«Cogito, ergo sum», je pense donc je suis, disait Descartes. Essayons de renverser la sentence: au temps du coronavirus, je suis, donc je pense. Le philosophe français entendait démontrer que la possibilité de penser, et de se penser, comme personne, établissait une certitude absolue, un principe fondamental de l’existence humaine. Si nous existons comme êtres pensants, si nous avons cette capacité de penser, alors les potentialités de l’esprit peuvent être mises à profit pour le bien individuel. Et si l’on fait entrer en jeu l’éthique, la responsabilité, l’impératif kantiend’agir pour le bien, les capacités de l’esprit devraient de la même façon être orientées vers le bien collectif.€
La photo : Installation Bien commun de Victoria Klotz. | Isère-Domaine de Vizille via Wikimedia

La santé comme idée supérieure du bien commun

La pandémie que nous affrontons nous éclaire sur bien des points communs entre Descartes et Kant –qu’on pardonne cette synthèse lycéenne et universitaire succincte. Désormais, les notions de bien individuel et de bien collectif nous apparaissent de moins en moins distantes l’une de l’autre. Nous continuons certes à nous penser comme individus singuliers, mais nous existons de moins en moins comme individus séparés des autres. D’une certaine façon, le confinement nous a rapproché·es, nous partageons un destin commun, nous nous «voyons» davantage en groupe (sur les réseaux sociaux), nous dialoguons (grâce aux réseaux sociaux) à distance, et nous accomplissons certaines tâches, même les plus banales comme les courses, avec un rituel de gestes et de précautions communes. Le masque obligatoire nous protège, tout en mettant à égalité toutes nos expressions .

Dans la vie normale, chaque société est régulée par des normes et des lois que nous sommes tenu·es de respecter, mais l’épidémie a étendu ces règles à nos libertés individuelles et de mouvement, et ce sans la moindre exception. C’est si vrai que l’on en vient à débattre de libertés constitutionnelles en gardant à l’esprit une idée supérieure du bien commun: la santé.

La globalisation des marchés va plus que jamais de pair avec la globalisation du risque et, en partie, avec la globalisation des décisions politiques. Chaque gouvernement a agi selon des évaluations autonomes, mais les indications des experts et des organisations internationales comme l’OMS et la pression informée des opinions publiques ont imposé des décisions très similaires, par des mécanismes collectifs d’imitation, comme on a pu le voir dans le cas des zones rouges appliquées de la Chine jusqu’à l’Australie.

Survivance globale

À la différence des épidémies passées, tragiques mais tout de même circonscrites, le coronavirus a revêtu les caractéristiques de la pandémie, il a globalisé le risque, avec des conséquences économiques, sociales et sanitaires mondiales. Le virus n’est en rien démocratique si nous observons les classes sociales les plus frappées, les millions de nouveaux pauvres, la différente capacité de réponse des structures sanitaires de pays à pays et de région à région à l’intérieur d’un même pays. Démocratique, il l’est en revanche comme urgence globale, en ce qu’il a substantiellement abattu toute frontière entre bien individuel et bien collectif.

Jusqu’à ce que l’on entende parler de changement climatique, nous ne ressentions pas la peur quotidienne de mourir. En ce temps de coronavirus, santé individuelle et santé collective ont perdu leur distance, leur frontière, leur pouvoir discrétionnaire: l’environnement, la nature, l’utilisation des ressources pour nous protéger des risques, la nécessité et la responsabilité de penser un modèle de développement durable ne sont plus des sujets de congrès ou de cercles culturels restreints, réservés à certain·es activisteLa Renaissance est la phase suivante d’une humanité diminuée d’un tiers. On avait bien, à cette époque, développé la capacité de se reconstruire.

Ils sont devenus l’enjeu de toute l’humanité. Impossible donc de ne plus se penser comme collectivité. Pas seulement pour des raisons éthiques, kantiennes ou spirituelles, («Personne ne se sauve seul» a dit le pape François), mais pour des raisons de survivance globale.

À l’époque de la peste de Florence, Boccace écrit le Decameron, imaginant que des dizaines de jeunes gens et jeunes filles se cloîtrent dans une demeure pour fuir l’épidémie et rêver au monde futur. La Renaissance est la phase suivante d’une humanité diminuée d’un tiers. On avait bien, à cette époque, développé la capacité de se reconstruire. Donc, de se repenser.

Se penser comme humanité

Aujourd’hui, comme les jeunes gens de Boccace, nous nous confinons en pensant à l’avenir.

«Je suis, donc je pense» signifie penser l’homme globalisé et son développement humain, avoir la conscience que santé, instruction, environnement et ressources naturelles sont des biens collectifs et que les maux doivent être tout autant collectivement répartis, même si peut changer la hiérarchie de qui en paie pour un temps le prix le plus élevé.

C’est bien cela le nouvel impératif économique, le côté positif et humanitaire qui peut émerger de la pandémie. La santé n’est plus pensable comme bien individuel, mais comme bien collectif, puisque tout le monde paie les conséquences de la maladie, indépendamment du fait d’être contagieux, guéris ou en sécurité. Et comme on l’a vu, les distinctions entre comportements individuels ou collectifs n’ont plus de sens, dans le fait que chaque comportement individuel peut conditionner la santé d’autres personnes de façon exponentielle.

«Je suis donc je pense» signifie donc que désormais nous sommes et nous nous pensons comme humanité

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