L’adhésion récente de la Martinique au CARICOM marque une étape importante pour notre île. Mais derrière cette avancée, il est essentiel de se souvenir de ceux qui ont œuvré, bien avant nous, à rapprocher la Martinique du reste de la Caraïbe. Clovis F. Beauregard fut l’un de ces pionniers, un homme de conviction et d’action, qui a consacré sa vie à tisser des liens solides entre les territoires de la région.
Aujourd’hui, à travers cet hommage co-signé par trois anciens présidents de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique (Alex Huygues-Despointes, Marcel Osenat, Claude Pompière), nous voulons rappeler son rôle déterminant dans cette dynamique et saluer son héritage.
CLOVIS F. BEAUREGARD, un homme de vision, une référence pour la Caraïbe
En ce début d’année, nous nous réjouissons tous, à juste titre, de l’adhésion de notre île au CARICOM.
Cet aboutissement, après des dizaines d’années de discussions, est dû à l’action de cet artisan infatigable de la coopération régionale, que fut Clovis F. BEAUREGARD. Il paraît fondamental, à cette occasion, d’évoquer son souvenir et de lui rendre hommage. Par son œuvre et ses actions, Clovis BEAUREGARD n’appartient pas seulement à la Martinique, mais à la Caraïbe et à l’Amérique du Sud.
Il n’a eu, en effet, de cesse de faire progresser la coopération régionale depuis ses premiers pas dans la vie professionnelle. Dès 1929, à une date où bon nombre d’entre nous n’étaient pas encore nés, M. Clovis BEAUREGARD intégrait le ministère des Finances. Puis en 1944, dans une période difficile, où il s’agissait de gérer la pénurie, il s’occupait déjà des échanges commerciaux en tant que chef du Service des Affaires Économiques de la Guadeloupe, et plus spécialement en charge du ravitaillement et du contrôle des prix.
Sa courtoisie naturelle, son sens inné de la diplomatie, alliés à sa rigueur professionnelle, l’ont naturellement désigné au cabinet du gouverneur de la Guadeloupe, où il a pu assister à l’installation des autorités préfectorales en 1946, au lendemain de la départementalisation de nos îles.
Puis, après une incursion à Rouen, sur le territoire national, en tant qu’inspecteur de l’Enregistrement et des Domaines, et parce que véritable “Citoyen du Monde”, comme il se plaisait à se désigner, sa carrière s’orienta vers la Caraïbe.
Pour cette région, il restera un grand intégrationniste, car elle sait le rôle qu’il a joué dès 1949, en tant que secrétaire général adjoint de la Commission Caraïbe, avant d’en devenir le secrétaire général en 1956 ; puis comme secrétaire général de l’Organisation Caraïbe qui lui succéda en 1961.
Il fut également membre du comité consultatif du “West India Committee”, basé à Londres.
Son action en faveur de la région caraïbe fit dire à Antonio Colorado, ancien secrétaire d’État de Porto Rico, que « M. Clovis F. Beauregard était bien en avance sur son temps ».
En 1967, viscéralement attaché à son île, et en dépit de propositions prestigieuses dans les services de la Commission Européenne, il fit le choix de retourner en Martinique.
En mettant alors ses compétences et son expérience au service de son pays natal, il exerça les fonctions de Directeur Général de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique.
Il contribua tout d’abord, avec les présidents qui se succédèrent à la tête de cette institution, à lui donner une voix et un poids économique. Aucun domaine ne fut exclu de ses champs d’action : du développement des infrastructures portuaires et aéroportuaires à la modernisation et l’animation du centre-ville, en passant par la création des zones industrielles. Mais son domaine de prédilection, celui qui marquera l’histoire, fut la coopération régionale !
Il avait coutume de raconter à ses proches collaborateurs que, tout jeune, des hauteurs du Marin, il apercevait, par beau temps, l’île de Sainte-Lucie. Ce qui l’avait amené, dès cette époque, à comprendre que la Martinique faisait partie d’un ensemble !
En visionnaire, il a donc formé plusieurs générations à l’idée d’une nécessaire coopération régionale, à la nécessité de s’entraider pour développer nos pays respectifs dans la complémentarité.
Cette ambition s’est tout d’abord traduite par la création de la Conférence Permanente des Présidents des CCI Antilles-Guyane, qui pilota, entre autres, les différentes actions menées dans ce domaine et adhéra à la CAIC (Caribbean Association for Industry and Commerce).
Dans quasiment tous les pays du bassin caraïbe, les chefs d’État ou de gouvernement ont toujours eu une réelle déférence pour ce vieillard aux cheveux blancs qui prenait la parole d’un ton posé, mais avec conviction, pour suggérer un regard sur l’histoire et le développement harmonieux de toute cette région.
Il fut celui que tous écoutaient avec attention, sachant très bien que son analyse était fondée sur une ambition qu’ils ne pouvaient que partager et qu’ils avaient la responsabilité de concrétiser.
C’était comme si son discours les situait, au-delà des contingences quotidiennes de chefs de gouvernement, dans une mouvance historique et globale, enrichie d’une compréhension géostratégique.
Ce fut aussi le cas en Europe, où ses avis furent sollicités par le commissaire européen qui, à l’époque, avait mis au point les accords de Lomé entre les pays européens et les pays ACP. Évoquant la région Caraïbe, il parlait alors de « poussières d’îles aux destins communs ».
De même, les concepteurs du CBI ou Plan Reagan en 1983 s’inspirèrent de cette nécessaire coopération pour définir les critères d’attribution de l’aide américaine.
- Beauregard restait lucide quand il comparait l’aide européenne au développement, qui appelait un engagement contractuel des parties concernées, et l’aide américaine, qu’il surnommait courtoisement le « fait du prince », car décidée unilatéralement, tant dans les objectifs que pour son octroi.
Nul besoin de rappeler qu’il fut aussi la cheville ouvrière, en tant que commissaire général, des Contacts Europe-Caraïbe, dont la première édition s’est tenue en Guadeloupe en 1981, et la seconde en Martinique en 1987. L’objectif de ces rencontres était d’inviter tous les pays de la région, regroupés au sein de la CARICOM, à rechercher les bases d’une coopération scientifique, économique et financière, avec l’appui du gouvernement français et sous le patronage de la Commission européenne.
Dans les années 90, la CAIC, cherchant à s’assurer la collaboration de M. Clovis F. Beauregard au sein de son comité directeur, le nomma “Vice-Président at large”, c’est-à-dire sans portefeuille attitré, ce qui lui permettait d’intervenir sur toutes les questions touchant la Caraïbe et non seulement sur les relations avec les DEA. Il occupa ce poste jusqu’à ce qu’il ne put plus voyager.
Des hommages particuliers lui ont été rendus par l’importante association Caribbean Central American Action, mais aussi par l’Association des Études Caribéennes, qui organisa à Trinidad, en juin 2006, une manifestation “In Memoriam” en l’honneur de l’œuvre de M. Clovis F. Beauregard. Y prirent part des personnalités publiques, économiques et universitaires de Washington et Bruxelles, ainsi que des représentants des pays de la région caraïbe.
Clovis F. Beauregard, c’est un nom, une personnalité, une générosité visionnaire. C’est une détermination à faire émerger cette région !
Pour toute cette région, M. Clovis F. Beauregard restera le “Père de la coopération caraïbe” !
Aussi, en notre qualité d’anciens présidents de l’institution consulaire, nous tenions à rendre hommage à M. Beauregard, qui fut notre conseiller sur les questions caribéennes tout au long de nos mandatures respectives.
Alex Huygues-Despointes
Marcel Osenat
Claude Pompière