En cette fin d’année, alors que les guirlandes illuminent nos rues et que les festivités s’annoncent, une ombre plane sur l’avenir économique de la France : celle de sa dette publique vertigineuse. Avec un montant atteignant 3 300 milliards d’euros, soit 48 000 € par habitant, la question de sa gestion devient plus urgente que jamais. Entre inquiétudes légitimes des citoyens et solutions parfois controversées, Claude Gelbras, expert, revient sur cet enjeu complexe avec précision.
- Quels sont les mécanismes à l’œuvre ?
- La dette est-elle un piège insurmontable ou une situation maîtrisable ?
Éclairage sur une problématique qui concerne chaque Français.
DETTE DE LA FRANCE : VADE RÉTRO SATANAS !
La dette de la France est vertigineuse et les Français sont légitimement inquiets devant le risque que l’on vienne frapper à leurs porte-monnaie ou qu’on saisisse leurs avoirs bancaires . La dette s’élève à 3300 milliards d’€ soit 48 000 € par français ! Elle ne cesse de croître année après année, en raison des déficits budgétaires qui augmentent inexorablement.
( À titre de comparaison la capitalisation de la Bourse de Paris (= total du nombre d’actions émises x par leurs cotations) se monte à 6400 milliard d’€…. La dette représente 50% de la valeur des entreprises cotées y compris le CAC40 ! )
Comme le clament les établissements financiers en s’adressant aux débiteurs, les dettes ça se rembourse !
Pour synthétiser et comprendre cette complexité monétaire et la rendre compréhensible, il faut distinguer : Les (1) particuliers et (2) le secteur public
LES PARTICULIERS
Pour faire face à la crise des déficits publics et combler le passif, le recours aux contribuables est une possibilité extrême .
Il est difficile de prélever directement sur les comptes courants des Français qui se montent à 592 milliards d’€ , c’est tentant mais aujourd’hui s’agissant d’argent privé les détenteurs sont protégés par la loi. Par contre, les Français détiennent dans leurs bas de laine, des sommes considérables.
Selon les statistiques de la Banque de France et autres institutions, l’épargne financière des ménages français était estimée à environ 6000 milliards d’euros à la fin de 2022. Cette épargne comprend notamment les livrets d’épargne, les comptes à terme, et les produits d’assurance-vie.
Les Français privilégient souvent l’épargne réglementée (comme le Livret A, le LDDS) et l’assurance-vie, qui restent des placements populaires. L’assurance-vie constitue une part importante de l’épargne des ménages, représentant environ 1 700 milliards d’euros.
Taxer ces dépôts est tout aussi concevable …
En raison d’événements exceptionnels, des mesures de ce type ont déjà été adoptées dans le passé :
- Chypre (2013) : Une taxe a été imposée sur tous les dépôts bancaires pour répondre aux défauts de paiement. En raison du retour de la crise monétaire de 202, il est envisagée de taxer les comptes à vue entre 6% et 9% malgré le droit communautaire qui interdit cette pratique (source : Marc TOUATI, économiste).
- France : Après la Seconde Guerre mondiale, l’État a mis en place des emprunts obligatoires pour financer la reconstruction. En 1945, un “emprunt national” avait été lancé pour financer la dette et couvrir les dépenses publiques.
Toute tentative de ponctionner ou taxer directement ou indirectement l’épargne des Français pourrait avoir des effets négatifs :
- Perte de confiance : Les citoyens pourraient réduire leur épargne ou chercher à transférer leurs avoirs à l’étranger.
- Récession : La consommation et l’investissement pourraient diminuer, ce qui freinerait la croissance.
Bien entendu, les dettes contractées par l’État ont toujours été remboursées, mais en raison de l’inflation , les Français ont été lésés …
Les emprunts indexés sur l’or, comme celui de 1952, ont coûté cher à l’État à cause de l’augmentation du prix de l’or dans les décennies suivantes.
Les emprunts moins avantageux pour les épargnants (non indexés) ont été remboursés en monnaie courante, malheureusement au nominal …
Conclusion :
Ces emprunts ont montré qu’il était possible pour un État de mobiliser l’épargne nationale en cas de crise, mais avec des effets secondaires (inflation, perte de confiance…)
L’inconvénient en voulant se désendetter d’un côté, l’État s’endette de l’autre ; c’est supportable si la croissance du PIB croit plus vite que l’endettement, ce qui n’est pas le cas ! Durant les dernières années, l’endettement a augmenté de 1000 milliards d’€ alors que le PIB a crû de 600 milliards d’€. C’est insupportable !
Le recours à des impôts exceptionnels est possible ; souvenons-nous de l’impôt sécheresse du temps de Raymond Barre, de 1976, due à une grave crise climatique remboursé sous forme de crédit d’impôt. L’état n’avait pas émis d’emprunt, le mécanisme étant purement fiscal.
2 – L’ÉTAT
Chacun a compris que pour faire face aux déficits publics, l’État s’endette sur les marchés financiers en émettant des obligations d’une durée variable:
L’AGENCE FRANCE TRÉSOR ( ministère de l’Économie et des Finances) est l’organisme qui gère la dette de la France. C’est une salle de marché, l’AFT lance des appels d’offres auprès des banques et opérateurs financiers et souscrit après un arbitrage. On y fait des enchères. Les obligations émises vont de court à long terme;
– Bons du trésor à taux fixe, court terme de 1 mois à 1 an,
– Obligations Assimilables du Trésor, taux variable ou fixe d’une durée de 2 à 50 ans . Les OAT constituent 94% de la dette.
Pourquoi ces durées variées ?
- Court terme : Pour répondre rapidement aux besoins de trésorerie.
- Long terme : Pour financer les projets d’infrastructure, stabiliser la dette et attirer des investisseurs à long terme.
Nous sommes au cœur du fonctionnement budgétaire de l’Etat confrontés aux difficultés suivantes :
- a) pour faire face à nos déficits publics qui malheureusement vont croissant, l’État achète toujours plus de dettes bien que l’UE impose aux États membres que celles-ci ne dépassent pas 60% du PIB, soit la richesse du pays. A priori, c’est une grande évidence que la dette publique soit couverte par le PIB. Aujourd’hui c’est le contraire ; la dette est 114% supérieure au PIB ! La solution : on emprunte en permanence dès le remboursement de l’OAT !
La solvabilité du pays n’est pas à ce jour problématique, les agences de notations « ménageant » nos comptes publics, mais les taux auxquels l’AFT souscrit la dette ont tendance à grimper.
L’agence américaine FITCH avait en octobre 2024 lancé un avertissement négatif AA- face aux dérapages des comptes. On achète aujourd’hui à 3,1 % pour des OAT à 10 ans et à 2,61 % pour des OAT à 5 ans ; la dette étant de 3300 milliards d’€ , 1% c’est 33 milliards d’€, chacun peut faire le calcul de la charges des intérêts …
Aussitôt remboursée au terme de l’émission l’AFT achète dans la foulée de nouveau de la dette, les déficits, bien entendu, ne ce sont pas réduits.
Les besoins sont permanents ; si ceux augmentent l’AFT achète d’avantage … c’est la spirale actuelle .
Dans le jargon de l’AFT on appelle cette opération le roulage ou roulement ; dans le jargon populaire on parlerait de cavalerie…
- b) les intérêts payés en 2024 seront de 51 milliards d’€, et , prévisions, de 80 milliards d’€ en 2025 !!
Le budget du ministère de l’Education Nationale est de …87 milliards d’€;
Situation intolérable ! Le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, alerte « sur l’impérieuse nécessité de redresser les finances publiques sans quoi le pays risque «l’enfoncement progressif».
Est-il entendu par les responsables politiques ?
Bien sûr que oui, il faudrait réduire les dépenses publiques, travailler plus, supprimer des fonctionnaires etc. Ce sont des réformes structurelles dont personne ne veut ; reste l’unique solution, augmenter les impôts ou s’endetter…
CLAUDE GELBRAS, EXPERT