Antilla publie ici le texte – complet – du discours du président Marie-Jeanne.
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Intervention d’Alfred MARIE-JEANNE, Président de la Collectivité Territoriale de Martinique Débat sur les Orientations budgétaires Plénière du Jeudi 1er Mars 2018
Monsieur le Président de l’Assemblée de Martinique, Mesdames et Messieurs les Conseillers Territoriaux, Mesdames et Messieurs les Conseillers Exécutifs, Chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Il ne faut pas se voiler la face, et encore moins, faire la sourde oreille. Comme vous le savez, nous avons dû reporter de fin 2017 à début 2018, le débat d’orientations budgétaires et le vote du budget primitif 2018, car nous sommes face à de grandes difficultés.
En effet : En fin d’année dernière, le Parlement était en plein examen du projet de loi de finances 2018 et du projet de loi de programmation des finances publiques 2018- 2022, avec, entre autres, une série de mesures d’encadrements des collectivités territoriales les plus importantes, en matière de capacité de désendettement ou de progression de leurs charges de fonctionnement. L’incertitude qui pesait alors, nous a incités à la plus grande prudence. Ce n’était pas une échappatoire de notre part
Nous étions aussi en discussion avec nos banquiers pour un prêt de 100 millions d’euros, inscrit à notre budget primitif 2017. Seule, l’Agence Française de Développement a marqué son intérêt. Rien n’était gagné d’avance, eu égard à la situation dégradée des finances de la Collectivité Territoriale de Martinique. Finalement, pour ne pas accentuer les déséquilibres financiers, l’AFD a décidé de nous avancer 40 millions € en 2017, versés juste avant Noël 2017, et 60 millions d’euros en 2018.
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Je rappelle à ce sujet, que la CTM a mobilisé de façon volontaire en 2016 un emprunt de 100 millions d’euros pour soutenir le tissu économique. Elle a aussi cherché en 2016 à renégocier une partie de l’en-cours de sa dette afin d’en réduire le coût global. Par cette gestion active le montant des annuités a diminué.
Le gain final sera de plus de 8 millions d’euros.
De plus, le budget 2017 nous posait déjà des problèmes d’équilibre, avec un écart significatif entre les possibilités d’inscrire des crédits complémentaires en dépense et notre capacité à les financer.
2018 sera encore aussi problématique.
Pour étayer mes propos et souligner le niveau des difficultés, voici quelques chiffres :
En 2018, nos recettes de fonctionnement devraient s’élever à 896 millions d’euros, nos recettes d’investissement à 90,2 millions d’euros, auxquelles il faut ajouter 60 millions d’euros d’emprunt, soit une possibilité totale d’agir de 1. 047. 697. 571 €, en baisse de 4,9 % par rapport au Budget Primitif 2017.
En fonctionnement, partie la plus sensible de notre budget, la projection des dépenses envisagées en 2018 oscille entre :
  859. 667. 420 € (hypothèse basse liée aux seules dépenses incompressibles),
  et 933 582 220 € (hypothèse moyenne)
  et une hypothèse haute dont je suis incapable de fixer le niveau en millions d’euros, compte tenu des mauvaises surprises que nous devrions encore rencontrées en 2018, comme cela a été le cas en 2016 et 2017. 
Les calculs donnent tous :
  des dépenses de fonctionnement supérieures aux recettes de fonctionnement,
  une absence d’autofinancement ,
  et une quasi impossibilité d’avoir un programme d’investissement ambitieux, alors que les projets ne manquent pas. 
Ces trois hypothèses sont toutes insoutenables, mais la réalité est là, incontournable pour l’instant.
Depuis deux ans, je m’évertue à vous alerter sur l’impasse vers laquelle nous allons. Aujourd’hui, nous y sommes.
Voici un exemple patent pour illustrer cette situation difficultueuse et les mesures prises pour y remédier :
En janvier 2016, à la création de la CTM, nous avons dû honorer une pénalité de 468 000 euros, au Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP),
En 2017, nous avons réduit cette pénalité à 6 500 euros, par des efforts de rationalisation de la politique d’emploi des personnes en situation d’handicap, avec un taux de seuil de 5,97 %, à 0,03 % du seuil de 6 % imposé. Cela se passe de commentaire.
Notre projection du budget primitif 2018 est déséquilibrée structurellement, et ce n’est pas du fait de l’équipe actuelle.
Nous avons à assumer le passif très lourd qui nous a été laissé le 31 décembre 2015.
C’est ainsi qu’en matière d’autorisations de programme et d’autorisations d’engagement, la fuite en avant des équipes précédentes – ce que les spécialistes appellent la cavalerie budgétaire -, nous conduit aujourd’hui à faire face à un stock d’engagements de dépenses, hors proportion de notre capacité à mettre en face des crédits pour les payer. Ce montant s’élève à ce jour à près de trois milliards 109 millions d’euros ( plus exactement 3. 108. 480. 917,41 €)
C’est ainsi qu’il faudrait théoriquement que la Collectivité Territoriale de Martinique consacre les dix prochaines années, soit deux mandatures complètes, à financer – exclusivement – le stock d’autorisations de programme restant à payer. C’est inimaginable !
Par ailleurs, l’exécution budgétaire de 2016 et de 2017 a été marquée par un volume significatif de « dépenses oubliées » lors des gestions antérieures et que la CTM a dû assumer afin de permettre aux créanciers d’être payés. Ces « dettes
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fantômes », mais bien réelles ont représenté plus de 21% de la consommation des crédits de 2016, soit un montant de 257. 991. 512,66 €.
En 2017, ces dettes fantômes restent significatives et leur montant ne pourra être évalué qu’après l’élaboration du compte administratif 2017.
De plus, nous n’avons aucune certitude que tout ait été pris en compte, du fait de l’absence de maîtrise de la comptabilité des engagements. D’ailleurs, la Chambre Régionale des Comptes et les analystes financiers ont dénoncé cette opacité.
Cette insincérité comptable de l’héritage est démontrée par une série de contentieux engagés par des entreprises contre l’ex-région, auxquels nous devons faire face aujourd’hui. Beaucoup ont été gagnés grâce à notre pugnacité. Quelques-uns sont perdus. Pour eux, il nous faut trouver les crédits pour plusieurs millions d’euros, car bien sûr ces dépenses n’avaient pas été provisionnées.
Cette situation est plus désastreuse encore que celle que nous avons trouvée début 2016, du fait que, quand nous votons un budget pour la CTM depuis 2016, nous exécutons en réalité un budget pour apurer en grande partie les dettes du passé.
Parallèlement, notre capacité à trouver des ressources est limitée, car nous sommes captifs du niveau des dotations qui nous sont allouées, et sur lesquelles nous n’avons aucune prise.
Ainsi, la projection 2018 marque-t-elle une stagnation des recettes, hors emprunt et subvention globale, par rapport à 2017. L’année 2017 étant déjà elle- même en forte diminution
(- 2,32%) par rapport à 2016.
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Et comme pour accentuer la complexité de la question, la loi de programmation des finances publiques n° 2018-32 du 22 janvier 2018 pour les années 2018 à 2022, marque la volonté de modifier en profondeur, le rapport entre l’Etat et les collectivités, en fixant de nouvelles règles de gouvernance des finances publiques.
En effet, l’Etat a décidé d’imposer une contractualisation aux 340 plus grandes collectivités, afin de réduire le déficit public.
L’article 13 de ladite loi instaure un processus d’évaluation annuelle des dépenses de fonctionnement, et de sanctions financières en cas de non-respect des objectifs fixés par l’Etat, et l’Etat tout seul.
Sur la base du taux national plafond, le contrat décrit la trajectoire de limitation des dépenses de fonctionnement, dépenses sur lesquelles la Collectivité s’engage chaque année. La fixation de ce plafond vise à « s’assurer de l’effort de maîtrise par les collectivités de leurs dépenses de fonctionnement, en cohérence avec les objectifs d’économie poursuivis par ladite loi de programmation des finances publiques ».
Ainsi, les dépenses de fonctionnement ne devront pas augmenter de plus de 1,2% par rapport à 2017.
Par ailleurs, l’article 29 de cette même loi met en place un ratio de capacité de désendettement (rapport entre l’en cours de la dette et la capacité d’autofinancement brute) décliné par catégories de collectivités. Dès lors que celui-ci excède un plafond, la Collectivité Territoriale de Martinique doit inscrire sa capacité de désendettement dans une trajectoire d’amélioration.
Pour la Collectivité Territoriale de Martinique, le ratio d’endettement est encadré par un plafond national de référence de 9 ans. Or, ce ratio s’établit au 31 décembre 2016 pour la Collectivité Territoriale de Martinique, à 13 ans (ces références, je le précise sont données dans le compte administratif 2016).
Je ne sais pas si vous avez tout compris ; mais moi j’ai compris que cela va nous coûter cher.
Cette même loi prévoit une contractualisation sur une période de trois ans, entre le représentant de l’Etat et le Président de l’Exécutif, après approbation de l’Assemblée délibérante, qui doit aboutir au plus tard fin juin 2018.
Concrètement, l’Etat est en train de nous asphyxier, en nous enfermant dans un carcan financier rétablissant une tutelle inopportune, face à tous les besoins en développement qu’attendent les Martiniquais avec l’appui et l’accompagnement de la Collectivité Territoriale.
Le désastre est encore plus grand, car la CACEM, l’Espace Sud et la ville de Fort de France seront également touchés.
Ce n’est donc pas seulement un carcan, c’est aussi une camisole de force.
Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames, Messieurs,
Pour autant, dans cet environnement juridique imposé et dans un contexte financier hyper contraint, notre détermination doit rester intacte.
Nou pani dwa moli ba pèson !
En conclusion, vous comprenez aisément, à moins d’être de mauvaise foi, que le débat d’orientations budgétaires 2018 ne pouvait faire l’impasse d’une explication sur la situation générale très dégradée et complexe, que nous subissons.
Il nous faut continuer à agir et à réagir. En faisant quoi ?
  en recherchant de nouvelles sources de financement,
  en repensant, en rénovant le modèle de gestion issu des ex-collectivités,
  en dépensant autrement
  en réorganisant notre ingénierie financière. 
Nous devons aussi interpeller l’Etat qui n’a pas accompagné la nouvelle Collectivité dans sa création, voulue par les Martiniquais, mais conçue dans sa gouvernance par lui et par ceux qui l’ont conseillé. 
Car la création – fusion des ex-collectivités a généré des coûts de structure : réorganisation spatiale des services, équipements, dépenses informatiques, alignement du régime indemnitaire, etc, etc… Constatons que les « conseilleurs » d’hier ne sont pas les « payeurs » d’aujourd’hui.
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
C’est l’Etat qui depuis 2004, nous doit en cumulé 620 millions d’euros, au titre de l’aide sociale. Nous n’avons aucune garantie de rentrer même partiellement, dans nos fonds.
Pour autant, nous n’allons pas jeter l’éponge.
Nous ferons les ajustements nécessaires et indispensables, sans pénaliser les plus fragiles, sans fragiliser le développement économique.
En tous cas, nous devons assainir nos finances, répondre à nos obligations, sans abandonner les nombreux projets de toutes natures, que nous avons en portefeuille.
Face à une situation aussi déstabilisée, toute surenchère démagogique serait irresponsable.
L’exercice est difficile, je le conçois. En pareil cas, il est nécessaire et salutaire de mettre en avant les intérêts supérieurs de la Martinique.
Je vous invite à le comprendre et surtout à le défendre. Mèsi An pil, Mèsi An Chay
Alfred MARIE-JEANNE
Président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique

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