qui veut dire stop!»

Au fond, les adultes seraient-ils  jaloux de la capacité à rêver des enfants? Se souviennent-ils de leur propre enfance en avançant dans la vie? Marie-Agnès Suivant décrit bien dans ce qu’elle dit, le regard de l’enfant posé sur l’adulte qui régente la vie quotidienne sans se souvenir de ce qu’est  l’enfance. Peut-être, est-ce cette lucidité enfantine sur les émotions qui  œuvre dans l’écriture de la poétesse. il faudra sans doute  attendre un prochain recueil de ses poèmes pour continuer cette histoire…

Nathalie Laulé


Puisque nous sommes dans une année mémorielle, le 15ème anniversaire de la disparition d’Aimé Césaire, nous vous livrons dans ce numéro, le poème écrit  par Marie-Agnès Suivant, en hommage au chantre de la négritude, « La belle plume et son bien-aimé ».

 La belle plume et son bien-aimé

A  Aimé CESAIRE (1913-2008)

Sur une île, à la recherche d’un ruban pour sa petite

L’écrivain à la plume surréaliste découvre une pépite

Une mine, selon Breton, qui en fait l’acquisition

Dans une mercerie, une mine poétique en rayon ?

 

De la mercerie au Panthéon

La voie du nègre marron en dit long

 

De la mercerie à la mairie de la capitale

Le nègre fondamental au pays natal

 

De l’Afrique à la Martinique

Traversée historique d’empreinte métaphysique

 

De l’enfance à Fort-de-France

Reconnaissance de l’excellence en  France

 

Du lycée Schœlcher à l’université Sorbonne

L’écriture d’un homme se donne et résonne

 

Frappe à la porte de la conscientisation

La bête noire  de la déculturation

 

Cogne la boîte noire de la colonisation

Ouvre la porte de la départementalisation

 

Le don du sang s’étend dans les contrées souillées et sur les toits

Le son du gong s’entend dans les contrées décriées des sans-voix

 

De la conque de lambi au tam-tam, l’appel d’un peuple debout comme un seul homme

Devant la sphère du dérèglement cérébral, le voici tel un mentor, un prudhomme

 

Le vieil arbre du penseur songe ; sur tous les continents, il raconte aux fleurs et aux plantes

Combien l’âme sœur lui manque et la magnificence de l’éclosion de cette légende vivante !

 

L’écriture d’un homme se donne

Ses mots tonnent et résonnent

 

Ces mots cognent, ferment la porte de l’acculturation

L’ouvrage d’un homme pousse les murs, ouvre la voie à la réflexion

 

Trois compagnons regardent  l’horizon dans la même direction

Leur mouvement littéraire fait bouger les lignes, une révolution !

 

Ensemble, ils ouvrent les fenêtres du monde

Les barreaux tombent seconde après seconde

 

Ils prennent la liberté de cette latitude

Et dessinent la longitude de la négritude.

 

Ecrire pour dire

Ecrire pour bâtir

 

Bâtir son avenir !

Bannir ses souvenirs ?

 

Ecrire pour construire le toit du monde

Le monde a pour toit un livre ouvert

 

Comme les étoiles, les signes poétiques abondent

Ecrire pour construire son univers.

 

Une belle plume se fait l’écho pour l’intemporalité,

De la pensée de son bien-Aimé.

Marie-Agnès SUIVANT     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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