Nous le savons, le tri et recyclage des déchets ménagers constitue un enjeu majeur, auquel les décideurs et forces vives de Martinique se doivent de continuer de répondre. Entreprise « à mission » créée par les entreprises du secteur de la grande consommation et de la distribution, notamment pour leur proposer des solutions de tri et recyclage de ce type de déchets, CITEO travaille dans ces champs de sensibilisation et d’expérimentation(s). Mais quelles sont les réalités chiffrées de cette prise de conscience, notamment populaire, sous nos cieux ? Quel est l’état des lieux sur ces sujets et y-a-t-il des projets d’envergure en cours ? Les réponses et précisions de Pascal Hénaux, le directeur du « pilotage territorial » chez CITEO.

Pascal Hénaux, le directeur du « pilotage territorial » chez CITEO.

Antilla : En 2021, chaque habitant de Martinique a trié en moyenne 20,3 kilos d’emballages ménagers et de papiers : que vous inspire ce bilan annuel ?

Pascal Hénaux : Il faut féliciter les martiniquais car ces tonnages sont en hausse par rapport à 2020. Et sur les dix derniers mois les tonnages sont encore en augmentation. Donc c’est plutôt encourageant et on se dit que toutes les actions menées en Martinique par les trois EPCI* – Espace Sud, Cap Nord et Cacem – et par CITEO en termes de communication(s), portent leurs fruits. Alors si on regarde la moyenne hexagonale des tonnages il y a encore des marges de manoeuvre en Martinique, car la performance hexagonale est à 69 kilos par habitant et par an. Mais il ne faut pas jeter la pierre aux martiniquais car pour trier il faut aussi simplifier le geste de tri. Et c’est là où portera notre action et celles des EPCI : faire en sorte que l’usager ait un dispositif de tri le plus facile à vivre et de proximité. En cette période de fêtes de fin d’année où l’on consomme plus de verre que d’habitude, si on ne sait pas quel ‘’petit cadeau’’ faire à la planète : hé bien essayons de trier ce verre. Et comme trier son verre nécessite des points d’apport volontaires, nous sommes aujourd’hui en train de densifier, avec les EPCI, ces points sur le territoire martiniquais – on en ajoutera plus de 800 ! – en faisant en sorte que ces nouveaux points soient placés à proximité des zones de résidence des usagers. Et cette simplification du geste de tri passe aussi par un renforcement des campagnes de sensibilisation et mobilisation. En outre, il y a une disposition légale qui oblige les collectivités à mettre en place une consigne élargie des instructions de tri pour 100% des emballages plastiques, avant le 31 décembre 2022. Mais il y a une dérogation pour les DOM, jusqu’au 31 décembre 2025. Nous travaillons donc avec les trois EPCI et le SMTVD*, pour voir comment étendre des consignes élargies sur le territoire martiniquais avant le 31 décembre 2025. Et cela passe nécessairement par la modernisation ou reconstruction du centre de tri qui est aujourd’hui à Ducos. Cela voudrait dire que fin 2025, les martiniquais n’auront plus à se poser de questions : si c’est un emballage il ira dans le bac jaune, puisque 100% des plastiques – pots de yaourts, de crème fraiche, barquettes, films souples, sachets, etc. – iront en collecte sélective. Cela simplifie énormément le geste de tri.

« Nous saurons donc, à l’instant T, le niveau de remplissage de chaque point d’apport de Martinique » 

A partir de quand et sur combien de temps ces 800 nouveaux points d’apport seront-ils installés en Martinique ?

Ces points seront pleinement déployés sur l’année 2023 ; et nous commençons déjà à le faire en cette fin d’année. Nous avons travaillé avec un bureau d’études pour trouver ces nouveaux points sur le territoire, les collectivités ont passé des marchés, nous en avons passé pour leur compte et avons lancé des commandes, les premiers conteneurs sont arrivés en cette fin d’année et nous continuerons à déployer ces nouveaux points courant 2023. En termes d’innovation, nous avons décidé d’équiper les points d’apport déjà existant et les nouveaux de sondes de télé-relève : nous saurons donc, à l’instant T, le niveau de remplissage de chaque point d’apport de Martinique, ce qui permet d’optimiser la collecte des bornes. L’intérêt est donc de collecter à bon escient et au bon moment, mais surtout d’éviter que les bornes ne soient trop pleines et que nous ayons des débordements et des dépôts sauvages. C’est la première fois que ce dispositif sera déployé à l’échelle d’un département entier. J’ajoute qu’il existe des applications qui une fois téléchargées sur votre smartphone permettent de vous géolocaliser et de trouver le point d’apport volontaire le plus proche de chez vous. Et je souhaite intégrer le niveau de remplissage de la borne la plus proche pour éviter à l’usager de se déplacer si la borne est déjà remplie à plus de 80%, donc de choisir une borne où il y a encore de l’espace. En 2023 nous aurons donc une collecte 3.0, où nous mettrons en place un dispositif qui permettra d’optimiser la collecte des bornes d’un point de vue technique et économique, mais aussi de restituer de l’information aux usagers.

La conjonction des campagnes médiatiques de sensibilisation, d’une plus grande disponibilité et proximité avec ces 800 nouveaux points d’apport, et de ces outils technologiques devrait, a priori, faire que cette hausse des tonnages individuels annuels se poursuivra en Martinique ?

Oui c’est vraiment l’objectif ; c’est rendre la vie des usagers de Martinique plus simple, pour pouvoir trier. Plus ça sera simple, plus la population adhérera à la démarche. Mais si on demande aux usagers d’embarquer toutes leurs bouteilles de verre et de rouler 10 minutes en voiture pour les amener à une borne, ils feront forcément autrement… . En fait il faut intégrer la présence de ces bornes et les gestes de tri dans nos habitudes quotidiennes. Nous travaillons aussi sur un autre projet, que nous avons cofinancé avec la Cacem et qui commence à fleurir dans les rues de Fort-de-France, à savoir les doubles corbeilles de rue, jaune et verte. Toujours en partenariat avec les EPCI, en 2023 nous mettrons aussi l’accent sur les grands événements annuels. Je pense par exemple au Tour de Martinique des yoles, qui draine énormément de monde et produit des déchets qui sont parfois abandonnés. Il s’agira de mettre en place des dispositifs permettant aux gens de se débarrasser de leurs déchets en les triant ; idem lors des vacances de Pâques, avec une grande fréquentation de la plage des Salines par exemple. Il faut que nous puissions offrir des actions de sensibilisation à destination de ces publics ; il faut donc aller à leur rencontre lors de ces événements. Durant l’année 2023 le ‘’fil rouge’’ de notre communication sera la communication par la preuve, c’est-à-dire rappeler pourquoi nous faisons tout ça. On ne le fait pas seulement car c’est la loi mais aussi car il y a un intérêt économique et environnemental : le tri est d’ailleurs une illustration parfaite de ce qu’est l’économie circulaire.

« Aujourd’hui ces briques alimentaires ne sont pas dans les consignes de tri car il n’y a pas de filière endogène pour les recycler »

Fin 2021, CITEO lançait un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour « soutenir la création de filières locales de valorisation des matériaux et accélérer le développement de l’économie circulaire des emballages », et quatre projets ont été sélectionnés : où en sont-ils à ce jour ?

La première phase de cet AMI consistait à vérifier la faisabilité technique et économique de ces projets. Aujourd’hui ces projets avancent et l’objectif est de passer à la ‘’phase 2’’ à l’échelle d’un prototype ou d’une réalisation, si la technologie est mature, sur le territoire martiniquais. Le problème sur ce territoire concerne les briques : de jus, de lait, etc. Aujourd’hui ces briques alimentaires ne sont pas dans les consignes de tri car il n’y a pas de filière endogène pour les recycler. Cela nécessiterait de renvoyer ces briques dans l’Hexagone, mais les mettre dans un conteneur de 40 pieds, avec des semaines de voyage en mer et la réalité des températures, font qu’à l’arrivée personne ne souhaitera ouvrir un tel conteneur… . Cela nécessite donc le développement d’une filière, et une solution technique a fait ses preuves, notamment en Amérique du Sud et en Argentine, sur la production d’isolants à partir de briques alimentaires. Nous observons donc, avec les porteurs de projet, l’impact économique du développement d’une telle filière sur le territoire martiniquais. Cette filière étant primordiale, nous croisons les doigts pour que le ‘’business model’’ soit viable et que nous puissions la mettre en place en 2023.

Hormis nos trois EPCI, quels sont les partenaires essentiels de CITEO pour tous ces enjeux et problématiques ?

Nous nouons aussi des partenariats avec des industriels, notamment sur le développement de filières de recyclage. Et nous mobilisons parfois les forces en présence sur le territoire via d’autres partenaires, que peuvent être la CCIM ou la CTM, pour faire en sorte de développer des filières endogènes. Nous travaillons avec les industriels qui commercialisent des produits conditionnés dans des emballages ; ce sont aussi nos clients donc nous leur devons de trouver des solutions viables, notamment pour les produits qu’ils mettent sur le marché martiniquais et à l’export. Tout un travail peut aussi être engagé avec les industriels sur l’écoconception, pour que les emballages soient plus facilement recyclables, et plus largement sur les travaux liés au réemploi ou à l’utilisation du vrac.

Propos recueillis par Mike Irasque

*EPCI : Etablissement Public de Coopération Intercommunale. SMTVD : Syndicat Martiniquais de Traitement et de Valorisation des Déchets. Crédit photos : Fabrice Cateloy.

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