A partir de lundi, les tests PCR de criblage cibleront trois mutations du virus pour tenir compte de la trop grande diversité des variants. 

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Si les nouvelles sont bonnes sur le front de l’épidémie de Covid-19, toujours en régression, et sur celui de la vaccination, avec le seuil des 30 millions de premières injections franchi ce week-end en France, le nouveau variant B.1.617.2, baptisé Delta par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vient troubler la sortie de crise. « On n’est pas sauvé, le risque est toujours là », a déclaré Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité infections respiratoires de l’agence de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF), vendredi 11 juin, décrivant une « situation instable » en France.

Le variant Delta est plus contagieux que son prédécesseur – le variant Alpha –, d’environ 60 %, selon les Britanniques, mais surtout responsable d’une remontée des infections au Royaume-Uni, qui ont triplé en trois semaines, atteignant près de 8 000 cas vendredi 11 juin. Il est aussi déjà présent en France et chez nos voisins frontaliers, Espagne, Allemagne, Belgique… Et il est sans doute responsable d’une légère remontée des cas au Portugal.Lire aussi  Covid-19 dans le monde : le variant Delta est 60 % plus contagieux que son prédécesseur, selon les autorités sanitaires britanniques

Pour mieux y faire face, SpF a décidé d’accélérer la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de surveillance des variants, l’un des points faibles du dispositif français.

A partir du lundi 14 juin, exit, dans les résultats des tests, la référence aux variants « anglais », « sud-africain », ou, respectivement, B.1.1.7, B.1.351, ou encore Alpha, Beta. Place aux trois mutations, E484K, E484Q, L452R. Ces « immatriculations » correspondent à la position des acides aminés, les molécules qui constituent les protéines, au sein de la porte d’entrée du virus chez l’hôte, le spicule. Les lettres font référence au nom de l’acide aminé modifié. Désormais, on saura si un virus est porteur de l’une de ses trois mutations, par un test dit de criblage, qui est un second test PCR, pratiqué si le premier est positif. Ce criblage existait déjà, mais les réactifs chimiques sur lequel il reposait, appelés kits, servaient à repérer un variant plutôt qu’une mutation.

Accélérer la surveillance génomique de l’épidémie

Cette modification apporte plusieurs avantages. D’abord, elle corrige l’un des défauts du criblage antérieur, qui ne pouvait faire face à l’afflux de variants, trop nombreux pour pouvoir être saisis, avec cinq variants « préoccupants », et une dizaine « à suivre » ou en cours d’évaluation. D’ailleurs, la méthode pratiquée jusqu’alors ne différentiait pas un Beta d’un Gamma (dit « brésilien »). Pire, dans le contexte actuel de l’émergence du variant Delta, la technique classait celui-ci dans « absence de variant », comme si c’était la souche chinoise d’origine du Covid-19. Au dernier pointage de SpF, pour la première semaine de juin, 19 % des cas positifs n’étaient ni Alpha, Beta ou Gamma.

Autre faiblesse à corriger, « le criblage précédent pouvait aussi conduire à des interprétations erronées », rappelle Laurence Josset, virologue de l’une des quatre plateformes de séquençage aux Hospice civils de Lyon. Par exemple, la présence d’une seule mutation E484K obligeait à déclarer le cas comme Beta ou Gamma, alors que d’autres variants peuvent en être porteur. Mais des défauts persisteront, Beta et Gamma resteront notamment mis dans le même sac.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Covid-19 : contre les variants, la riposte s’organise dans le monde

La nouvelle stratégie présente un autre avantage. « Lidée est aussi de cibler des mutations qui ont en elles-mêmes un intérêt. Même si une mutation n’explique pas tout le comportement d’un virus, elle envoie un signal d’alerte intéressant », indique Laurence Josset. Elle cite ainsi la recommandation de ne pas donner d’anticorps Bamlanivimab à des patients porteurs d’un virus ayant la mutation E484K, connue pour échapper à cette défense. Les trois mutations choisies l’ont été « en raison de leur impact sur la transmissibilité (L452R) ou l’échappement à la réponse immunitaire (E484K et E484Q) », justifie SpF.

En traquant ces informations plus précises, l’agence espère enfin accélérer la surveillance génomique de l’épidémie. Un criblage prend moins d’une journée et peut permettre en fonction du résultat d’activer les dispositifs de suivi de contact et d’isolement nécessaires. Aujourd’hui, il fallait souvent attendre des résultats de séquençage (la technique qui sort les lettres une à une du brin d’ARN qui code pour les protéines) pour savoir quelle lignée était en cause. Ce qui prend de l’ordre d’une semaine en routine.

Mesurer précisément la progression des variants

En réalité les deux techniques, criblage et séquençage, sont complémentaires. Si pour un jour donné on dispose d’un grand nombre de séquences représentatives, il est possible de donner le pourcentage de mutations L452R qui correspondent à tel ou tel variant. Idem pour les E484K ou E484Q. Cette double opération est la seule possible pour mesurer précisément la progression des variants.

Mais c’est là que la nouvelle stratégie trouve peut-être ses limites. Elle repose en fait sur son maillon le plus faible en France, à savoir le séquençage. « Nous devrions avoir un tableau de bord complet et régulièrement mis à jour sur la situation des variants qui circulent en France. Mais ce n’est toujours pas le cas, notamment car la France séquence peu et n’a pas de coordination nationale », critique Philippe Froguel, généticien à l’Imperial College de Londres, qui alerte depuis longtemps sur ces défauts. Trop peu fréquent, lent et de qualité diverse, sont les principaux reproches adressés au système national de séquençage.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Covid-19 : le séquençage des variants du SARS-CoV-2 à la peine

Pour le volume, la comparaison avec nos voisins est éloquente. Le Royaume-Uni, qui dès le printemps 2020, s’est organisé pour faire du séquençage un véritable outil de surveillance génomique, a ainsi déposé près de 440 000 séquences dans la base de données internationale, Gisaid, contre 45 000 en France, et 126 600 en Allemagne. Grâce à cela, les Britanniques sont les rares à pouvoir apporter de précieuses informations sur les dynamiques des différents variants.

La lenteur s’est vue lors du dernier point épidémiologique hebdomadaire de SpF. Le 11 juin, l’organisme a communiqué les résultats finaux de son enquête bimensuelle dite Flash du… 11 mai. La photographie « exacte » de la circulation des variants a donc un mois. Une éternité à l’échelle d’un virus. Autre signe, depuis janvier un consortium national, Emer-gen, sur le séquençage se construit… dont l’accord entre partenaires n’est toujours pas signé. La plateforme informatique qui doit collecter et agréger les données n’est pas non plus totalement opérationnelle. Dernier détail, au Royaume-Uni, la moitié des échantillons collectés sont mis à disposition en moins de quinze jours dans la base Gisaid, quand, en France, cela peut prendre trois à quatre semaines (seule la plateforme des Hospices civils de Lyon fait aussi bien que les Anglais).

« Surveillance et recherche sont indissociables »

Enfin, une séquence ne vaut que par la qualité de ses métadonnées, c’est-à-dire les informations d’âge, de date, de lieu, de genre… Ce qui n’est pas toujours bien documenté, faute de temps, mais ce qui est précieux pour faire progresser les connaissances sur ce virus.

Une partie des cas positifs échappe aussi au crible des enquêtes Flash, car la majorité provient de patients hospitalisés, et une minorité vient de cas asymptomatiques, ou d’éventuels contaminés sans forme grave bien que vaccinés, ou encore de réinfections sans hospitalisation… « Dans sa forme actuelle le séquençage pratiqué est axé sur la surveillance. Mais dans une telle urgence, et sur un virus dont on découvre chaque jour des propriétés, surveillance et recherche sont indissociables. La communauté académique est volontaire pour aider au volet recherche », rappelle Florence Débarre, chercheuse CNRS à Sorbonne-Université, coautrice, avec des sociétés savantes de biologie évolutive, d’un point de vue en avril sur l’importance du séquençage dans la revue Bioscience.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Au Danemark, le séquençage massif des variants du SARS-CoV-2 permet de mieux lutter contre l’épidémie

La France entend donc « monter en puissance » là aussi et corriger ses défauts. Un « appel à manifestations d’intérêt » s’est clos le 11 juin pour sélectionner quatre plateformes de séquençages, pour venir en soutien des quatre existantes, à Pasteur, aux Hospices civils de Lyon, à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Mediterranée-Infection à Marseille et au CHU Henri-Mondor de Créteil, lors des enquêtes Flash. Le choix ne se fera que fin juillet.

En outre, une décision ministérielle pourrait aussi augmenter les capacités, hors enquête Flash. « Nous sommes prêts depuis décembre [2020] et nous attendons un arrêté nous autorisant à séquencer dans certains cas », rappelle Hélène Haim-Boukobza, responsable du pôle infectiologie du laboratoire, privé, Cerba. Cela permettrait notamment d’élargir l’origine des échantillons au-delà des seuls cas des réseaux hospitaliers.

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