Le virus n’a que très peu évolué depuis le début de l’année − Illustration South_agency via iStock


VARIATIONS MINIMES – Dans un entretien à la radio, Didier Raoult a expliqué que le SARS-CoV-2 avait muté de manière significative. Il identifie 7 “mutants” avec ses équipes, assez éloignés de la version originelle du virus importée de Chine au début de l’année. Des conclusions qui méritent d’être largement nuancées.


Invité de la matinale de Radio Classique, le Pr Didier Raoult s’est exprimé au sujet des mutations subies par le virus. À Marseille, avec ses équipes, il indique avoir “beaucoup plus de données que n’importe qui au monde en ce moment, en particulier sur les séquences de génomes”. Des génomes comparés avec ceux observés il y a plusieurs mois afin de cerner d’éventuelles évolutions. “Depuis juillet”, poursuit-il, “depuis l’apparition de ce deuxième acte, les génomes que nous avons ne sont pas les mêmes que ceux que nous avions avant, ce qui est peut-être la raison pour laquelle la mortalité est beaucoup plus faible que ce que l’on avait avant.” 

Didier Raoult livre ensuite des précisions : “Oui, le virus mute et il n’y a pas un seul virus, qui a muté. Actuellement, nous avons 7 mutants, qui ont circulé et qui ont une distance par rapport au virus original beaucoup plus grande que la distance qu’avaient les virus pendant la période de février mars avril. Ce virus a une surmutation si vous voulez.” Des déclarations qui font écho à une série de découvertes réalisées par les chercheurs, mais qui méritent néanmoins des précisions et se révèlent teintées de quelques exagérations.

Des modifications à relativiser

Pour mieux analyser les informations transmises par le Pr Raoult, LCI a sollicité Etienne Simon-Lorière, responsable du laboratoire de génomique évolutive des virus à ARN pour l’Institut Pasteur. Avant de se pencher sur la question des mutations du virus, il fait part de son étonnement quant au fait que les équipes de l’IHU à Marseille disposeraient de beaucoup plus de données que quiconque à travers le monde. “C’est une phrase assez curieuse, car la France ne figure pas parmi les pays qui procèdent le plus à des séquençages. Au contraire de l’Angleterre, qui a déposé plus de 40.000 génomes, on n’en recense que quelques centaines en France. Si vraiment ils disposent de beaucoup de données, ce serait assez gênant d’observer qu’ils ne les aient pas déposées”, les rendant ainsi accessibles à tous les autres chercheurs.Cet aparté mis à part, Etienne Simon-Lorière observe-t-il un changement majeur du virus dans le temps ? Pas nécessairement. Pour les versions du virus les plus éloignées de l’originale, seuls “20 à 22 séquences qui différaient” ont été recensés, note le spécialiste. Un chiffre à rapporter aux quelque 30.000 bases comptabilisées et passées au crible pour ce virus. Surtout, “dans les pays où l’on séquence beaucoup, il apparaît que l’on n’observe pas de différences majeures qui seraient associées à un changement du comportement du virus”. Pas de “changement phénotypique” notable donc, selon le terme qu’utilisent les scientifiques.

Emma Hodcroft, postdoctorante au biocentre de l’Université de Bâle, suit elle aussi les évolutions du virus et rappelle dans les colonnes du journal Le Temps que le SARS-CoV-2, comme tous les coronavirus, mute lentement. “Un coronavirus qui a muté aura toujours plus de similitudes que de différences comparé à une variante précédente”, souligne-t-elle, “tout comme l’arrivée d’un nouveau bébé ne signifie pas l’apparition d’une nouvelle souche d’êtres humains.”

Etienne Simon-Lorière a été surpris par l’usage du terme “surmutation” par Didier Raoult, qui “n’a pas de sens” à ses yeux. Il explique en effet que “l’on observe simplement des mutations qui s’accumulent au fil du temps, ce qui est très classique avec ce type de virus”. Celui-ci subit d’ailleurs moins de mutations que d’autres, et avait été qualifié ces derniers mois de relativement “stable”.

Pas d’évolution notable de la dangerosité

Pour l’expert de l’Institut Pasteur estime que le nombre de sept “mutants” établi par les équipes de l’IHU de Marseille “est totalement arbitraire”. Et pour cause : les chercheurs peuvent observer les différentes “variants” du génome, avec les différences mineures qui les singularisent. Ce sont eux qui, à partir de ces différences, choisissent de rassembler entre elles certaines versions, qui présentent de nombreux traits communs. À la manière d’un arbre généalogique. “Plusieurs schémas sont utilisés, et certains préfèrent ainsi retenir 5 branches plutôt que 7”.Quoi qu’il en soit, “sur le plan biologique et infectieux, c’est le même virus”, tranche Etienne Simon-Lorière, “et l’on observe qu’il se comporte à quelques détails près de la même manière qu’au début de l’épidémie”. Une bonne nouvelle dans la perspective d’un vaccin, puisque le spécialiste précise que “même des virus présentant des mutations circulent, celles-ci n’auront pas d’impact sur l’efficacité d’une vaccination.” Cette analyse rejoint celle de chercheurs outre-Atlantique, qui ont publié une étude dans la revue de l’Académie nationale des sciences des États-Unis. “Nous constatons une diversité limitée dans les génomes du SRAS-CoV-2”, écrivent-ils, ajoutant que le virus “se transmet plus rapidement qu’il n’évolue”, ce qui rend “la population virale plus homogène”. Du fait de cette “diversité minimale”, les chercheurs estiment eux aussi qu’un seul et même vaccin sera suffisant pour se révéler “efficace contre les lignées du virus actuellement en circulation”.

Les scientifiques continuent néanmoins à traquer les évolutions génomiques du SARS-CoV-2, afin notamment de s’assurer que les tests de détection soient toujours aussi efficaces. Si les séquences précises que les laboratoires tentent de détecter évoluent, il sera en effet nécessaire d’adapter les outils de test en conséquence pour éviter que des patients atteints du virus ne soient diagnostiqués comme sains. Il y a quelques semaines, une mutation précise (répertoriée sous le nom de D614G) a notamment attiré les regards, suspectée de rendre moins dangereux le virus. “Si D614G a suscité autant de discussions, c’est parce qu’il s’agit d’une protéine à l’interface entre le virus et son hôte”, analyse auprès du Temps François Balloux, directeur de l’Institut de génétique de l’University College de Londres. “Il faut néanmoins signaler que les différences de charge virale observées entre les patients présentant cette mutation et les autres sont très faibles.”

En résumé, il est exact de dire que le Covid-19 a subi des mutations depuis le début de l’année. La classification de ces mutations varie selon les critères des scientifiques, et ne signifie pas pour autant que les “variants” du virus sont radicalement différentes les unes des autres, compliquant la recherche pour le vaccin ou modifiant profondément ses effets sur ceux qui contractent la maladie. En l’occurrence, celui du Covid a jusqu’alors peu évolué, et ne présente aucune évolution majeure dans son comportement. Évoquer une “surmutation”, comme le fait Didier Raoult, semble donc largement exagéré

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version