Lors d’une récente conférence de presse, la CGTM Ouvriers agricoles a partagé toute la défiance que lui inspire le ‘Plan Chlordécone 4’quant au sort de travailleurs et travailleuses, lourdement impacté.e.s dans leur santé par une « exposition » régulière au chlordécone et autres pesticides. L’occasion pour l’organisation syndicale de réitérer sa volonté de voir « évoluer » le tableau des maladies professionnelles. Explications.

« Andidan sèktè agrikòl-la i ni twòp ouvriyé agrikòl ki jòdi-jou malad », s’indigna Marie-Hellen Marthe-dite-Surelly, la secrétaire générale de la CGTM Ouvriers agricoles, « soit yo paralysé, soit cancer de la prostate-la ka terrassé yo, soit yo ni dé maladi ki dévlopé kò-yo. Et yo pa ni ayen, yo pa reconnu.e.s, yo ka anni pati konsa… . Yo ka santi kò yo malad, yo ka alé wè mèdsen-yo, yo pé pa kontinyé travay, yo pa ni piès reconnaissance. » La syndicaliste poursuivit : « Et tout’ moun sav que nous les ouvriers agricoles, nou travay dans de très mauvaises conditions. Par exemple, lè yo té ka fè l’épandage produits phytosanitaires-la, ében lè ouvriyé-a ka travay anba bannann-lan, le plus souvent adan langa-a (le hangar, ndr) pa ni dlo, pa ni moyen ba’y pou i pé lavé kò’y, pou i pé pati alé lakay-li. Nou travay dans de très très mauvaises conditions ; sé tousa nou ka dénoncé. Nous les ouvriers agricoles, nou impacté.e.s anlè diféran pwoblèm maladi ke nou ka jwenn, ki pa reconnus. » Et la secrétaire générale de préciser : « Tout ouvriyé agrikòl ki ka alé wè médsen-yo, nou rimèt yo an document afin que yo fè an déklarasyon au niveau des maladies professionnelles, pou fè évoluer tablo-a. Pas si pa ni piès déklarasyon ki fèt, tablo-a pakay pé évolué. Sé andidan démarche-tala nou yé. »

« Les ouvriers agricoles se trouvent dans une double exposition… »

Marie-Hellen-Marthe-dite-Surelly

Présent aux côtés de Marie-Hellen Marthe-dite-Surelly, le docteur Jean-Michel Macni (présenté par la syndicaliste comme le ‘’médecin-référent de la CGTM’’) apporta d’autres éléments d’information. « Cela fait plus de 20 ans que je m’intéresse à ces problèmes », indiqua-t-il en préambule, « et progressivement j’ai vu pas mal de gens mourir du cancer de la prostate – des agriculteurs, des ouvriers agricoles – ce qui m’a sensibilisé à chercher des documents et à m’auto-former en médecine environnementale (…) ». Et d’expliquer : « Les ouvriers agricoles ont l’intoxication antérieure, depuis les années 1970, d’organochlorés, d’organophosphorés – le Chlordécone, le Mirex, le Temik, le Paraquat etc. – qui sont des POP, des ‘Polluants Organiques Persistants’, et qui sont toujours présents. Les ouvriers agricoles se trouvent dans une double exposition : à la fois ancienne et actuelle, parce que le produit persiste pour 7 siècles, et l’exposition de produits utilisés actuellement. Il y a un produit dans lequel j’ai trouvé du naphtalène, du pétrole, du kérosène et du benzène. »

Eu égard à l’exposition aux « produits » – et à la durée de ces contacts répétés sinon quotidiens – les facteurs de risques sont évidemment bien plus élevés pour cette frange de nos populations. « Les ouvriers agricoles ont plus de pesticides dans le sang que la population générale », affirma ainsi le Dr Macni, « ils en ont plus dans le sang que les ouvriers non-agricoles. » Avant de poursuivre : « Nous avons écrit à l’ensemble des médecins pour les sensibiliser, pour qu’on puisse déclarer les maladies liées aux pesticides comme maladies professionnelles. Nous battons le record mondial du nombre de cancers de la prostate, de 125 cas pour 100.000 habitants, malgré nos alertes concernant la LMR, la ‘limite maximale de résidus’, et il y a ce qu’on appelle une bioaccumulation : progressivement, les capacités d’épuration du corps ne se font plus. »

« Au-delà de quatre pesticides, le risque d’augmentation du cancer du sein est multiplié par deux »

Juste avant cette conférence de presse, l’organisation syndicale et le Dr Macni étaient en visioconférence avec l’ANSES (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), instance scientifique qui leur a notamment demandé d’établir une ‘’matrice historique d’exposition’’ des ouvriers et ouvrières agricoles. « Ces conditions d’expologie sont complètement remplies pour pouvoir les faire admettre par le ‘comité de gestion des maladies liées aux pesticides’, qui est en train d’être mis en place », expliqua le médecin, « nous enverrons donc des documents – scanners, etc. – pour appuyer et mettre le cancer de la prostate comme maladie professionnelle liée aux pesticides. » Et d’indiquer en dernier lieu : « C’est ça notre objectif, mais il n’y a pas que l’homme. Il a été démontré qu’au-delà de quatre pesticides, le risque d’augmentation du cancer du sein est multiplié par deux. Donc il y a aussi la femme. Et même si elle travaille dans le hangar. Parce que le vent ‘distribue’ partout des pesticides… . »

                                                                                                                                                        Mike Irasque


A l’issue de cette communication aux médias, nous avons posé ces questions complémentaires au Dr Macni.

Dr-Jean-Michel-Macni

Dr Jean-Michel Macni : « La vraisemblance entre les pesticides organochlorés et le cancer de la prostate est de plus en plus réelle »

Antilla : Sur quels arguments comptez-vous vous appuyer dans la suite de vos discussions avec les diverses instances scientifiques ?

Dr Jean-Michel Macni : La force de l’association entre pesticides et cancer de la prostate. D’autre part il y a douze études expérimentales – biochimiques, biologiques, transcriptomiques et épigénomiques (relatives au génome, ndr) – qui prouvent qu’il y a un lien vraisemblable et significatif entre le cancer de la prostate et le chlordécone. Ces études viennent confirmer les mécanismes d’apparition des pathologies. Donc la vraisemblance entre les pesticides organochlorés et le cancer de la prostate est de plus en plus réelle.

D’autres médecins martiniquais se joignent-ils progressivement à la « bataille » ?

Oui, le ‘syndicat des médecins de la Martinique’ a une oreille favorable ; actuellement nous sommes probablement une dizaine. Nous allons élaborer les principes de médecine environnementale ; nous allons créer une espèce d’algorithme, qui permettra de voir les facteurs de risques et déboucher sur des conseils spécifiques. Alors pour les ouvriers agricoles, il y a une durée d’exposition pour les maladies professionnelles qui est de 10 ans. J’ai demandé à l’ANSES qu’il y ait un délai de 50 ans, supérieur à l’amiante, parce qu’il y a ce qu’on appelle une période de ‘silence pré-clinique.’

C’est-à-dire ?

Le temps avant que la maladie apparaisse : parfois 20, 30 ou 40 ans. Et après il y a une émergence subite… . Donc on enverra des documents à l’ANSES pour que la commission d’expertise de reconnaissance des maladies professionnelles et la création d’un nouveau tableau, soient faites à l’appui de ces documents.                                                                           

Propos recueillis par Mike Irasque

Mesures complémentaires ou spécifiques proposées par la CGTM.

Plus précisément 33 mesures, rassemblées autour de six grands axes : 1) Mettre en place un circuit de l’information (par exemple, « Supports et publications des données connues sur les effets des pesticides et du chlordécone ») ; 2) Veiller à l’application des lois dans les entreprises agricoles (par exemple, « Agir pour faire valoir le respect des lois, des conventions, des règlements et des accords ») ; 3) Mise en œuvre d’une politique de prévention (par exemple, « Sur les exploitations agricoles mettre en place des mesures de réduction des facteurs de risque ») ; 4) Reconnaissance de la maladie professionnelle (par exemple, « Elaboration d’un tableau de maladie professionnelle qui établit le lien avec le cancer de la prostate ») ; 5) Prise en charge des problèmes de santé et indemnisation (par exemple, « Surveillance biologique et suivi médical des ouvriers agricoles, pris en charge à 100% ») ; 6) Réparation aux victimes du chlordécone et des pesticides (par exemple, « Créer un fonds pour l’indemnisation des victimes et de leurs familles, lié à la reconnaissance »).

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